Que ceux qui ont vu l'astuce vaseuse cachée dans le titre de ce billet lèvent le doigt ! J'en vois deux... Normal... Mais oublions mon manque d'inspiration et penchons-nous sur un polar nocturne, plutôt original dans la forme, dont l'ambiance et le personnage central ont de quoi donner envie de poursuivre l'aventure d'une série lancée avec ce premier tome. Olivier Gay, auteur éclectique, puisqu'il écrit également des romans de fantasy, nous invite dans le Paris-by-night des clubbeurs-teufeurs pour une enquête à la fois sombre et pleine de cynisme. Un truc à me rendre casanier si je ne l'étais pas déjà... "Les talons hauts rapprochent les filles du ciel" est désormais disponible en poche aux éditions du Masque et je me suis bien amusé avec un roman fait pour ça.
Il se fait appeler Fitz. Parce John-Fitzgerald, comme prénom, ce n'est pas vraiment passe-partout. Beau gosse et fainéant, amateur de virées nocturnes et de jolies filles pas très farouches, il mène une vie de bâton de chaise entre une chambre de bonne des beaux quartiers de la capitale où il ne fait que dormir la journée, et les boîtes les plus à la mode de Paris, où il deale pour gagner sa croûte.
Son réveil-matin sonne vers 20h, il va ensuite approvisionner sa clientèle fidèle qu'il mène par le bout du nez poudré, visitant plusieurs clubs en vue afin de gagner de quoi assurer un train de vie raisonnable. Ses parents le croient VRP, il serait malvenu, et pas seulement vis-à-vis d'eux, d'étaler des signes extérieurs de richesse inopportuns. Ensuite, tel un personnage d'une chanson de Dutronc, il rentre se coucher à l'heure où le vulgum pecus se lève...
Un beau jour, ou peut-être une nuit, près d'un bar... Euh, non, soyons sérieux. Une nuit, alors que Fitz est en plein boulot (mais, j'ai dit qu'on était sérieux, là !), il est apostrophé par une charmante jeune femme qu'il connaît bien. Et pour cause, ils ont été amants un petit moment, avant de rompre. Il faut dire que Jessica, c'est le nom de l'ex, est flic, ce qui n'est pas très bon pour les affaires de Fitz...
Mais, la demoiselle a une raison en béton pour venir le voir et des arguments très convaincants pour qu'il l'écoute... Dans tous les cas, ce sont des photos. Compromettantes pour Fitz, abominables pour les autres. De jeunes femmes massacrées, voilà ce que lui montre Jessica. Et, pour fermer les yeux sur sa petite entreprise qui ne connaît pas la crise, elle lui demande un coup de main pour coincer le malade qui fait ça...
Les victimes sont toutes des oiseaux de nuit, il est fort probable que ce soit dans une boîte de nuit, si possible sélecte, que les victimes aient rencontré leur bourreau. Alors, voilà, la taule ou jouer les indics, ça ne laisse pas vraiment le choix à Fitz qui, malgré une aversion certaine pour la profession de Jessica, tient bien trop à sa liberté pour jouer avec le feu.
Aidé dans un premier temps par deux de ses clients réguliers, Deb et Moussah, puis par Mei, sa dernière conquête en date, Fitz se lance dans son enquête. Et, à sa propre surprise, il se prend au jeu... Sauf que ce n'est pas du tout un jeu. Et que, bientôt, Fitz va avoir des raisons très personnelles de retrouver l'assassin.
Le garçon égoïste, je-m'en-foutiste et paresseux va se prendre pour un justicier. Une mission pour laquelle il n'est pas franchement taillé. La nuit qu'il connaît, c'est celle des spotlights, des musiques de danses de jeunes, des soirées récréatives avec alcool à gogo et poudre en bonne quantité, des aubes abîmées et des gueules de bois sauvages...
