dimanche 29 mars 2015

"Ma famille, tous toubibs depuis Molière".

Une petite heure. Voilà le temps qu'il vous faudra pour dévorer d'une traite notre livre du jour. Un bref roman très drôle et plein de fantaisie sur un monde pas toujours joyeux, celui des hôpitaux. Et des aréopages médicaux, si souvent sérieux et compassés, et, ici, passés à la moulinette par un des écrivains français contemporains les plus allumés : Daniel Pennac. Folio vient de publier en poche "Ancien malade des hôpitaux de Paris", que Gallimard avait publié en 2012. On y retrouve tout à la fois la légèreté, le sens du comique et de la dérision de l'auteur, mais aussi ce sens de l'observation qui égratigne sans aucune méchanceté. Une soixantaine de pages, menées tambour battant et crescendo, jusqu'à la chute finale, hilarante et remarquablement bien vue. Un petit bonheur de lecture, sans prise de tête, juste pour passer une bonne après-midi dominicale quand il pleut et fait frais dehors et que l'ambiance générale est bien pourrie...



L'inconvénient, quand on est écrivain et qu'on est un peu connu, c'est qu'il arrive qu'on vous reconnaisse. Une fois encore, l'auteur est interpellé par un homme qui n'a jamais sans doute lu aucun de ses livres, mais c'est qui il est. Et, ça tombe bien, il en a une bien bonne à lui raconter. Une histoire qui pourrait, pourquoi pas, inspirer à l'écrivain, un des romans bien tordus dont il a le secret...

Commence alors le monologue de Gérard Galvan, celui d'une nuit de garde pas comme les autres qu'il a vécue il y a une vingtaine d'années, alors qu'il était tout jeune dans cette carrière médicale à laquelle les membres de la famille Galvan semble inéluctablement destinés depuis des générations. Jeune et ambitieux, rêvant à sa future carte de visite, véritable panégyrique sur rectangle Bristol, Galvan se donne corps et âme.

Lors de ces gardes de nuit, alors que les urgences ne désemplissent pas, que les malades s'accumulent et doivent patienter (dans tous les sens du terme) pendant des heures, Gérard Galvan multiplie les diagnostics, soigne à tour de bras, réconforte, aiguille vers les autres services les malades les plus touchés et doit faire des choix, parce qu'il ne peut pas s'occuper de tout le monde en même temps.

A Gérard Galvan, incombe ce choix au combien injuste du choix, des priorités, des patients qui vont accéder aux soins rapidement et à ceux qui vont devoir poireauter encore et encore, parce que leur cas ne semble pas, à vue de nez, trop grave. Mais, parfois, l'instinct... Alors, quand un homme que Galvan voit depuis des heures dans la salle d'attente, s'effondre d'un seul coup, tout bascule.

L'homme va mal, très mal. Galvan le croit même mort, un instant, tant il a semblé tomber comme une masse. L'interne déclenche aussitôt le branle-bas de combat, car il faut certainement intervenir au plus tôt, dans l'espoir de sauver ce malheureux bien mal en point. Les symptômes semblent indiquer que le patient va devoir illico passer sur le billard.

Alors, Gérard Galvan s'efface, parce qu'il n'est que l'interne, en charge des urgences. Place aux spécialistes, ceux dont les cartes de visite sont déjà bien remplies, les pontes, les sommités du monde médicales, qui ne se déplacent pas pour un ongle incarné ou un petite grippe saisonnière, mais pour des problèmes sérieux qui vont nécessité autant leur savoir que leur savoir-faire.

Après la panique du premier moment, la confiance revient, l'homme sera entre de bonnes mains, vite et bien soigné et on n'en parlera plus... Mais, Gérard Galvan n'est pas au bout de ses peines. Car, des patients comme celui-là, on n'en croise pas souvent dans une vie de médecin, qu'on soit débutant ou chef de service expérimenté.

Non, ce patient-là, débarqué précisément ce soir-là, alors que Gérard Galvan était aux commandes des urgences de l'hôpital dont il rêvait de devenir lui-même un de ces pontes, non plus docteur, mais Professeur, Professeur Gérard Galvan, ça en jette, n'a rien à voir avec les patients habituels qui s'entassent dans ce service. Celui-là va carrément mettre l'hôpital entier sens dessus dessous.

Vous aimez "Dr House" ? On s'attend presque à le voir débarquer, boitant bas, s'appuyant sur sa canne, l'air préoccupé et l'oeil qui frise. Parce que ce patient, celui dont Gérard Galvan a hérité ce jour-là, il aurait pu tout à fait être au coeur d'un épisode de la fameuse série médicale. Et, de l'interne aux plus "cartedevisités" des médecins de l'établissement, on va s'arracher les cheveux.

