Tony Webster était adolescent dans les années 60, dans une Angleterre en pleine ébullition et révolution sexuelle. Pour Tony et ses deux inséparables amis, Alex et Colin, c'est une révolution douce. Leurs hormones sont en ébullition, on drague, on embrasse, mais on fait très attention, car la pire des catastrophes seraient de mettre enceinte une demoiselle...
Tout à leurs études, se prenant gentiment au sérieux, les 3 adolescents voient arriver dans leur classe un garçon qui les fascine aussitôt, Adrian. Un garçon différent de ce qu'ils sont tous les trois : "nous étions foncièrement déconneurs sauf quand nous étions sérieux ; il était foncièrement sérieux, sauf quand il blaguait", explique Tony.
Bref, sans vraiment faire partie de la bande, Adrian devient un proche des 3 autres et ils vont avancer ensemble vers l'âge adulte, se prenant pour des philosophes, affrontant ce passage avec leurs certitudes et leur intelligence. Même si les liens se distendent un peu après leur sortie de l'école et leurs débuts dans la vie d'adulte, ces quatre-là vont rester liés.
Mais ils vont faire leur vie, chacun de leur côté. Le chemin de Tony va le mener vers Veronica. Une relation va s'engager entre eux, qui reste platonique malgré les efforts de Tony qui aimerait bien aller plus loin. Mais elle se refuse à lui sans cesse et, au-delà de ça, reste un complet mystère pour le jeune homme.
Il ne la comprend pas, ne la cerne pas et sans doute cela l'attire-t-il plus encore vers elle. Leur relation est étrange. Elle l'emmène passer un weekend dans sa famille, lui présente ses parents, son frère, Tony en revient circonspect, ne sachant pas du tout si on s'est ouvertement moqué de lui ou s'il a été apprécié...
Il essaye de ne plus y penser, mais bientôt, Veronica rompt avec lui, presque soudainement. Il la voit une dernière fois, je vous laisse découvrir les circonstances de cette rencontre, et il passe à autre chose. Enfin, le croit-il. Car il apprend bientôt que Veronica s'est trouvé un nouvel amour. Un garçon qu'il connaît bien : Adrian.
La colère de Tony est telle que, sur le coup, il leur écrit une lettre pleine de son ressentiment. Une lettre violente, agressive, injurieuse... Il y déverse sa rage envers cette jeune femme qui l'a rejeté et vers ce jeune homme qu'il ne voit soudain plus comme un ami. Peu de temps après, une autre nouvelle qui le sidère : Adrian s'est suicidé...
Fin de la jeunesse de Tony. Fin de l'histoire...
Mais, de nos jours, 40 ans après toutes ces histoires de jeunesse, ces drames, bénins pour certains, terribles pour d'autres, cette période va resurgir dans la vie de Tony. Il est à la retraite, désormais. Il a connu une vie sans grandes histoires, marié, père, divorcé... Rien qui ne soit bien original, reconnaissons-le... Il a perdu ses cheveux, et sans doute pas mal d'illusions avec.
Lorsqu'un événement le ramène 40 ans en arrière, son cerveau va entrer en ébullition. D'abord, parce que la curiosité va se mettre à le titiller. Tout comme un autre sentiment, de plus en plus envahissant : la culpabilité. Se pourrait-il que Tony ait eu un rôle dans le suicide d'Adrian ? Il n'a plus de souvenirs assez clairs de cette période, mais ces événements les font remonter et, plus ça va, plus il se dit qu'il a des choses à se reprocher...
Alors, il va vouloir comprendre ce qui s'est passé tant d'années plus tôt, lui qui avait tourné la page, qui avait occulté, refoulé tous ces événements, toute cette période. Et le chemin qu'il va prendre lui réserve bien des surprises, quand le flou entretenu par les années qui ont passé va petit à petit se dissiper. Et que les écailles vont lui tomber des yeux.
Tony raconte ces deux périodes de sa vie et j'ai ressenti (mais c'est un avis de lecteur) une immense nostalgie dans ce récit. La nostalgie de la jeunesse enfuie, avec les bons et les mauvais côtés rassemblés pour faire un tout. Ce n'est pas l'eau de la Seine qui a coulé sous le pont Mirabeau, mais plutôt la Tamise sous le Wobbly Bridge. Pour le reste, le poème d'Apollinaire pourrait parfaitement illustrer mon ressenti sur ce roman.