Là, il va entrer dans la nuit noire, sale, dangereuse. Le décor bling-bling tombe et c'est un univers violent, où règne la loi du plus fort, où la misère, l'ennui, le désoeuvrement et le désespoir se combattent à coup de verres au prix exorbitant et de sniffettes prises sur des tables collantes ou dans des chiottes sordides... Un univers hanté par des créatures bizarres qui, la plupart du temps, jouent les Dr Jekyll et Mister Hyde entre leur vie diurne et leurs transgressions nocturnes...
Le beau Fitz, étoile brillante au firmament des fêtards mondains, tiré à quatre épingle et qui a toujours soigneusement évité les ennuis, va devoir se frotter aux brutes mal dans leur peau et un tantinet avinés, aux rues sombres et hostiles, aux facettes les plus sombres de l'âme humaine aussi... Chasseur, sa discrétion pachydermique et sa maladresse de détective de pacotille risque bien de le mettre dans une situation bien inconfortable...
Voici typiquement un roman ultra-classique dans le fond et qui se démarque par sa forme. Olivier Gay ne révolutionne pas le polar, mais réussi à en proposer une variante plutôt originale et amusante, sans perdre de vue son intrigue. Certains trouveront celle-ci un peu légère, voire prévisible, c'est possible, mais reconnaissez que ce personnage central, la faune nocturne qu'il croise et cette vie parallèle qui m'est totalement étrangère, moi, le gars qui déteste les boîtes de nuit et les bars lounge, font un formidable décor pour ce roman.
En le lisant, je me suis souvenu d'avoir il y a presque une quinzaine d'années, je dirai, "les morsures de l'aube", roman de Tonino Benacquista, adapté sur grand écran par Antoine de Caunes, qui nous plongeait de la même façon dans la nuit parisienne, sous ses aspects les plus clinquants, mais aussi les plus glauques... J'ai retrouvé chez Olivier Gay la même science pour créer des atmosphères.
La nuit n'est pas une femme à barbe, comme dans la chanson de Brigitte Fontaine. Elle n'est même probablement pas l'amie des noctambules qui ne peuvent pourtant pas se passer d'elle, comme de leur dose ou de leur bouteille. Non, la nuit est une chape, un voile obscur qui abrite aussi bien les amours, régulières ou interlopes, que les pires horreurs.
La nuit est un personnage à part entière de "les talons hauts rapprochent les filles du ciel", tout comme les lieux dans lesquels se déroulent le roman. Je pense aux rues de Paris, aux boîtes de nuit où le Francilien se montre et le Provincial s'encanaille. Sans oublier un dernier lieu dont j'aimerais vraiment vous parler, mais je ne peux pas le faire...
J'ai rencontré Olivier Gay à Epinal, je lui ai demandé si ce lieu fascinant existait, il m'a répondu que oui... L'exemple parfait de ce que je disais plus haut : un lieu qui, de jour, laissera indifférent ou, au mieux, tirera un petit sifflement poliment admiratif, mais qui, de nuit, rappellera les décors des "meilleures", séries Z horrifiques.
Dans ce décor, Olivier Gay installe des personnages hauts en couleur qui se cachent autant qu'ils se montrent, qui étalent leur réussite comme leur déchéance, fêtent une gloire éphémère ou une richesse héréditaire autant qu'ils noient la monotonie de leur grise existence et leurs échecs irréversibles ou entretiennent leur posture de losers magnifiques parfumés à l'after-shave 12 ans d'âge...
Ce monde, c'est celui dans lequel Fitz a choisi de vivre, pour des raisons très précises : gagner de quoi vivre sans trop se fouler. Je ne suis pas certain qu'il soit vraiment un noctambule comme les autres. Les boîtes sont son bureau, il y pointe, y exerce son métier, y drague mais préfère rentrer dans son "home, sweet home" impersonnel mais confortable pour y conclure de provisoires idylles.
Fitz, c'est un fantôme, pas un oiseau de nuit. Il est en retrait, observateur plus qu'acteur, apparaissant puis disparaissant au gré des deals, dans tous les sens du terme, qu'il conclut. De même, autour de lui, on trouve surtout des personnes qui fuient leur vie morne, qui font la fête et puis basta, mais n'ont pas forcément adopté le style de vie nocturne à 100%.
