jeudi 6 juin 2013

Big Brother is killing you !

Décidément, je suis plutôt chanceux ces temps-ci, je tombe sur des romans qui me surprennent, contrevenant à l'idée que tout se ressemble et qu'on creuse partout des filons avec comme unique motivation, la rentabilité. Voici un premier roman d'un auteur quinquagénaire, originaire d'Annemasse et de nationalité franco-suisse,Pierre-Yves Tinguely, qui m'a passionné. Un thriller de près de 400 pages dévoré en quelques heures et qui a su briser mes idées reçues, mes attentes, mes impressions premières... Ce roman, publié chez Black Moon, un des labels du groupe Hachette connu pour ses publications jeunesse, est, je le précise, un thriller adulte violent et assez sanglant, et donc pas forcément pour tout public. Un thriller où le fantastique intervient rapidement... avant de prendre des formes étonnantes et de nous emmener dans des directions totalement inattendues... Ouvrons ensemble ce "Codex Lethalis", puisque tel est le titre du roman de Pierre-Yves Tinguely.


Couverture Codex Lethalis


A Los Angeles, une simple patrouille de police est alertée par des voisins à propos d'une possible scène de ménage un peu bruyante, qui pourrait avoir tourner franchement au vinaigre... Mais, sur place, les policiers découvrent une véritable scène d'horreur chez les Buchanan : tout indique que Harold, le père de famille, a tué sa femme et sa fille avant de mettre fin à ses jours.

Mais la nature des blessures des victimes, la violence qui imprègne les lieux, le sang répandu en grande quantité montre à quel point on n'est pas là face à un simple drame familial comme il peut s'en produire parfois, mais bel et bien face à un acte d'une toute autre ampleur. Les enquêteurs arrivés sur place en sont persuadés, il s'est passé quelque chose d'extraordinaire dans cette maison. A eux de découvrir les causes d'un tel massacre...

Les premières constatations sont effarantes : Harold Buchanan est sans doute à l'origine de cette folie meurtrière, mais il n'est pas mort des blessures qu'il se serait lui-même infligé. Non, l'autopsie montre que son cerveau et ses yeux... ont littéralement bouilli ! Comme si une intense chaleur s'était déclarée dans son crâne, le portant à ébullition...

Jason Reeds et Franklin Harris, les deux inspecteurs en charge de cette affaire se demandent bien ce qui a pu provoquer de telles blessures et déclencher une telle furie... Car, ils commencent à en être certains, derrière la mort de la famille Buchanan, se cache un ou des meurtriers au mode opératoire très élaboré... En témoigne le message retrouvé sur place et qui se termine par une maxime latine...

Ils ne seront pas prêts d'oublier le premier élément de réponse qui va leur être donner et leur fournir une première piste très importante. Non, les événements dont ils vont être les témoins sont du genre à rester graver longtemps dans les mémoires... Ils vont en effet assister bien malgré eux à une scène proche de ce qui a pu se passer chez les Buchanan.

Comme dans toute procédure de ce genre, la police a saisi l'ordinateur de la famille assassinée pour y chercher de possible indices. C'est Jeremy Radcliffe qui est chargé de décortiquer le disque dur de la machine... quand, soudain, il est pris de folie, d'une violence extrême, ravage son bureau et les alentours, se saisit d'un sabre, pièce à conviction dans une autre affaire et menace ses collègues... Il faut l'abattre pour l'empêcher de nuire...

On constate sur son corps les mêmes stigmates que sur celui de Harold Buchanan. Pas besoin, alors, d'être grand clerc pour comprendre que la source de toute cette violence se trouve dans l'ordinateur des Buchanan... D'autres analyses et une expérience réalisée dans les laboratoires de la police va montrer que le "coupable" est une vidéo, envoyée en pièce jointe à Harold Buchanan...

Il devient impératif et urgent de retrouver celui qui a pu envoyer ce mail, car il dispose manifestement d'une arme colossale qui pourrait causer des dégâts phénoménaux si on utilisait le web pour envoyer partout la fameuse vidéo... Pourtant, une autre hypothèse apparaît lorsque l'enquête progresse : et si le tueur virtuel ciblait ses victimes selon une vengeance machiavélique ?

