jeudi 5 mai 2016

"Quelle merde, la fin du monde..."

J'aurais tout aussi bien pu choisir une autre phrase comme titre, du genre : "C'est un putain de conte de fées, cette histoire de zombies", mais à la fin, il n'y a pas trop de mariages, pas beaucoup d'enfants et on ne peut pas dire que les personnages soient particulièrement heureux, alors, restons-en à cette merde qu'est la fin du monde, ça colle mieux. Après une véritable histoire de fées, bon, un peu, beaucoup, à la folie déjantée, Karim Berrouka revient avec un roman apocalyptique de derrière les fagots, "le club des punks contre l'apocalypse zombie", qui vient de sortir aux éditions ActuSF. Et à ceux qui pourraient se dire que tout est dans le titre, je peux vous assurer que non, ce roman catastrophe sous... toutes sortes de substances, est un concentré de folie furieuse, de musique, punk, évidemment, mais pas seulement, de baston, de tripailles et de rêves anarchistes... La Révolution n'est pas un dîner de gala, mais le Grand Soir, lui, pourrait bien ressembler à une invasion de zombies affamés de chair fraîche...



C'est presque l'été, les jours rallongent, les nuits raccourcissent, mais peu importe, au 25, rue des Cataractes, à Paris, il n'y a pas d'heure pour la défonce et la musique qui fait saigner les oreilles à fond les ballons. A cette adresse, depuis un bail, se tient un squat tenu par "le Collectif du 25", une bande de punks très, très... euh, punks.

Il y a là Kropotkine, le théoricien de la bande, toujours prêt pour un long discours sur la philosophie anarchiste ; Eva, jeune femme que d'aucuns auraient l'audace de surnommer "Miss Antitout", pour souligner sa capacité d'engagement ; Mange-Poubelle, ainsi surnommé parce qu'il est freegan et un as de la récup' et qu'il a donc souvent le nez dans les ordures des autres. Et aussi parce qu'il n'est pas très copain avec le savon...

Il y a aussi Deuspi et Fonsdé, dont les surnoms résument assez parfaitement le mode de vie. Un état proche de l'Ohio qui fait qu'ils sont régulièrement à l'origine de grosses bêtises, et je suis poli, mais aussi qu'ils se moquent un peu des théories de Kropotkine. Leur vision de l'anarchie est moins organisée que celle de leur ami ; elle est plus... anarchique.

Manquent à l'appel, ce jour-là, Glandouille et Pustule, les deux punks à chien de la bande. L'été est là, ils ont donc opéré leur traditionnelle migration vers le sud, où la misère est moins pénible au soleil mais les oboles des touristes aussi peu généreux qu'à la capitale, accompagnés de leurs trois clébards, dont ils ne se séparent jamais.

Ce fameux jour, ce jour fatidique, la nuit a été agitée, provoquant l'ire d'Eva, qui aurait bien voulu pioncer. Pourtant, Deuspi et Fonsdé ne se souviennent pas avoir fait tant de bruit que ça, mais la mémoire de camés... Au réveil, toutefois, il devient évident que le bruit ne vient pas de l'intérieur du squat mais de la rue, habituellement tranquille.

Et là, stupéfaction : des êtres titubant mais féroces s'en prennent aux personnes qui ont le malheur de passer par là, se jettent dessus et... oui, c'est bien ça, les bouffent... Mange-Poubelle, le cinéphile du collectif, reconnaît la les symptômes d'une attaque de zombies... Impressionnant, mais carrément flippant...

Heureusement pour eux, les zombies se contentent de la voie publique et n'entrent pas dans les maisons, même menaçant ruine et hébergeant gracieusement une tribu de keupons. Donc, tant qu'ils ne sortent pas, pas de danger. Mais,à terme, il faudra bien aller au ravitaillement, car ce n'est pas parce qu'on a pour slogan No Future qu'on va se laisser mourir de faim.

Et cette première sortie va être l'occasion de superbes actions d'éclat, qui vont permettre à la cause anarchiste de marquer des points, mais, dans le même temps, "le Collectif du 25" va subir de terribles contrecoups... Démembré, désorganisé, déstabilisé, le collectif n'a plus que son nom pour affirmer son identité.

Commence alors une incroyable épopée punk, au coeur d'un monde ravagé par les mangeurs de viande humaine. Mais les zombies ne sont peut-être pas les seuls ennemis qu'il faudra affronter. Car, les punks du collectif ne sont pas les seuls à vouloir profiter de l'occasion pour fonder un monde nouveau. Et les autres, là, ils ne valent guère mieux que les zombies...

On n'ouvre pas un livre de Karim Berrouka sans s'attendre à y trouver de l'inattendu, de la folie, du grand-guignol et quelques bonnes pages de rigolade (à condition d'avoir l'esprit un peu tordu, quand même). Avec ce nouveau roman, on n'est pas déçu, il y a tout cela, et bien plus encore, en particulier un plongée dans la vie quotidienne et la culture punks tout à fait savoureuse.

Un monde que Karim Berrouka connaît bien, puisque, pour ceux qui l'ignorerait, il fut membre d'un des groupes les plus en vue de la scène punk française dans les années 1980, Ludwig von 88. Un groupe qui va d'ailleurs renaître prochainement, avec un concert, pardon, un pestacle annoncé pour le prochain Hellfest, au mois de juin.

Et il s'en donne à coeur joie, avec cette bande de déglingos, marginaux et fiers de l'être, luttant contre la société et le système tels qu'ils sont, recherchant l'occasion de toujours le saper, lui nuire... Mais là, la situation se retourne, puisqu'ils se retrouvent au coeur de l'action, devant assumer leur rôle de punks, avant tout, quand même, mais aussi mener à bien une mission qui leur échoit.

