jeudi 15 novembre 2012

Billets verts et rouge sang...

Une fois encore, ces derniers jours, la CIA est sous les feux de l'actualité. Un bon petit scandale sexuel, rien de mieux pour ne pas redorer un blason déjà bien terni. De mon côté, je profite de l'occasion pour vous parler d'un très intéressant roman d'espionnage tournant autour de la fameuse agence américaine et de certaines nouvelles dérives qu'on pourrait lui reprocher... Le roman est signé par David Ignatius (auteur précédemment du roman "Body of lies", adapté au cinéma avec le duo Di Caprio/Crowe) qui allie ici les deux sujets qu'il connaît le mieux pour les avoir abordés à plusieurs reprises dans ses romans : l'espionnage et la haute finance. Avec, dans le contexte actuel, quelques informations distillées dans le roman qui ont de quoi interpeller... Découvrons "Bloodmoney", publié en grand format chez Lattès, avec une "jolie" couverture dorée...


Couverture Bloodmoney


Jeffrey Gertz dirige une société baptisée The Hit Parade LLP qui vend des droits musicaux et audiovisuels. Enfin, ça, c'est la façade légale de la boîte, derrière laquelle se cache en réalité une officine de la CIA. Pas n'importe quelle officine, puisque celle-ci semble être totalement clandestine, totalement auto-financée, ne répondant hiérarchiquement qu'aux ordres de la Maison Blanche, bref, une officine totalement incontrôlable ou presque...

Côté activités clandestines, c'est apparemment au Moyen-Orient que ça se passe. Afghanistan, Pakistan, mais pas seulement... Et surtout, plutôt que de collecter du renseignement ou de monter des coups tordus made in barbouzes, c'est de l'argent que semble brasser cette officine. Des quantités astronomiques de billets verts, chargés d'acheter des notables locaux, des chefs tribaux, des diplomates, des militaires, des politiques, etc. Les acheter pour, à travers eux, acheter une paix qui tarde à revenir dans cette région... Une paix dont rêve une Maison Blanche bien embourbée malgré elle, sur ces théâtres d'opération.

Tout semble donc pour le mieux dans le meilleur des monde. Gertz, espèce d'électron libre un brin, oh, juste un brin, mégalo, peut se friser les moustaches, sa petite entreprise ne connaît pas la crise et tourne à plein régime. Jusqu'à... ce qu'un grain de sable vienne gripper la mécanique de précision qu'il a mise en place... Et ce grain de sable, c'est l'assassinat d'un de ses agents, enlevé, torturé et massacré au Pakistan alors qu'il était en mission sous couverture. Un simple voyage à but commercial qui tourne au cauchemar.

Gertz décide aussitôt de commanditer une enquête pour essayer de comprendre ce qui a cloché. Certes, le Pakistan n'est pas franchement le pays le plus sûr pour un Occidental, mais tout de même, que le hasard ait choisi justement cet homme paraît un peu gros. Pour mener l'enquête, Gertz choisit une jeune femme qui travaille à ses côtés, avec l'envie manifeste de voir ce qu'elle a dans le ventre.

Cette jeune femme s'appelle Sophie Marx. Une agent de terrain de la CIA recyclée en bureaucrate modèle depuis qu'elle a échappé à un attentat en Afrique, preuve que sa couverture avait été éventée... Si jeune et déjà "condamnée" à passer sa carrière dans un bureau... Marx a vu dans Hit Parade une opportunité de se relancer dans le grand bain du terrain, la seule chose qui l'excite dans ce boulot...

C'est donc avec passion que Sophie Marx s'engage dans cette aventure. Sa première idée, comprendre ce que faisait l'agent tué au Pakistan. Pour cela, elle voudrait bien se rendre à Londres, pour rencontrer l'employeur officiel de son défunt collègue, un fonds spéculatif portant le nom d'Alphabet Capital. Fonds spéculatif, ai-je dit ? Tiens, tiens...Curieuse couverture, ça...

Tandis que Sophie Marx se démène, voici que d'autres agents, travaillant pour Hit Parade sous la houlette de Gertz, sont tués lors de mission pourtant a priori sans grand danger... Ca commence à sentir mauvais pour cette officine dont l'existence ne doit surtout pas être révélée au grand jour... Et l'idée d'une taupe commence à tarauder les responsables des lieux. Car, comment expliquer autrement que tant de couvertures soient déchirées de façon imparable et mortelle en si peu de temps ?

C'est donc après un fantôme que commence à courir Sophie Marx. Pensant bénéficier du soutien inconditionnel de son boss, elle commence à mettre son nez un peu partout dans les affaires de Hit Parade et de ses ramifications, à découvrir un fonctionnement... un peu particulier. Et là, surprise, elle sent le soutien de Gertz devenir bien moins franc que lorsqu'il lui a demandé d'enquêter. Elle a même l'impression qu'il lui glisse quelques bâtons dans les roues...

Pendant ce temps, le même Gertz commence doit se justifier... Si son entreprise a du plomb dans l'aile, si elle est menacée par une taupe quelque part, il va falloir agir, et vite, car, jamais, au grand jamais, les agissements de Hit Parade ne doivent être révélés sous peine de déclencher un scandale énorme, un scandale qui, 10 ans après le 11 septembre, qui valut à la CIA d'être totalement déconsidérée, serait fatal à l'Agence.