Il n'empêche, il faut agir vite et le renfort de Marc Davis, même s'il pourrait être mal vu, ne sera pas de trop car le temps presse. Davis, détective privé aux faux airs de Jesse L. Martin, possède, outre ses talents professionnels, un don de médium, qu'il n'utilise toutefois qu'en dernier recours, car il n'en sort jamais indemne... Et, s'il se retrouve impliqué dans cette affaire, c'est parce qu'on l'a engagé...

Le "On" en question, c'est James Ritter, un magnat qui a fait fortune dans le pétrole. Et surtout, en l'occurrence, il est le père de Mary, l'épouse de Harold Buchanan, sauvagement assassinée... L'homme entend bien que l'assassin de sa fille et de sa petite-fille, Melody, soit retrouvé au plus vite et châtié comme il se doit, si la responsabilité de son gendre devait être tempérée...

Et il va bien falloir que toutes ces bonnes volontés, jusqu'au FBI, saisi lui aussi, et même l'antiterrorisme, fassent fi des éternelles rivalités, des questions de procédures et de domaines d'intervention des uns et des autres afin de s'allier pour combattre un ennemi qui n'a pas fini de les surprendre et de leur donner du fil à retordre. Tous pourront aussi compter sur une aide discrète mais importante, celle d'Albert Tustin, que je vous laisserai découvrir, mais que j'ai imaginé, allez savoir pourquoi, proche du père Merrin, joué par Max von Sydow dans "l'Exorciste"...

Il va leur falloir se montrer perspicaces, efficaces et rapides pour contrer un adversaire qui n'entend pas se laisser faire et possède une arme qui les menace tous. Pire, rien n'indique qu'il s'arrête une fois sa vengeance assouvie... Et s'il perdait les pédales et devenait une extraordinaire menace pour tous ? Mais, d'ailleurs, de quelle menace parle-t-on exactement ?

Bon, en lisant la quatrième de couverture et en découvrant l'histoire de cette vidéo de 8 secondes qui semblent pousser ceux qui la regarde à une folie meurtrière sans limite, je n'ai pu m'empêcher de penser au film d'Hideo Nakata "Ring", dans lequel un film a la réputation de tuer toute personne qui le regarde... Oui, c'est vrai, il y a de ça, mais bien vite, on part vers tout autre chose...

Alors, je me suis dit qu'on allait avoir droit à un techno-thriller sur les dangers de la toile, vecteur de messages mortels, comme d'autres ont envoyé des colis piégés par la Poste en leur temps, et transformé en arme redoutable, puisque tout le monde ou presque désormais, utilise internet dans sa vie quotidienne... J'imaginais alors un roman conjuguant actions réelles, pour retrouver l'émetteur du message, et actions virtuelles pour enrayer sa diffusion... Là encore, tout faux...

Je me suis même dit, tiens, Tinguely a dû dévorer certains thrillers fantastiques de Dean Koontz, dans lesquels les machines, ordinateurs en tête, provoquent chez les humains des comportements violents, prennent littéralement leur contrôle, vont jusqu'à fusionner avec eux... Mais, là encore, ça ne collait pas, la machine n'est qu'un instrument chez Tinguely, il y a de l'humain derrière, avec des motivations et des sentiments bien humains...

Il faut dire qu'il me manquait encore un élément-clé pour embrasser le roman de Pierre-Yves Tinguely dans sa totalité et dans son originalité. De cet élément, je vais vous en dire le moins possible, vous vous en doutez. Pourtant, il me faut bien l'évoquer, car il n'est pas un "Deus ex-machina", la bouée de sauvetage à laquelle recourent certains auteurs dans l'impasse pour retomber sur leurs pattes.

Non, cet élément-là est le coeur du thriller de Pierre-Yves Tinguely, sa dimension fantastique, dont on ne comprend l'ampleur qu'au fil des pages, est la raison d'être de ce roman. Et ce qui se présentait comme un techno-thriller devient alors complètement autre chose. Avec, toutefois, le rôle fondamental de la technologie. J'ai choisi de parodier, en titre, le fameux slogan de "1984" parce qu'on se rend compte qu'il est devenu difficile de se passer de tous ces outils.

Oh, bien sûr, on peut tout éteindre et tout mettre au placard, télé, ordinateur, téléphone, tablette, mais cela modifie considérablement les habitudes, cela isole de son quotidien, de son boulot, de ses amis... On le voit avec une des personnes visées par le tueur, qui va devoir vivre en recluse avec ses deux enfants, parce que toute connexion est potentiellement dangereuse pour eux... Flippant...