Dans la deuxième partie du roman, Tony essaye de faire la lumière sur ce qui s'est passé quatre décennies plus tôt. Ses souvenirs ne suffisent pas, la documentation qu'il parvient à rassembler non plus. Reste cette nostalgie, pas de regrets, non, le temps passe, on n'y peut rien, mais des remords, c'est certain. A la fois pour ce qu'il suppose avoir fait mais qu'il ne parvient pas à se rappeler et pour avoir oublié ce qui a certainement été le plus bel âge de sa vie.
Cette deuxième partie, qui commence avec la résurgence inopinée de son passé dans la vie de Tony, est une espèce de puzzle mais aussi de kaléidoscope. Kaléidoscope, parce que les souvenirs qui se bousculent dans la tête de Tony ont des couleurs passées et des formes encore indistinctes, elles tournent sans s'arrêter, sans se fixer...
Puzzle, parce que Tony collecte des éléments au fur et à mesure de ce qui n'est pas formellement une enquête. Plutôt une quête, un retour dans la passé pour expier des fautes dont il ignore la teneur mais qu'on semble lui lancer à la figure. Sauf qu'il lui manque des pièces, des pans entiers du puzzle, en fait, pour pouvoir embrasser l'image globale de ce passé qui, désormais, le hante.
En fait, la séparation du livre en deux parties paraît ramener à cette virgule incongrue qui fait une césure dans le titre français (en VO, le roman s'appelle "The sense of an ending"). Elle m'a intrigué, cette virgule. Je ne comprenais pas sa présence sur cette couverture. Inutile et superflue en apparence, on se dit que si on l'a mise là, il doit bien y avoir une raison...
Cette virgule est la séparation entre les souvenirs conservés par Tony et ceux qu'il a enfouis au plus profond de son esprit et qui vont rejaillir lorsqu'on va se charger de réveiller sa mémoire. La réveiller, mais pas la rafraîchir. Ce sera à lui de farfouiller dans cette mémoire endormie comme un volcan et d'assembler les pièces ainsi collectées.
Mais cette virgule symbolise bien le jeu de miroir qu'il y a entre les deux parties, entre le Tony adolescent et jeune adulte et le Tony retraité, entre ce qu'ils vivent à 40 ans d'écart. C'est son passé qui répond aux interrogations qui hantent Tony dans son présent. Parce que la seule véritable source d'informations dont il dispose, c'est lui-même...
J'ai évoqué la culpabilité, ce qui est assez étrange dans ce roman, c'est qu'elle ne repose sur rien, a priori. Rien ne dit que Tony a fait quoi que ce soit pouvant avoir eu des conséquences. Et, si c'est le cas, il ne peut pas le savoir, même avec les idées claires. Ce sont les événements du présent qui font naître cette culpabilité, parce qu'on dirait qu'on veut le faire culpabiliser.
Il va lui falloir comprendre pourquoi, et cela mettra du temps. Même avec toutes les cartes en main, il va avoir bien des difficultés à les interpréter correctement. Et, comme le lecteur, il va tomber de haut quand la vérité va s'imposer à lui. Je suis d'autant plus tomber de haut que, ayant terminer le livre un soir, tard, très tard, j'ai dû relire 3 fois les dernières pages...
Je n'étais pas sûr d'avoir tout compris, je pensais avoir raté quelque chose. Et puis, à force de relire ces lignes, de reprendre les derniers éléments, de m'acharner sur les derniers éléments, les faits sont enfin parvenus à mon pauvre cerveau qui avait besoin de sommeil. Et je suis resté coi. Comme Tony, éberlué, reprenant le cours de sa vie comme dans un état second devant les implications de ce qu'il venait d'apprendre.
A côté de la plaque, il l'aura été jusqu'au bout. Et pourtant, tout était là, devant lui. Mais obnubilé par l'évidence, il a négligé le reste. Mais c'est ailleurs que s'est logée la responsabilité qui lui vaut la rancoeur qui habite la deuxième partie du livre et déclenche le processus de culpabilisation. Oui, Tony avait oublié qu'il s'était si mal comporté, il le redécouvre et s'en veut profondément. Mais...
