Il y a 40 ans, un roman d'horreur était publié par un auteur connu jusque-là pour ses écrits humoristiques. Ce roman, et plus encore son adaptation cinématographique, sont devenus cultes. L'auteur s'appelle William Peter Blatty et le roman, c'est "l'exorciste"... Blatty, 80 ans passés, vient de publier en France, aux éditions Robert Laffont, son nouveau roman "Dimiter", un thriller ésotérique qui flirte avec le fantastique. Etonnant, non ? Pourtant, même si on ne peut s'empêcher de repenser à "l'exorciste" et même s'il y a des éléments communs, "Dimiter" est un roman bien différent.
Tout commence en Albanie, en 1973. Un inconnu, pas très bavard, est arrêté par la police locale qui enquête sur une vendetta familiale. Dans cet état policier, coupé du reste du monde, un inconnu qui semble arriver de nulle part, ne paraît n'avoir rien à faire là, n'est reconnu par personne et propose une identité plus que floue intrigue, inquiète même : il ne peut être qu'un espion.
Transféré dans le service du colonel Vlora, l'homme, qui conserve un parfait mutisme, est alors soumis aux tortures les plus élaborées, physiques et psychologiques. Et pourtant, il ne dit rien. Plus incroyable encore, il semble ne ressentir aucune douleur. Et, pour finir, il réussit à s'évader en laissant derrière lui les cadavres de ses tortionnaires.
Pour Vlora, le seul homme capable de se sortir d'une telle situation sans une égratignure s'appelle... Dimiter. Un homme que beaucoup connaissent sous un charmant surnom : "l'agent de l'enfer".
Un an plus tard, à Jérusalem. Simultanément, des évènements inhabituels se produisent dans la ville. Un accident de la route laisse une voiture calcinée après avoir défoncé la pompe à essence d'une station-service, mais il n'y a aucune trace d'un conducteur... Un corps sans vie est découvert au bas de l'escalier qui mène à l'église orthodoxe de l'Ascension... A l'hôpital de la Hassadah, des malades atteints de maladies incurables guérissent soudainement... Un autre cadavre est découvert, ô sacrilège, dans le tombeau du Christ...
Aucun de ses évènements ne semble avoir de lien avec les autres, mais ils mettent en émoi deux amis d'enfance, Moses, devenu neurologue, et Meral, flic au commissariat en charge de la Vieille Ville et donc du quartier chrétien de la ville trois fois sainte.
Et, dans cette période de guerre froide, quelques mois à peine après la guerre des 6 Jours, l'Etat d'Israël, qui dit police dit aussi services secrets. L'activité de renseignement connaît une forte intensité, Américains, Russes mais aussi Albanais sont sur les dents, ce qui ne peut qu'inquiéter les pontes israéliens.
Mais quels rapports peut-il y avoir entre ces deux séries d'évènements ?
C'est un puzzle de 260 pièces, euh, pages que nous propose Blatty avec "Dimiter". Chacune des pièces nous est distribuée par l'auteur avec une précision... diabolique, sans mauvais jeu de mots. Chaque élément est un rouage de l'engrenage final, chaque détail vient s'insérer dans le dessin final.
Et, pour mieux brouiller les pistes, Blatty trouble très habilement les frontières entre thriller classique et fantastique. L'utilisation de rêves, l'aspect miraculeux des guérisons, des symboles disséminés ça et là dans le cours du récit mais aussi des personnages aux curriculum vitae assez flous, tout cela contribue à créer une ambiance tendue tout au long du roman.
On ne sait absolument pas où nous emmène Blatty, tant sur le fond de l'histoire que sur sa forme jusqu'aux dernières pages. L'utilisation des interrogatoires, à plusieurs reprises, donne un aspect désincarné au récit qui ajoute au trouble ambiant d'un roman, finalement très noir où des thématiques différentes (que je ne vous révélerai pas, of course...) viennent se télescoper.
On ne peut tout de même laisser de côté l'aspect religieux des choses, au coeur de cette histoire qui se déroule à la fois, et ce n'est forcément pas un hasard, en Albanie, pays qui, dans sa période totalitaire, a vigoureusement prôné l'athéisme d'Etat, et à Jérusalem, ville qui concentre des lieux saints des 3 grandes religions monothéistes, certains servant même de cadre aux rebondissements de "Dimiter".
On se doute bien que cette question religieuse a une importance cruciale dans tout ce qui se passe sous nos yeux de lecteurs, mais Blatty fait tout pour qu'on ne puisse pas soupçonner les mobiles des uns et des autres, qu'ils soient spirituels ou bassement terre à terre.
Enfin, dernier point qui n'aide pas le lecteur mais le pousse à vouloir aller au bout pour comprendre, c'est le personnage de Dimiter lui-même. L'insaisissable Dimiter, devrais-je écrire. Une légende de l'espionnage mondial, un tueur impitoyable qui a toujours rempli les missions que lui a confiées son employeur : la CIA.
Qui est vraiment Dimiter ? Eh bien, on ne le sait pas ! L'avantage du livre sur le film, c'est qu'on peut aisément et sans trucage particulier laisser dans l'ombre un personnage. Dimiter m'a rappelé l'héroïne mise en scène par Ayerdhal dans son thriller "Transparences", un personnage que personne n'est capable de décrire, comme si elle n'imprimait pas la rétine de ceux qui la croise.
Il est comme ça, Dimiter, un caméléon qui ne laisse derrière lui que des photos floues et imprécises et des descriptions banales à souhait. Un fantôme, sacrément efficace dans son job, mais dont personne ne semble vraiment connaître la raison de sa présence en Albanie. Que dire, alors, de son hypothétique présence en Terre Sainte ?
Dimiter a le rôle titre du roman, le rôle central aussi, puisque toute l'intrigue s'articule autour de lui, et pourtant, il faut attendre la fin du livre pour savoir qui il est. Un bel exercice de style !
Là encore, Blatty joue avec les symboles, dont le personnage de Dimiter semble être presque composé entièrement. Là encore, je ne peux pas trop en dire, trop d'indices risquant de vous dévoiler trop d'éléments clefs de l'histoire...
Qu'elle est frustrante, cette chronique ! Qu'il est difficile de vous parler de ce livre qui m'a intrigué deux jours durant ! Mais on peut dire toutefois qu'il s'agit encore d'un affrontement entre le bien et le mal, comme "l'exorciste", comme si "Dimiter" était le négatif du classique de Blatty.
Reste que "Dimiter" est une lecture très étrange, très déroutante, sans doute déconcertante pour certains lecteurs. Peut-être le dénouement vous laissera-t-il sur votre faim, car il est assez elliptique, mais voilà bien 4 ou 5 heures que j'ai terminé ce roman et je suis toujours incapable de dire s'il faut ou pas ajouter au mot thriller celui de fantastique.
Mais le chemin tracé par Blatty est volontairement tortueux, comme nos vies, comme nos destins.
Voici un lien pour éclairer votre réflexion. Ce n'est pas forcément un spoiler, mais attention tout de même.
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