vendredi 22 septembre 2017

« Vous serez des Pelapi (...) C'est un mot très ancien. Il n'existe aucun équivalent en anglais. Il signifie "bibliothécaire", mais aussi "apprenti", ou peut-être "étudiant" ».

Notre roman du soir est à classer immédiatement dans les OLNI, les objets livresques non-identifiés, ces livres qui plongent le lecteur dans des histoires inattendues, déroutantes, bizarres... Et celui-là, c'est vraiment du bizarre, croyez-moi. Un premier roman qui débarque et dégomme tout sur son passage, bouscule les genres autant que les lecteurs, et nous présente une galerie de personnages fascinantes. Et un contexte qui se dévoile lentement, très lentement, au point de nous faire perdre bien des repères. On tient vraiment un bouquin pas ordinaire avec "la Bibliothèque de Mount Char", premier roman de Scott Hawkins (en grand format aux éditions Denoël ; traduction de Jean-Daniel Brèque), une plongée dans une histoire violente, volontiers gore, où l'on se demande longtemps qui sont ces personnages dont les manières sont bien peu conventionnelles et les méthodes radicales. Un roman plein de bruit et de fureur, le tout servi avec un humour bien noir abondamment distillé...



Garrison Oaks est un quartier résidentiel d'une petite ville de Virginie. Le genre de coin sans histoire où il fait plutôt bon vivre, une espèce d'Amérique de cocagne où l'on s'attend à croiser des femmes au foyer désespérées et leurs familles. C'est là que vit une étrange... famille, le mot peut être discuté, qui se présente comme étant des Bibliothécaires.

Mais, et cela explique la majuscule, pour ces jeunes gens, être Bibliothécaire n'est pas un métier, pas même une vocation, c'est bien plus que cela. Autour d'eux vivent des Américains, mais eux sont des Bibliothécaires, dont la vie se consacre à l'étude. Chacun s'est vu attribuer un domaine précis par celui qu'ils appellent Père et doit s'y consacrer, sans jamais déborder sur celui de ses camarades.

Carolyn est ainsi la spécialiste des langues et des dialectes parlés dans le monde, David se consacre au monde animal avec lequel il vit en symbiose, Jennifer guérit les maux, même les plus grave, Michael sait faire souffrir et tuer, Margaret est chargée des question en lien avec la mort... Et gare à celui qui n'apprend pas ses leçons correctement, les punitions infligées par le Père sont très sévères !

Tous dépendent complètement de ce mystérieux père qui leur transmet ce savoir immense, contenu dans la fameuse Bibliothèque dont il s'occupe. En fait, ils ne sont pas vraiment ses enfants. Il les a recueillis, alors qu'ils étaient encore enfants après la mort de leurs parents respectifs. Il les a couvés, éduqués... A sa façon très... spéciale...

Mais, voilà, Père a disparu et les Bibliothécaires se sentent en danger. Car un des concurrents de Père approche, ils le savent, ils le sentent. D'autres suivront, ils sont sans doute déjà en train de se mettre en état de marche. Seront-ils assez forts dans leurs domaines respectifs pour résister à ces prochaines attaques ? Sauront-ils défendre la Bibliothèque ?

Ils n'en sont pas sûrs, il devient urgent de retrouver Père, si c'est encore possible. Car l'hypothèse que Père ne soit plus grandit à chaque instant. L'idée de se retrouver livrés à eux-mêmes, les uns dépendant des autres... A moins que Père ne soit enfermé dans la Bibliothèque. L'idée est séduisante, mais alors, pourquoi eux n'y ont-ils plus accès ?

Pendant ce temps, Steve, plombier de son état, reçoit une proposition des plus alléchantes : on lui offre une grosse somme d'argent. Mais, en contrepartie, il doit renouer avec ses anciennes activités, en l'occurrence, le cambriolage. Une vie qu'il a laissée derrière lui, il en est sûr. D'ailleurs, il songe à devenir bouddhiste, c'est dire si ce n'est pas le moment de retomber dans ses travers !

Allez, une seule fois, une dernière fois, histoire de décrocher le jackpot. Avec tout ce pognon, il ne pourra pas se racheter un karma, mais cela lui laissera le temps de voir venir et de poursuivre sa conversion. En acceptant, Steve signe un pacte qui va l'emmener dans des aventures sidérantes, inimaginables, tout au long desquelles il va se demander : pourquoi moi ?