Et si Tony culpabilisait, de façon totalement inconsciente, d'être encore vivant 40 ans après, alors qu'Adrian, le garçon qu'il a sans doute le plus admiré avant de la haïr du plus profond de son coeur ? Voilà ce que je me suis demandé. La vie de Tony, entre les deux périodes-clés, ces 40 années qui ont passé mais ne sont pas vides, est une vie tout ce qu'il y a de plus ordinaire.
Se projette-t-il dans le personnage exceptionnel et admirable qu'aurait pu devenir Adrian s'il n'avait pas choisi d'en finir prématurément ? Regrette-t-il de lui avoir survécu, lui, l'ordinaire ? Tony, me semble-t-il, vit depuis 40 ans avec ces doutes, ces regrets, là, pour le coup, il y en a, et ces remords. Avec la nostalgie de ce qu'aurait pu être sa vie si Veronica...
A plus de 60 ans, Tony fait son bilan, le bilan de ce qu'il a accumulé au cours de cette longue existence. "Si la vie est un pari, quelle forme prend ce pari", lit-on dans le roman. Et la métaphore se file sur les paris cumulatifs, lorsqu'on mise les gains obtenus suite à une course de chevaux sur la course suivante, par exemple.
Tony incarne ces parieurs qui misent leurs gains. Mais Adrian a tout perdu. Au point d'y laisser jusqu'à la vie qu'il ne pouvait plus assumer. "Une fille, qui danse" est un drame au rebondissement final très inattendu, mais c'est aussi un roman très british, plein de flegme. Julian Barnes met en scène le contraste souvent saisissant entre la jeunesse pleine d'idéale qui se termine dans une vie conformiste et sans éclat.
"On n'est pas sérieux quand on a 17 ans", écrivait Arthur Rimbaud. C'est l'irruption de ce sérieux dans nos existences qui bouleverse tout, nous impose des devoirs, d'assumer nos actes et les responsabilités qui en découlent. Le trio au coeur de ce roman s'est débattu 40 ans plus tôt avec ces questions. 40 ans, elle resurgissent chez Tony. Mais qu'en est-il pour l'autre, qui a vécu aussi ces 40 années sans rien oublier ?
Cette deuxième partie, qui commence avec la résurgence inopinée de son passé dans la vie de Tony, est une espèce de puzzle mais aussi de kaléidoscope. Kaléidoscope, parce que les souvenirs qui se bousculent dans la tête de Tony ont des couleurs passées et des formes encore indistinctes, elles tournent sans s'arrêter, sans se fixer...
Puzzle, parce que Tony collecte des éléments au fur et à mesure de ce qui n'est pas formellement une enquête. Plutôt une quête, un retour dans la passé pour expier des fautes dont il ignore la teneur mais qu'on semble lui lancer à la figure. Sauf qu'il lui manque des pièces, des pans entiers du puzzle, en fait, pour pouvoir embrasser l'image globale de ce passé qui, désormais, le hante.
En fait, la séparation du livre en deux parties paraît ramener à cette virgule incongrue qui fait une césure dans le titre français (en VO, le roman s'appelle "The sense of an ending"). Elle m'a intrigué, cette virgule. Je ne comprenais pas sa présence sur cette couverture. Inutile et superflue en apparence, on se dit que si on l'a mise là, il doit bien y avoir une raison...
Cette virgule est la séparation entre les souvenirs conservés par Tony et ceux qu'il a enfouis au plus profond de son esprit et qui vont rejaillir lorsqu'on va se charger de réveiller sa mémoire. La réveiller, mais pas la rafraîchir. Ce sera à lui de farfouiller dans cette mémoire endormie comme un volcan et d'assembler les pièces ainsi collectées.
Mais cette virgule symbolise bien le jeu de miroir qu'il y a entre les deux parties, entre le Tony adolescent et jeune adulte et le Tony retraité, entre ce qu'ils vivent à 40 ans d'écart. C'est son passé qui répond aux interrogations qui hantent Tony dans son présent. Parce que la seule véritable source d'informations dont il dispose, c'est lui-même...
