Il était une fois une galaxie, pas notre petite galaxie, mais une autre, fort, fort lointaine, mais non, pas celle là non plus, un coin de cet espace infini où il pourrait se passer tant de choses. Comme des quêtes qui font une trame parfaite pour des space operas. C'est un genre dans lequel excelle notre auteur du jour, à qui l'on doit le fameux cycle de Lanmeur. Mais Christian Léourier, puisqu'il s'agit de lui, nous emmène avec son nouveau roman dans une autre partie de l'espace, à la recherche d'une forme d'idéal mythique : "Sitrinjêta" (disponible en grand format aux éditions Critic). Un récit digne des épopées antiques où le personnage central devrait accéder au statut de héros même si son destin ne repose pas entre ses mains... Mais une quête fascinante, car elle va bien plus loin que le simple roman que nous avons devant nous et nous offre une allégorie de la création artistique...
Hénar Log Korson est un vieux de la vieille des voyages spatiaux, un Solarien qui n'a pas froid aux yeux. Au fil des années, il a multiplié les voyages commerciaux, accompagné par son fidèle second, Svaun. Mais, voilà qu'il a décidé de voler pour son propre compte, de remplir une mission qui lui tient à coeur et qu'il garde au fond de son esprit depuis sa jeunesse.
Mais, pour cela, il lui faut un vaisseau, car l'entreprise devrait le mener très loin. Alors, il fait jouer ses contacts. Pas les plus sympathiques, pas les plus fréquentables, mais quelqu'un de fiable : Skāatin, membre d'un peuple molluscoïde, qui vend tout ce qu'on lui demande, mais en suivant ses propres conditions, ses propres règles.
Hénar est prêt à tout pour se lancer dans l'aventure qu'il a en tête, y compris à se plier aux petits jeux stupides et dangereux de Skāatin et à accepter les clauses du contrat qu'il lui soumettra. A la clé, le Snekkja, qui serait parfait pour ce qu'escompte faire le pilote, mais il lui faudra accepter un équipage dont il se serait volontiers passé.
La confiance qu'il a en Svaun est totale, mais le capitaine estime qu'il aura besoin d'un équipage pour cette mission. Une dizaine de gaillards qu'il va devoir emmener avec lui dans une quête qui nécessite le secret. Lui seul connaît le but de ce voyage qu'il présente comme une affaire commerciale et il n'entend pas partager cette information avec quiconque avant d'être en vue de l'objectif.
Hénar demande autre chose à son interlocuteur. Un objet, que Skāatin a dans ses stocks. Un objet mystérieux qui nous est présenté sous le nom de "mastaba" et dont la fonction, tout comme le projet du capitaine, va rester un moment secrète. Seules informations à son sujet : il ne s'agit pas d'un objet anodin, il ne faut pas s'en approcher de trop près sous peine d'avoir de mauvaises surprises.
Le mastaba sera donc rangé dans un lieu confiné du Snekkja avec interdiction aux membres de son équipage de se rendre dans cette pièce. A bon entendeur, salut, et tant pis pour les curieux. Reste à trouver l'accord commercial entre les parties, pour finaliser l'échange. Il y a marchandage entre Hénar et Skāatin, et le "poulpe" propose alors un geste commercial à son client, un cadeau, dit-il même...
Et pas n'importe quel cadeau, puisqu'il s'agit... d'une femme. La proposition a de quoi surprendre, dans le fond comme dans la forme. Présenter une femme comme un cadeau est un peu déplacé, mais cela s'explique peut-être par le fait qu'on ne peut trafiquer les humanoïdes, les règles galactiques l'interdisent clairement...
Hénar n'est pas en position de force, refuser offenserait son partenaire commercial et, comme celui-ci ne lui inspire ni admiration, ni confiance excessive, il serait trop risqué de le fâcher. Y a-t-il anguille sous roche ? Le Solarien le redoute, bien sûr, tout cela semble trop simple pour être honnête, mais allez, il doit jouer avec des règles qui ne sont pas les siennes, le femme embarquera sur le Snekkja...
Désormais, le vol le plus important de la vie de Hénar peut débuter. Un vol qui ne sera pas simple, le Solarien le sait, car les régions à traverser ne sont pas toutes en paix. Il faudra être prudent, savoir louvoyer, peut-être se défendre, aussi. Et espérer que son objectif, contrairement à ce que croient la majorité des vivants, toutes espèces confondues, n'est pas un mythe...
Ce que recherche Hénar, c'est donc ce qu'on appelle Sitrinjêta. Cela, je peux vous le dire. Pour le reste, il faut rester plus que discret sur le but véritable après lequel court Hénar. Parce que c'est évidemment un des enjeux du roman, ensuite, parce que cela implique de nombreux éléments, présents et passés, qui vont jalonner le voyage du Snekkja et de ses passagers.
De la même façon, je n'évoquerai pas ou très peu le mastaba, ce chargement très spécial que Hénar a réclamé à Skāatan en même temps que le vaisseau et l'équipage, ainsi que cette mystérieuse présence féminine qui, elle, lui a été imposée. Cette dernière, vous la découvrirez par vous-même, avec toutes les questions qui se posent à son sujet.
Un voyage qui, comme prévu, n'aura rien d'un long fleuve tranquille. Il va falloir affronter les éléments extérieurs que pouvaient craindre Hénar et Svaun, mais ce ne sera pas tout. D'autres rebondissements vont se produire, d'autres obstacles vont se dresser sur le parcours de Hénar, qu'il lui faudra gérer, envers et contre tout...
Christian Léourier nous entraîne dans un univers qui est un peu l' "anti-Star Trek", si je puis m'exprimer ainsi. Dans la célèbre série et ses dérivés, civilisations et espèces se sont unies pour le meilleur, en particulier la paix. Dans "Sitrinjêta", ce n'est pas le cas, il y a bien des tentatives d'alliances et de fédérations, mais l'on comprend vite que c'est un peu un leurre...