Non seulement ce patient est insaisissable, malgré sa prostration, mais en plus, les catastrophes vont s'enchaîner, au point de faire oublier à Gérard Galvan tous ses rêves de gloire, telle Perrette et son pot au lait, voyant s'envoler ses veaux, vaches, cochons, couvées... Le faisant douter de sa vocation, lui, le dernier rejeton d'une lignée de médecins !

Mais qu'a-t-il donc, ce gars-là ? Eh oui, tout est là. Le titre de ce billet est une phrase prononcée par Gérard Galvan au début de son monologue. Et ce taquin de Pennac joue avec cela, la médecine d'aujourd'hui, qui possède un savoir immense, mais parfois se retrouve confrontée à l'incompréhensible.

Cette nuit-là, les urgences vont ressembler à ces pièces de Molière où les médecins, ces doctes savants parlant latin et si sûr de leurs savoir, entourent le patient en énonçant leurs vérités, rapidement contredites par les faits. Il ne leur manque que la veste noire et le chapeau haut de forme sur la tête. Les blouses blanches qui les remplacent n'y changent rien, les pontes sont changés instantanément en Diafoirus.

A ce propos, bravo à Manu Larcenet, qui signe la couverture de cette édition Folio. Une illustration parfait, parce qu'on y retrouve à la fois ce qui se passe dans le livre de Pennac, tout en rappelant ces scènes des pièces de Molière dont nous nous souvenons pour la plupart, après avoir planché dessus à l'école.

Plus de clystères, mais un sacré mystère à résoudre, pour Gérard Galvan. Un interne qui n'est pas au bout de ses peines, car, si le livre est court, sa nuit de garde, elle, est terriblement longue... Et ce n'est pas fini ! On suit les péripéties de cette folle soirée le sourire aux lèvres, en rigolant même franchement par moment, tant Pennac est capable d'insuffler de burlesque même dans une situation potentiellement dramatique.

Je me suis énormément amusé avec cette histoire de cartes de visite, running gag qui sert de fil conducteur à cette histoire, et qui semblent avoir remplacé les diplômes comme preuve irréfutable de savoir et de talent. Quelques centimètres carrés de papier, plus ou moins épais, plus ou moins chics, selon le niveau et les moyens. Et quelques lignes, pur concentré de vanité qu'on affiche fièrement.

Et puis, j'ai aussi vu remonter quelques souvenirs personnels, lorsque j'étais moi-même patient avec des symptômes difficiles à déchiffrer. Bon, pas au point de ce lui que doit prendre en charge Gérard Galvan, n'exagérons pas. Mais, je me rappelle de certaines scènes, de certaines phrases, qui n'auraient pas déparé chez Pennac. L'humour noir, un bon antalgique !

Il n'y a jamais de méchanceté, chez Pennac. Son humour fait mouche sans être blessant, il raille sans mépriser. Ici, ce sont les mandarins du monde médical, parfois un peu perdus dans leurs tours d'ivoire (ivoire, comme la couleur du papier de leurs cartes de visite, tiens) qui en prennent pour leur grade, peut-être parce qu'il leur arrive d'oublier qu'il ont pour matière première des êtres humains.

Attention, ne nous méprenons pas. Le pauvre bougre qui souffre mille maux sur son brancard, ils veulent le sauver, c'est indéniable. Mais, son cas les excite par sa complexité et le diagnostic devient alors oeuvre d'art. Celui qui décrochera la timbale en trouvant de quoi souffre le malade et contribuera à la soigner pourra ajouter une ligne à sa carte de visite, un titre de gloire à son palmarès.

C'est cette vanité-là que dénonce, rigolard, le créateur des Malaussène. Celui qui fait de la science, du savoir, un outil de gloriole, pas franchement désintéressé. Et le patient, dans tout ça ? Qu'est-il réellement aux yeux de ces importants ? Il y a dans ce "Ancien malade des hôpitaux de Paris", quelque chose d'une fable où Pennac se mue en moraliste. Et il y parvient avec brio.

3 commentaires:

  1. je ne lis pas ton billet en entier de peur que tu ne dévoiles beaucoup ! mais ce petit livre me fait de l'oeil et je me demandais si Pennac avait renoué avec cet humour si particulier, un peu pince sans rire parfois. Son écriture a fini par me lasser à partir de Chagrin d'école que je n'ai pas apprécié. Depuis je le boude un peu mais j'essaierai celui-ci ;)

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  2. moi j'ai tout lu (ton article) et je conserve l'envie de le lire (le roman)

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  3. Moi c'est fait, et j'ai adoré cette lecture, de Pennac je n'avais lu que la fée carabine, j'ai retrouvé son humour particulier, cette façon de mettre le doigt sur les choses qui dérangent, et de faire passer un message avec humour.

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