Erwin, c'est Robocop. Une intelligence hors norme, une carrière militaire exemplaire, aucun état d'âme quand il s'agit de mener à bien une mission, une devise inébranlable qui veut que la fin justifie tous les moyens, même les plus violents et une détermination sans faille. On serait dans un roman de super-héros, soit il porterait une cape, soit il serait le super-méchant.

Mais, dans cette histoire, Erwin incarne la loi. Et doit la faire respecter coûte que coûte. Y compris, et peut-être surtout, lorsqu'un suspect est accusé à tort. Voilà pourquoi ce jour-là, Erwin se rend dans une prison ultra-sécurisée. Il veut rencontrer un détenu accusé d'avoir tué un policier, rien que ça, pour lui soumettre des éléments troublants, qui pourraient le disculper.

Le crime a été d'une violence inouïe et l'identité de l'assassin ne fait aucun doute. Sauf pour Erwin, qui a remarqué deux ou trois incohérences, fait des recoupements, remonté des pistes, échafaudé une théorie bien différente. Mais, pour l'étayer, il a besoin que le suspect idéal confirme ses idées... C'est alors que tout va partir en cacahuète et que Erwin va devenir le justicier...

A tout cela, il faut ajouter des voisins super sympas et dévoués, des chiens, beaucoup de chiens, des lions, un barbecue comme on rêverait tous d'en avoir un dans son jardin pour organiser des pique-niques entre copains, et encore plein d'autres choses ébouriffantes, surprenantes, déjantées, des effets spéciaux hollywoodiens... et même une chute pleine d'émotions...

"La Bibliothèque de Mount Char" est un roman tellement bizarre qu'on ne sait pas trop par quel bout le prendre. Rien que cette présentation, forcément très subjective, comprend des éléments que d'autres lecteurs voudront laisser dans l'ombre. Et réciproquement... Comment parler de ces personnages bizarres, de ce contexte étrange dans lequel nous plonge d'entrée Scott Hawkins ?

En ce qui me concerne, ce sera en me basant sur mes premières impressions, que je résumerai ainsi : mékèskecékseutruc ? A peu de choses près... Il faut dire que rencontrer Carolyn, David, Jennifer, Margaret, Michael et les autres, comme ça, sans aucune explication préalable, ça fait comme un choc et ça demande un petit moment d'adaptation.

Dès les premières lignes, on se demande si on n'est pas en train de lire "le retour de Carrie", et puis, rapidement, on se dit que non : c'est encore pire. Et pourtant, tout cela est raconté avec une tonalité qui fait que, régulièrement, on se marre. Des effets comiques qui tiennent autant aux situations qu'aux personnages, à commencer par ces fameux Bibliothécaires.

Vous vous doutez bien que je ne vais pas vous livrez ici les explications acquises de haute lutte au cours de cette lecture. Mais, là encore, je peux partager avec vous certaines de mes réflexions, qu'on pourrait résumer ainsi : Mécékidonkseulà ? Car, évidemment, beaucoup de choses reposent sur ces personnages, soudainement livrés à eux-mêmes.

Ils sont un peu âgés, sans doute, pour qu'on ait complètement l'impression d'être tombé dans un remake sous acide de "Sa majesté des mouches", mais, pendant un bon moment, je me suis demandé si on ne nous jouait pas un délire complet, si tout ce qu'on nous racontait, sur la jeunesse et le parcours des bibliothécaires, n'étaient pas une espèce de jeu de rôles, ou une crise de folie aiguë.

Les Bibliothécaires sont affreux, sales et méchants, mais on se dit que c'est bien ainsi que Père les a voulus. Ils possèdent donc une formation extraordinaire et les capacités qui vont avec, vivent en vase clos, s'expriment dans un langage qui leur est propre, se comportent comme s'ils n'appartenaient pas au monde qui les entoure...

Et, naturellement, dans notre tête, le voyant "SECTE" commence à clignoter furieusement. Ce n'est pas possible autrement, il faut un gourou apocalyptique et gravement atteint pour avoir fait de ces enfants ces créatures-là, à la morale toute personnelle, aux valeurs solidement ancrées, mais assez sensiblement différentes de celles de la société qui les entoure...

Peu à peu, on grappille des éléments sur les uns et les autres, des effets narratifs apparaissent, mais je ne vais pas trop les mettre en avant, juste vous dire qu'un des Bibliothécaires prend petit à petit le leadership, devient (je ne parle pas dans les faits, mais pour le lecteur) le personnage central. Et l'on va comprendre pourquoi tout doucement, élément par élément...