Mais, il va être amené à côtoyer ces personnages qui habitent la nuit, comme on habite un pays. Le gouffre est immense, comme si une barrière linguistique, philosophique, même, se dressait. Fitz avait un pied dans la nuit, Jessica lui a demandé d'y mettre le deuxième sans penser qu'il puisse plonger la tête la première dans un sacré marigot.
Olivier Gay sert cette intrigue et ce décor avec un style plein de cynisme et de désinvolture qui colle parfaitement à son personnage et qui réjouit le lecteur parce qu'il apporte cette touche souriante, un sourire en coin, qui manque un peu à cet univers nocturne. Une ironie que Fitz, comme tout bon personnage de roman noir qui se respecte, conserve en toutes circonstances, même les pires.
Lorsqu'il finit par terre, c'est la faute à Voltaire, le nez dans le ruisseau, c'est la faute à Rousseau, lorsqu'il joue les chiffonniers, y déchirant et y salissant irrémédiablement ses fringues impeccables et choisis avec soin, lorsqu'il se sent bien con devant sa naïveté et son inexpérience comme enquêteur, lorsqu'il... ah, non, ça je ne voue raconte pas.
Ce personnage tout en contrastes m'a bien plu. C'est quand même un cave, ce Fitz, l'absence d'ambition en quoi que ce soit personnifiée, une élégante forme de parasitisme. Ceci dit avec une grande affection, car il a bon fond, ce garçon, je vous assure ! Plus on avance, plus on découvre sous la parure du dealer cynique et insensible, un brave gars, plus inconscient que courageux mais sachant se dévouer et prendre des risques pour une cause juste.
Ne vous fiez pas à son prénom, fièrement donné par un papa qui devait, en la baptisant comme un célèbre président américain, souhaiter que son fils ne se laisse jamais abattre (merci, San Antonio). C'est à un autre Fitz que j'ai pensé, en lisant ce roman noir : Francis Scott Fitzgerald. Tendre n'est pas la nuit, ici, et il y a quelque chose d'un Gatsby chez ce Fitz-là...
Mais surtout, comme dans les romans de ce romancier américain mythique, j'ai ressenti ce mal de vivre qui se dissimule sous la brillance parfois luxueuse, parfois cheap, de cette vie nocturne qui m'attire encore moins maintenant et ne me fascine pas une seconde. Un mal-être qui ne touche pas que les personnages cités dans ce billet mais d'autres encore au point d'être probablement au coeur de cette histoire.
J'ai conscience que je fais un peu lecteur désabusé avec tout ce que je viens de raconter, et pourtant, je le redis, je me suis bien amusé avec ce premier roman d'une série que je poursuivrai, c'est certain. Dans cette collection de poche du Masque, qui m'a rappelé mon adolescence lorsque, durant les vacances chez mes grands-parents, j'allais piocher dans les romans d'Agatha Christie, mais surtout d'Exbrayat, plus conforme au style d'Olivier Gay, qui s'entassaient dans le couloir ou dans ma chambre...
Noir est ce roman, avec des ingrédients classiques et d'autres un peu moins, un ton qui fait naître le sourire sans masquer les drames et les recoins obscurs du monde et de l'homme. J'ai envie de voir évoluer Fitz, de le voir peut-être changer, ou tout du moins, de voir son regard sur la nuit changer. Je ne sais pas ce que me réservent "les mannequins ne sont pas des filles modèles" et "Mais je fais quoi du corps ?", les deux autres romans déjà publiés qui le mettent en scène, mais j'ai envie de le découvrir, en espérant retrouver le même plaisir.
Et, pour en savoir plus sur Olivier Gay et ses romans, policiers ou fantasy, sachez que juin est le mois d'Olivier Gay sur le blog Book en Stock. A vous de poser des questions et de lire les réponses de l'auteur à partir de dans 20 minutes, je suis pile à l'heure !
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