Mais, là où Tinguely va plus loin et permet d'approfondir la réflexion, c'est qu'au-delà de notre addiction aux joujoux informatiques en tous genres, son "Codex Lethalis" offre des perspectives terrifiantes. J'avais déjà fait un parallèle sur ce blog entre le corps humain et internet, à propos du roman d'Eric Descamps "Alvéoles", dans lequel on suivait en parallèle la circulation de venin d'abeilles dans les veines d'un personnage et l'avancée d'un virus informatique, qui se répandait par le biais des réseaux informatiques.

Dans "Codex Lethalis" aussi, il y a cette effrayante menace d'une distribution de la vidéo mortelle par capillarité, à travers les ramifications de la toile, sans compter les dégâts collatéraux, qui sont comme les conséquences de la réponse d'un organe ayant reçu un stimulus... L'informatique fait tellement partie de nos vies qu'on se dit qu'en cas d'attaque de ce genre, on aurait du mal à y réchapper... Mais, heureusement, ce n'est que du fantastique, hein ? Mais si, allez...

Enfin, dernier point, si l'informatique est à la fois une partie du danger, mais aussi, d'une certaine manière, une partie de la solution, il ne faut pas perdre de vue que la puissance adverse est totalement différente. J'ai adoré ce choc entre la technologie dernier cri, symbole de notre société actuelle (les moyens développés par les enquêteurs rappellent ce qu'on voit dans "les Experts"), et une force ancestrale, accessible à un tout petit nombre de personnes mais offrant des possibilités infinies ou presque...

Comme si ce passé oublié, enfoui au fond des "enfers" des plus riches bibliothèques du monde, rejaillissait pour prouver sa supériorité sur ce que l'être humain a élaboré, sur ce savoir devenu machine et technologie. En cela, j'ai retrouvé des thématiques proches, traitées très différemment, de ce que Lionel Davoust a mis en place dans sa trilogie "Léviathan", l'irruption d'une force venue de la nuit des temps dans la routine de notre quotidien moderne...

Alors, si j'osais, et je vais oser, je dirais donc que "Codex Lethalis" n'est pas qu'un thriller fantastique, c'est un roman d'urban fantasy qui nous plonge dans la noirceur qui naît depuis toujours de l'esprit humain, quelle que soit la forme qu'on lui donne. Au-delà des surprises que j'ai évoquées au long de ce billet, il faut reconnaître que "Codex Lethalis" est un vrai page-turner...

J'ai dévoré ce roman à une vitesse rare, tant je voulais savoir ce qui allait se passer, comprendre qui était vraiment le meurtrier et voir ce qu'il allait advenir des différents personnages... J'ai vu, ici ou là, que certains lecteurs n'avaient pas trop aimé la fin, moi, je la trouve cohérente, elle colle avec ce côté ultra-rapide que Tinguely a voulu insuffler à son livre.

Elle est rapide, nette et sans bavure, ne traîne pas en longueur et n'est pas suivie par un chapitre du genre "quelques jours plus tard"... Non, une fin qui nous laisse pantelants, essoufflés, soulagés mais encore inquiets, avec un taux d'adrénaline encore élevé... Le genre de fin de roman qui ne vous permet pas de vous endormir tout de suite mais qui nécessite de laisser redescendre la pression...

Et ce n'est que le début, puisqu'il semble que le projet de Pierre-Yves Tinguely soit une trilogie... J'ai bien envie de lire la suite, moi, tiens !


4 commentaires:

  1. Pas grand chose à en dire, je ne connaissais ab-so-lu-ment pas.. Mais ça m'a bien intrigué, je note !

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  2. Tout d'abord, bravo pour cet article : je serai incapable d'en écrire autant sur un roman sans dévoiler au moins les trois-quarts de l'intrigue. Ensuite, ce livre m'a l'air plutôt intéressant (bien que l'idée de cerveaux bouillis me rebute quelque peu) et me rappelle le style de Maxime Chattam, pour le mélange de policier gore et de fantastique. et hop, un candidait de plus dans ma liste de lectures en attente!

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  3. Merci ! :-)

    Pour les cerveaux bouillis, c'est vraiment un détail, mais c'est l'élément qui permet d'écarter l'hypothèse d'un simple drame familial... J'en ai peu dit sur la forme que prend le fantastique, justement pour ne pas en dire trop, mais c'est le coeur du roman...

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