L'occasion tant attendue, en particulier par Korpotkine, de participer à l'avènement d'un monde nouveau et meilleur, plus juste, plus socialement acceptable, sur les ruines du système capitaliste honni. Une occasion sans doute unique qui va demander à chacun d'entre eux de donner le meilleur de lui-même, ce qui, pour certains membres du collectif, est sans doute inédit...

Et, dans cette quête, voilà que nos amis keupons se retrouvent inspirés par d'étranges visions. Vous me direz, vu la quantité de produits divers et variés que s'enfilent certains au quotidien, forcément, ça doit morfler au niveau des neurones. Oui, mais là, tous ont droit à ces rêves bizarroïdes, même à leurs yeux, c'est dire, et ils se demandent bien où tout cela va les mener...

Il faut dire que les aventures qu'ils vont traverser ne sont pas à piquer des hannetons. Moult dangers les attendent et leurs expériences de la vie punk ne seront pas de trop pour les surmonter, même si, pour cela, il leur faudra, parfois, faire quelques entorses à leurs idéaux. Ainsi, la très pacifiste Eva devra se résoudre à recourir à cette violence qu'elle vomit et combat en temps normal.

Mais, parmi ses amis, d'autres affronteront des moments encore plus terribles, comme Deuspi, dont le parcours, à lui seul, est l'occasion de bonnes tranches de rigolade, pouvant tourner en fous rires hystériques en fin de journée, 8 à 9 sur l'échelle de Beaufort... Mais ne comptez pas sur moi pour vous dire par quoi va passer ce pauvre garçon pour se sortir de l'ornière, il va vous falloir lire le roman pour le savoir.

Les aventures picaresques et grand-guignolesques des punks du "Collectif du 25" sont servies par l'écriture de Karim Berrouka, tranchante comme une lame, elle aussi au diapason des idéaux punks des personnages centraux et pleine d'images fortes qui, là encore, pour beaucoup, m'ont énormément amusé. Il faut se laisser porter par son histoire, plus comme si on se retrouvait dans un pogo que sur une mer d'huile, mais les quelques bleus récoltés en valent la peine.

On sent bien l'influence qu'ont pu avoir sur l'écriture de ce roman les classiques du genre zombies, mais Karim Berrouka s'amuse à en détourner les codes et les ficelles pour proposer quelque chose de différent, tout en conservant l'humour potache qui préside à certains de ces films gore. Ca fourmille d'idées, de trouvailles et surtout, la confrontation entre punks et zombies permet tout un tas de décalages très bien exploités.

L'imagination de Karim Berrouka est débordante, on le savait déjà, mais elle nous entraîne ici aux quatre coins de Paris et même un peu plus loin, avec la présence de quelques guests stars qui en prennent, forcément pour leur grade, et une foultitude de figurants zombifiés, pour un final qu'on attend gorissime, dans une débauche d'hémoglobine et de viande avariée.

Mais, là encore, l'auteur décide de nous surprendre. Oh, rassurez-vous, amateur de gore, il y en a, plein, d'un bout à l'autre, et vous adorerez la très seyante gamme de camouflages visant à circuler sans attirer l'attention des zombies... De la haute couture cradingue, certes, mais de la haute couture, et portée par les meilleurs mannequins possibles.

Oui, il nous surprend avec un dénouement qui, là encore, m'a fait glousser sans arrêt sur mon lit hier soir, alors que j'achevais ma lecture... Fidèle à son fil directeur qui est de placer les punks dans les situations les plus extravagantes pour eux, celles qu'ils rejetteraient absolument, avec force, vomi et insultes fleuries en temps normal, il leur offre une conclusion parfaite, et terriblement injuste...

Je compatis au sort de ces antihéros à crêtes et vêtements cloutés. Tant de risques, tant de dangers affrontés, tant de reniements, certes provisoires, mais tout de même, ça vous reste en travers de la gorge comme une épingle à nourrice, des trucs pareils, tant de boyaux répandus et de méchants salement zigouillés pour en arriver là... Karim Berrouka est vraiment un pervers !

Un dernier point, fondamental, la présence de la musique, tout au long du livre. La musique punk, évidemment, c'est la base, avec une revue assez complète du genre, si vous avez envie de découvrir, la play list est idéale. On retrouve d'ailleurs ce style jusque dans les titres des chapitres qui, si je ne me trompe pas, sont des paroles de chansons punks, ou légèrement remaniées.

Au fil de l'histoire, d'autres genres musicaux vont faire leur apparition et occuper une vraie place dans l'intrigue. On connaissait déjà les mariachis qui sauvait le monde de l'attaque extraterrestre dans "Mars Attacks", en faisant exploser la tête des petits hommes verts avec leur musique, olé ! Eh bien, ici, ce n'est pas tout à fait pareil, mais il y a une certaine filiation.

"La musique adoucit les moeurs" n'est définitivement pas un proverbe keupon, la musique doit mettre en transe, pousser au fight, s'extérioriser pleinement, expression la plus pure du message punk et de la rébellion qui l'accompagne. Mais, nos amis du "Collectif du 25" vont devoir faire avec d'autres genres musicaux qui ne sont pas du tout leur cup of tea, enfin, leur canette de bière, voulais-je dire...

Je vais faire un aveu : je n'ai pas une culture punk et anarchiste très développée. Et puis, de toute façon, pour la crête, ce n'est plus trop possible, sauf à se la jouer gang des postiches... Je préfère squatter mon canapé ou mon lit que des maisons abandonnés. