dimanche 3 avril 2016

"Ce n'est pas un adolescent colérique, c'est une menace de violence incarnée (...) L'incarnation d'un Génie-d'Ombre".

La fantasy nous emmène souvent dans des univers qui, s'ils sont différents en fonction des auteurs, se ressemblent parfois beaucoup. Les univers médiévaux, qui sont majoritaires, sont pourtant désormais concurrencés par des univers rappelant des époques historiques différentes ou mélangeant différents aspects. Au fil des billets sur ce blog, et je ne suis pas un lecteur exclusif de fantasy, j'espère vous proposer une palette assez large dans ce domaine. En voici un nouvel exemple, avec un premier roman, certainement pas exempt de défauts, mais assez original dans le fond, comme dans la forme, on le verra, et qui nous propose quelques idées très intéressantes. "Eos", de G.D. Arthur, publié aux éditions Mnémos, met en scène un personnage central qui n'a rien d'un héros sans peur et sans reproche, plein de défauts, jeune homme manquant encore de maturité et traînant derrière lui un passé douloureux... Mais nul doute qu'une fois tournée la dernière page de ce roman, sans doute le premier volet d'un cycle à venir, on a très envie de découvrir la suite...



Eos est un adolescent, orphelin depuis près d'une décennie. Son père et ses deux grands frères sont morts dans une guerre féroce qui s'est déroulée alors, et sa mère a été emportée par le chagrin. Une situation qui a laissé des traces, chez l'enfant, qui ne parvient pas vraiment à tourner cette page douloureuse.

Depuis cette triste période, Eos vit au sein de la famille de son oncle, avec Lucran, son cousin, qu'il appelle son presque frère. Rêveur, volontiers solitaire, le garçon se destine à devenir barde. Il partage avec Lucran et une jeune femme prénommée Liara une espèce de ménage à trois qui, s'il est toléré, fait discrètement jaser leur entourage.

Mais, Eos, sans doute de part son passé, est aussi un garçon imprévisible, au caractère bien trempé et à la langue bien pendue. Il monte vite dans les tours et ses colères sont homériques, aussi hautes en couleur que son langage sait être fleuri. Oui, Eos est un irascible et un susceptible qui jure souvent comme un charretier...

Lorsqu'on le rencontre, Eos a rejoint, avec sa nouvelle famille, une communauté d'une trentaine de personnes qui s'apprête à quitter la ville où ils habitaient jusque-là pour aller en fonder une nouvelle dans un endroit isolé. La colonie s'appellera le Val-de-la-Lune et ses fondateurs espèrent la bâtir selon des préceptes plein d'espoir et d'utopie.

Et, les premiers mois, tout se passe comme désiré, la communauté trouve son rythme et s'installe dans cet endroit, en marge de la République encore jeune qui préside désormais aux destinées du pays, mais sans la rejeter. Non, il s'agit vraiment de vivre selon une philosophie propre, en quête d'un bonheur simple et sans entrave.

Mais, près de deux ans après la fondation du Val-de-la-Lune, ce qui ressemble de plus en plus à un village est brutalement attaqué. Les réserves de la saison, stockées en attendant d'être vendues, sont brûlées et une partie des bâtiments sont incendiés. Il faut, et c'est plus grave encore, déplorer quelques victimes, mais surtout, quelques enlèvements...

Au moment de l'attaque, Eos, toujours aussi caractériel, était parti calmer sa colère à l'écart du village, il ne peut que constater les dégâts à son retour... Et il décide alors de faire payer aux assaillants le mal commis au sein de sa communauté. Avec quelques hommes, il se lance à la poursuite de ceux qui ont détruit son univers...

Précision d'importance : depuis son installation au Val-de-la-Lune, Eos a beaucoup changé. Il a vieilli un peu, approchant de l'âge adulte sans forcément en avoir encore la maturité. Mais, plus inquiétant pour ses proches, son caractère colérique a pris un tour bien plus violent qu'auparavant... La faute à un événement, que je ne vais pas raconter ici, au cours duquel il a dû défendre sa vie...

Après ce drame, tout le monde a constaté des changements chez Eos qui s'est de plus en plus mis en marge de sa communauté. A son sujet, on peut même dire qu'elle est franchement divisée. Certains apprécient ce jeune homme courageux au passé difficile et qui ne rechigne pas à la tâche, malgré ses défauts ; d'autres le détestent ouvertement, pour son arrogance et son peu de respect envers les autres.

Lors de l'attaque sur le village, il va se muer en un féroce guerrier, ajoutant quelques lignes à sa légende naissante. Impressionnant et sauveur de la communauté pour les uns, il est, aux yeux des autres, un fou furieux, ingérable, qui a causé la mort de certains membres de la communauté par son impulsivité... Mais Eos, lui, se fout de tout ça...

L'attaque de la communauté du Val-de-la-Lune est le tournant de ce roman, celui qui fait basculer l'histoire dans une autre trame. Je ne veux pas en révéler trop sur les événements-clés de ce livre, mais sachez que l'expédition punitive mener par Eos va permettre la capture d'un des assaillants, et ce personnage-là va prendre une importance particulière, qui devrait encore croître par la suite.

Mais, si la situation change de tournure, c'est parce que les habitants du Val-de-la-Lune vont avoir besoin de l'aide de la République pour essayer de remettre leur projet sur pied et gérer les questions de sécurité. Ils n'imaginent pas qu'ils vont se retrouver embarqués dans un imbroglio politico-religieux qui les dépassent et n'a absolument rien à voir avec l'utopie qu'ils essayent de mettre sur pied.

J'ai parlé d'Eos, de son évolution, mais je vais poursuivre un peu. On a là un personnage qui est d'abord plutôt un antihéros. Un jeune homme un peu perdu, un peu pénible, aussi, disons-le. le genre de personnage qui devrait agacer certains lecteurs. Mais, cela en fait non seulement un personnage intéressant, tout sauf lisse, et assez attachant, au final.

On sent bien que l'absence d'une famille pèse lourd dans la construction de ce garçon. Oui, son oncle est son presque-père, Lucran son presque-frère, mais ce n'est tout de même pas pareil et cette blessure profonde, ces absences indélébiles sont certainement une des causes de cette rébellion, qui est plus une défense et une façon de masquer sa profonde tristesse.

Entre le début du roman et sa fin, ce n'est plus le même personnage qu'on a face à nous. L'adolescent rebelle et colérique devient un homme, endurci par de nouveaux drames, ce qui ne calme évidemment pas sa nature turbulente. Mais, sa manière d'assumer cela change aussi et, effectivement, il entre dans une spirale de violence qu'il doit maîtriser, sous peine de perdre toute raison.

Dans la première partie du livre, c'est lui qui tiens les rênes, mais, après l'attaque de la communauté, comme tous ses amis, il perd le contrôle et se retrouve bien malgré lui au milieu d'une terrible tourmente. Il devient même une sorte d'ennemi public numéro 1 et doit se mesurer non plus seulement à quelques adversaires mais à toute la République.

Il est maintenant temps d'évoquer l'univers dans lequel vit Eos. En ouverture de ce billet, j'évoquais les univers composites qu'on rencontre parfois au gré des lectures. En voici un bel exemple. D'abord, il y a quelque chose d'antique, avec une scène de pèlerinage pour débuter. Des offrandes aux dieux qui nous renvoient presque dans une cité romaine. Impression un temps renforcée par cette République récemment instaurée.

Mais, on change vite de facette. Et, allez, je lâche le mot, toute la première partie du roman, en incluant l'attaque de la communauté et la chasse menée par Eos, est... un western. Oh, oui, vous serez certainement surpris comme je l'ai été. J'ai d'abord cru me faire des idées et puis ça s'est confirmé au fil des pages et des chapitres.

La communauté à laquelle appartient Eos rappelle tous ceux qui sont partis à la conquête de l'Ouest, en chariots, emportant tout avec eux, s'installant au milieu de nulle part, avec l'ambition de créer son propre cadre de vie, en y insufflant une philosophie particulière. On est vraiment dans cette dimension lorsqu'on se lance dans la lecture d' "Eos".

Là encore, permettez-moi de ne pas entrer trop dans le détail, mais les événements aussi viennent rappeler ce genre inattendu dans un roman de fantasy qu'est le western. Pourtant, pas de Stetson, ni de colt à la ceinture, armement et technologie restent rudimentaires, mais s'accordent avec ce contexte si spéciale et, convenons-en, fort original.

Et puis, encore une fois, comme dans un théâtre dont la scène tourne entre chaque acte pour révéler un nouveau décor, on bascule dans un nouveau contexte dans la deuxième moitié du roman. D'abord, parce que l'action se déplace sur les terres de la République. Et, une nouvelle fois, surprise, cette République ressemble à celle née sous la Révolution française.

On a peu de détails sur la manière dont elle est née, cette République, on sait qu'elle a remplacé une monarchie et sans doute après la guerre qui a dévasté la famille d'Eos. Ensuite, dans sa structure, sa hiérarchie, on pourrait retrouver là encore des éléments antiques, mais quelques détails font changer d'avis, comme les différents titres qu'arborent les personnages importants du régime.

Là, effectivement, on retrouve plus ce côté révolutionnaire. Avec, en plus, une ambiance très spéciale qui semble évoquer la Terreur et les années qui suivirent. Là encore, je n'approfondis pas, il vous faudra vous faire un avis par vous-même. Et peut-être ne serez-vous pas d'accord avec moi sur ce contexte politique qui s'invite brusquement dans l'histoire.

Et puis, j'ai attaqué cette partie en évoquant le pèlerinage qui ouvre le roman, il ne faut pas oublier la dimension religieuse qui semble longtemps anecdotique avant de devenir centrale. Il faut mettre en lien cet aspect-là avec les assaillants du Val-de-la-Lune, puisque tout va découler de cet événement tragique et de la capture de l'un d'entre eux.

J'effleure, je survole, mais, de toute manière, je ne pourrais guère vous en dire plus même si je le souhaitais, car il faut reconnaître qu'il manque encore bien des clés de lecture dans ce premier tome. Pas mal de mystères demeurent et des questions restent en suspens. Tout comme l'évolution des deux personnages centraux que son Eos et celui qu'il a fait prisonnier.

Bref, vous l'aurez compris, il y a énormément de choses à découvrir dans ce livre, sans doute un peu foufou, un peu fouillis, mais c'est un premier roman, ne l'oublions pas. Il se passe énormément de choses et la forme aussi est parfois un peu déroutante. Ainsi, régulièrement, des passages plus poétiques interviennent, des apartés, des méditations, même si ce dernier mot n'est peut-être pas idoine...

Et puis, c'est même la tonalité générale qui est surprenante : est-ce le coté cow-boy d'Eos, mais le langage, le vocabulaire est sensiblement différent de ce qu'on trouve habituellement dans les romans de fantasy. Je le redis, Eos parle vraiment comme un charretier, on pourra même le trouver franchement vulgaire, mais cela fait aussi partie de ce personnage et de son affirmation.

Franchement, je n'ai aucune idée de la réception qu'aura ce livre, tout juste sorti, auprès des lecteurs, mais je crois qu'il ne laissera personne indifférent. Il y aura des fans et des détracteurs, et sans doute peu de monde entre ces deux extrêmes. En tout cas, Mnémos y croit, puisque la maison en a fait son coup de coeur en fantasy pour 2016.

En ce qui me concerne, je me suis bien amusé à découvrir cet univers complexe et plein d'inattendu. C'est très touffu, c'est vrai, peut-être un peu trop par moment, mais je dois dire que je me suis pris au jeu, au point d'être impatient de découvrir la suite. Car j'aimerais connaître les tenants et les aboutissants de la situation dans leur ensemble et obtenir quelques réponses aux questions que je me pose.

Et puis, on reste au final sur une sorte de cliffhanger très particulier. Cet ultime rebondissement touche à la fois Eos de manière individuelle, mais également dans sa relation aux autres personnages. Que va-t-il devenir, alors qu'il semble arrivé à un véritable tournant de sa jeune existence ? Sans oublier cet étrange prisonnier qui, lui non plus, n'a pas encore révélé tous ses secrets...

2 commentaires:

  1. Tu ne nous parles pas beaucoup du style de l'auteur... mis à part qu'effectivement, pour faire vulgaire, il a trouvé bon de faire répéter à son héros toutes les deux pages "chier chier chier"...

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    1. Comme tant de personnages de films ou séries répétant "Fuck" à l'envie... Je me suis bien amusé à cette lecture, j'ai mis les bémols que je croyais bon de mettre. Quant au style, je ne me sens toujours pas particulièrement légitime pour en juger. Je n'ai pas été gêné dans ma lecture et l'univers vaut le coup d'oeil. En attendant la suite, car il y en aura une : j'ai posé la question ;)

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