Dans le même temps, les deux autres trames vont s'installer également. Celle qui implique Steve intervient très tôt, Erwin, lui, débarque un peu plus loin. Je suis resté dans le vague, mais les liens qui relient ces deux personnages au reste de l'histoire sont bien sûr évidents. Comprenez-moi, il ne faut pas vous mâcher le travail et trop en révéler.

Ajoutez les flash-backs et les digressions qui permettent de découvrir un peu mieux l'univers présent et passé des Bibliothécaires et vous avez une histoire totalement inclassable dont on a du mal à savoir s'il s'agit de fantasy, de science-fiction (des extraterrestres ? Pourquoi pas ?), de fantastiques, un simple thriller dopé à quelques substances qui nous donnerait l'impression de regarder à travers un kaléidoscope ?

Dans une interview donnée au Huffington Post lors de la sortie du roman aux Etats-Unis, Scott Hawkins évoque, de manière très drôle (on comprend mieux le côté déjanté de l'affaire, c'est l'auteur qui est fou !), les étapes qui ont mené à l'élaboration de ce roman. Il y évoque aussi certaines de ses références et influences.

Il cite "Le Sorcier de Terremer", d'Ursula K. Le Guin, pour sa découverte de la fantasy, et "le Fléau", de Stephen King, certainement pour le côté horrifique. Par ailleurs, lorsqu'on se penche sur les critiques, les commentaires, on croise aussi les noms d'Alan Moore ou encore de Neil Gaiman. Rassurez-vous, je m'arrête là, il n'y aura pas une multiplication de références.

Je pense que je ne serai pas le seul lecteur de "la Bibliothèque de Mount Char" à songer à Stephen King et à Neil Gaiman. Improbable rencontre, a priori, mais on retrouve chez Scott Hawkins un travail sur l'horreur et l'épouvante qui se rapproche du Maître, mais le tout se marie avec un humour que ne renierait sans doute pas l'auteur d' "American Gods".

Alors, oui, c'est noir, c'est gore, c'est grand-guignolesque, par moments (certaines scènes peuvent faire penser aux premiers films de Peter Jackson, comme "Braindead", d'autres à "Mars Attacks", de Tim Burton), mais c'est surtout incroyablement inventif. A chaque fois que l'on pense avoir raccroché les wagons, qu'on croit savoir où Hawkins nous emmène, il repart et nous surprend encore.

Car ne vous fiez pas forcément à tout ce qui est dit depuis le début de ce billet, ce que met en place Scott Hawkins est vraiment formidablement construit, en utilisant des thèmes archi-classiques, comme l'ambition, la vengeance, l'amour (j'allais l'oublier !) par exemple, mais en en tirant quelque chose qu'on a sans doute jamais vu auparavant.

Le primo-romancier fait vraiment feu de tout bois, utilisant toute la palette que lui offre les genres science-fiction, fantasy et fantastique. Pour un débutant, il le fait avec une grande agilité et l'on peut se demander sérieusement si on ne tient pas là un nouveau virtuose. Bien sûr, on attendra ses prochains livres de pied ferme.

Et même si c'est déroutant, si on met du temps à s'y retrouver, on prend un plaisir immense à cette histoire en attendant d'y comprendre quelque chose. De même, ce côté déjanté et foutraque ne doit pas faire perdre de vue que l'histoire développée par Scott Hawkins nous emmène vers une situation finale tout à fait inattendue. Et qui laisse la porte ouverte à une suite, j'ai l'impression...

Il y aurait sans doute encore énormément à dire sur ce roman, mais il est tellement particulier, sa construction est si précise malgré son apparence bordélique, que chaque élément nouveau qu'on révèle donne l'impression de lever un trop grand coin du voile. Une certitude : on sort carrément de l'ordinaire avec cette histoire et ça fait un bien fou.

Après Jim C. Hines qui transforme un magicien en bibliothécaire avant d'en faire un Bibliomancien, véritable super-héros dont le pouvoir est de puiser des objets dans les livres, voici donc les Bibliothécaires de Scott Hawkins, que je vous déconseillerais d'approcher de trop près... Ami(e) bibliothécaire qui passe par ici, fais gaffe à toi, les romanciers de SFFF t'en veulent !

4 commentaires:

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    1. Alors, laisse-toi tenter, des comme ça, on n'en croise pas tous les jours ^^

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  2. Carrie en pire ? ;) Comme tout bon lecteur, le terme "Bibliothèque " dans le titre d'un livre m'entraine immédiatement dans un univers familier. Mais là il semble bien que le côté obscur domine. Qu'à cela ne tienne, je suis prête !

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    1. En fait, "Carrie", c'est un clin d'oeil à la première scène du livre ;)

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