Gertz se tourne alors vers son mentor, Cyril Hoffman, un vieux de la vieille, un agent à l'ancienne, un excentrique issu d'une des plus anciennes familles de la CIA, lorsqu'on entrait dans la carrière de père en fils. Celui-ci va apporter une aide discrète à Gertz pour essayer de comprendre qui a percé au jour la véritable activité de Hit Parade et qui cherche à la démolir lentement, en assassinant ses agents un par un...

Hoffman a des contacts dans le monde entier capables de lui permettre d'obtenir des renseignements (mission première d'un agent secret s'il en est) et il se sent apte à collecter quelques informations pour essayer de mettre la taupe hors d'état de nuire... Bientôt, le voilà qui s'intéresse à Sophie Marx, le vil séducteur ! Une relation (en tout bien, tout honneur) que la jeune femme entend mettre à profit pour obtenir quelques pistes mais aussi s'émanciper de la tutelle de Gertz, dont elle se méfie désormais.

Mais peut-on se fier à un espion ?

Ignatius réussit à mettre en scène une intrigue qui fait la part belle au suspense, mais sans oublier de tisser une trame solide, avec du fond. Mon résumé peut paraître détaillé, mais j'ai choisi de laisser certains éléments-clés du roman volontairement dans l'ombre, alors que le lecteur les voit petit à petit apparaître, certains dès le début, d'ailleurs.

Mais comme je le disais en préambule, ce qui est troublant dans le bien nommé "Bloodmoney", c'est qu'on y découvre que l'argent est devenu l'arme privilégiée par les Etats-Unis pour essayer de mettre de l'ordre au Moyen-Orient et surtout apaiser un contexte qui, quoi qu'on en dise, reste très belliqueux et pas franchement sous contrôle. Littéralement, acheter une paix que les interventions militaires ne parviennent pas à obtenir.

Et c'est là qu'on trouve le deuxième thème de prédilection d'Ignatius, la haute finance (on doit à Ignatius un roman intitulé "la banque de la peur", aux thématiques voisines de "Bloodmoney"). Quand on n'est plus en odeur de sainteté et que son financement public s'en ressent, il faut bien trouver d'autres moyens pour maintenir un certain standing et, surtout, continuer à agir en sous-main ici et là...

Et cette nouvelle source de financement intarissable, Gertz l'a trouvé dans les marchés financiers... La CIA, ou en tout cas, un de ses rejetons, transformé en trader pour bénéficier de l'explosion des transactions internationales et de bénéfices incalculables... Une autre façon de conclure un pacte avec le diable, à une époque où ce capitalisme triomphant et déconnecté des réalités n'est plus vraiment à la mode... Gertz, ce serait un peu le Gekko (personnage incarné par Michael Douglas) du "Wall Street" d'Oliver Stone dans sa version espion... La cupidité, greed, en VO, reste le maître-mot, l'assurance d'une puissance inattaquable... ou presque.

Et puisque j'ai évoqué le diable, je me tournerai vers la Bible pour achever le raisonnement : Gertz a vécu par l'épée boursière, c'est par l'épée boursière que son entreprise hardie va subir des coups de semonce et des coups de grâce... Je n'en dis pas plus.

Bien sûr, "Bloodmoney" est un roman. Mais on sait que les auteurs de thrillers d'espionnage américains, qu'ils s'appellent Clancy, Forsyth ou Ignatius, bien sûr, sont souvent très bien renseignés et écrivent des fictions reposant sur des faits et des situations qu'ils estiment crédibles. De là à dire qu'il y a un fond de vérité dans les situations décrites dans "Bloodmoney"...

Une chose est certaine, comme je le disais plus haut, la CIA a vacillé sur ses bases après le 11 septembre et a dû revoir de fond en combles ses structures pour redevenir une agence au-dessus de tous soupçons (et je ne parle pas que des soupçons d'incompétence...). Une réorganisation totale qui pourrait tout à fait passer par des prises d'indépendance un peu trop marquées de la part de certains agents, de certaines branches de la maison...

Des officines hors de contrôle, disposant de fonds quasi inépuisables, ne répondant pratiquement à aucune hiérarchie officielle, agissant clandestinement dans des buts pas très avouables... Avouez que ça fait un peu flipper, non ? Le savoir-faire d'Ignatius ajoutant des manipulations dans tous les sens, des faux semblants et des trompe-l'oeil permanents, on se sent un poil parano, au fil de sa lecture...

L'intégrité de Sophie Marx, qui elle-même semble malgré tout avoir pas mal de choses à cacher et vivre dans une espèce de mensonge permanent, est mise à mal par la rouerie de ces agents expérimentés et qui ont perdu peu à peu le sens de l'intérêt général pour privilégier leur intérêt personnel, leur gloriole. Rien n'est désintéressé dans le monde que croyait connaître un peu Sophie Marx, un peu trop idéaliste, peut-être, et qu'elle découvre dans un contexte très violent, dans l'urgence et au risque de se mettre sérieusement en danger...

Mais quoi de plus normal que de ressentir un "léger" vent de paranoïa dans un roman intitulé "Bloodmoney" ? Car, les plus érudits d'entre vous ou les plus fans de cet auteur culte, auront sans doute reconnu dans ce titre un clin d'oeil parfaitement revendiqué, dans le cours même du roman, par Ignatius à... Philip K. Dick, l'incontournable, auteur d'un roman de science-fiction intitulé "Dr Bloodmoney".

Mais, avec Ignatius, on n'est pas dans la SF...


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