Dans ces rassemblements, il y a toujours un dominant qui camoufle des ambitions impérialistes sous une volonté affichée de répandre la paix dans l'univers. Cela ne vous rappelle rien ? En découle, une instabilité permanente, des conflits qui dégénèrent rapidement, des puissances qui imposent leurs lois et leurs visions de l'univers.
Difficile de résister à l'envie de repérer à travers quelques détails donnés au fil des pages, des situations géopolitiques qui nous renvoient à des événements bien plus contemporains. Mais, indépendamment, cela donne aussi un univers complexe et dangereux, dans lequel chaque jour propose de nouveaux problèmes.
Il vient une autre comparaison en tête : celle d'un voyage à l'antique, une odyssée homérique dans ce futur lointain, dans cet espace infini. Des peuples, des cultures, mais aussi des créatures et des puissances qu'il faut ménager pour pouvoir avancer. Et, au milieu de tout cela, une espèce d'Ulysse, intègre, idéaliste, rêveur, même : Hénar et son objectif fou.
Petit à petit, alors que l'on voyait Hénar sûr de lui, certain du projet qu'il a soigneusement élaboré, détenteur respectueux du secret qu'il s'est imposé, bref, maître de son destin, on commence à se dire que les choses sont plus compliqués. Filons encore la métaphore mythologique et antique, car, à mes yeux, Hénar est un héros de tragédie.
Sa quête, on devine qu'elle est aussi un accomplissement. Individuel, mais peut-être pas seulement. Sitrinjêta est un mythe de cet univers et l'on peut y voir aussi bien quelque chose de tangible, de matériel, qu'une entité plus conceptuelle. Pour Hénar, c'est un rêve, mais ce rêve, c'est peut-être bien plus que cela. Le bonheur ? Oui, on pourrait l'appeler ainsi... Mais, j'y vois, moi, lecteur lambda, une utopie.
Oui, je m'aventure assez loin, là, je vous livre une vision très personnelle de ce roman, je ne garantis absolument pas sa justesse ou qu'elle colle parfaitement à la vision de l'auteur de son livre... Mais, c'est mon sentiment profond, avec cette dernière partie dans laquelle Hénar se retrouve au coeur d'un tourbillon qu'il a contribué à créer, mais dont il ne maîtrise rien...
Vous noterez que jusqu'ici, il n'a pas été question du tout de divinité, de dieu, encore moins de transcendance. Or, cette notion existe dans "Sitrinjêta". Elle apparaît et devient un des éléments importants du dénouement et du parcours de Hénar. Avec un regard assez passionnant sur cette question précise, presque une prise de contre-pied, comme si le Solarien voulait rester un antihéros.
Hénar, que l'on peut trouver dur, pas forcément très sympathique, ce qui peut d'abord être un signe de détermination, est avant tout un individu. Sa quête, il se lance dedans pour lui, avant tout, et compte en récolter les fruits. Il est égocentrique, notre brave Solarien, et se retrouve d'un seul coup face à une alternative collective...
Ce n'est pas qu'il ne veut pas de ce qui se cache derrière sa découverte, ce qu'il rejette, c'est ce rôle qu'on veut lui imposer. Son rêve personnel, son accomplissement, ce n'est pas cela, ce n'est pas ce qu'on veut lui faire endosser. La confrontation entre ces deux projets portés par un individu et une autre entité, de deux visions de l'existence, est l'enjeu majeur de ce roman.
Je ne voudrais pas achever ce billet sans parler d'un élément important de l'histoire : l'art. Et une notion qui est son corollaire, un peu ringardisée de nos jours, je trouve : le Beau. Là encore, difficile de trop remettre tout cela dans le contexte du roman, faites-moi confiance. Si le raisonnement qui suivra est uniquement de mon fait, ces éléments, je ne les invente pas, ils apparaissent tels quels.
Il y a une dimension esthétique avérée dans "Sitrinjêta". Dire qu'on s'attend à la retrouver, ce serait mentir. Mais, elle s'accorde bien à l'idée de rêve que nourrit Hénar, l'idée de quelque chose de grand, d'extraordinaire. De mythique ! Ce rêve n'est pourtant pas dénué d'intérêt (entendez : d'intérêt matériel), car Hénar évolue dans le commerce de longue date et cela influe aussi sur ses attentes.
Voilà, et j'en reviens à "mes idées à moi que j'ai" à la lecture de ce roman. J'y vois, en entremêlant les deux dimensions évoquées ci-dessus, naître une allégorie de l'artiste que pourrait incarner Hénar, entre le créateur qui suit son rêve, cherchant à en vivre, certes, parce qu'il le faut bien, mais dans une optique personnelle, presque égoïste et un statut qui dépasse ce cadre largement.
Un statut de star ? D'inspirateur ? De modèle ? Je ne sais pas comment appeler cela, mais en tout cas, la place qu'on veut bien donner à l'artiste. Je vais peut-être un peu loin, je n'en sais rien, on parle souvent de ressenti, concernant les billets de blog, dans le cas présent, c'est tout à fait cela. Cette vision n'est en rien une vérité, mais que vous la partagiez ou non, si vous avez lu ce livre, réagissez, je vous en prie !
Le space opera n'est pas un genre que je connais particulièrement, j'ai un peu de mal à me repérer dans l'espace et, en plus, on ne m'y entend pas crier... Hum, désolé... Sans doute, des lecteurs plus avertis, plus aguerris que moi dans le domaine y verront bien d'autres choses, mais ce côté épopée à l'antique transposée dans un futur et un univers lointains m'a intéressé d'un bout à l'autre.
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