J'ai évoqué la culpabilité, ce qui est assez étrange dans ce roman, c'est qu'elle ne repose sur rien, a priori. Rien ne dit que Tony a fait quoi que ce soit pouvant avoir eu des conséquences. Et, si c'est le cas, il ne peut pas le savoir, même avec les idées claires. Ce sont les événements du présent qui font naître cette culpabilité, parce qu'on dirait qu'on veut le faire culpabiliser.
Il va lui falloir comprendre pourquoi, et cela mettra du temps. Même avec toutes les cartes en main, il va avoir bien des difficultés à les interpréter correctement. Et, comme le lecteur, il va tomber de haut quand la vérité va s'imposer à lui. Je suis d'autant plus tomber de haut que, ayant terminer le livre un soir, tard, très tard, j'ai dû relire 3 fois les dernières pages...
Je n'étais pas sûr d'avoir tout compris, je pensais avoir raté quelque chose. Et puis, à force de relire ces lignes, de reprendre les derniers éléments, de m'acharner sur les derniers éléments, les faits sont enfin parvenus à mon pauvre cerveau qui avait besoin de sommeil. Et je suis resté coi. Comme Tony, éberlué, reprenant le cours de sa vie comme dans un état second devant les implications de ce qu'il venait d'apprendre.
A côté de la plaque, il l'aura été jusqu'au bout. Et pourtant, tout était là, devant lui. Mais obnubilé par l'évidence, il a négligé le reste. Mais c'est ailleurs que s'est logée la responsabilité qui lui vaut la rancoeur qui habite la deuxième partie du livre et déclenche le processus de culpabilisation. Oui, Tony avait oublié qu'il s'était si mal comporté, il le redécouvre et s'en veut profondément. Mais...
Et si Tony culpabilisait, de façon totalement inconsciente, d'être encore vivant 40 ans après, alors qu'Adrian, le garçon qu'il a sans doute le plus admiré avant de la haïr du plus profond de son coeur ? Voilà ce que je me suis demandé. La vie de Tony, entre les deux périodes-clés, ces 40 années qui ont passé mais ne sont pas vides, est une vie tout ce qu'il y a de plus ordinaire.
Se projette-t-il dans le personnage exceptionnel et admirable qu'aurait pu devenir Adrian s'il n'avait pas choisi d'en finir prématurément ? Regrette-t-il de lui avoir survécu, lui, l'ordinaire ? Tony, me semble-t-il, vit depuis 40 ans avec ces doutes, ces regrets, là, pour le coup, il y en a, et ces remords. Avec la nostalgie de ce qu'aurait pu être sa vie si Veronica...
A plus de 60 ans, Tony fait son bilan, le bilan de ce qu'il a accumulé au cours de cette longue existence. "Si la vie est un pari, quelle forme prend ce pari", lit-on dans le roman. Et la métaphore se file sur les paris cumulatifs, lorsqu'on mise les gains obtenus suite à une course de chevaux sur la course suivante, par exemple.
Tony incarne ces parieurs qui misent leurs gains. Mais Adrian a tout perdu. Au point d'y laisser jusqu'à la vie qu'il ne pouvait plus assumer. "Une fille, qui danse" est un drame au rebondissement final très inattendu, mais c'est aussi un roman très british, plein de flegme. Julian Barnes met en scène le contraste souvent saisissant entre la jeunesse pleine d'idéale qui se termine dans une vie conformiste et sans éclat.
"On n'est pas sérieux quand on a 17 ans", écrivait Arthur Rimbaud. C'est l'irruption de ce sérieux dans nos existences qui bouleverse tout, nous impose des devoirs, d'assumer nos actes et les responsabilités qui en découlent. Le trio au coeur de ce roman s'est débattu 40 ans plus tôt avec ces questions. 40 ans, elle resurgissent chez Tony. Mais qu'en est-il pour l'autre, qui a vécu aussi ces 40 années sans rien oublier ?
Merci, merci pour le partage, ce livre est conseillé par les inrocks de la semaine dernière, ton article vient d'achever de me convaincre.
RépondreSupprimerUne très bonne journée JD !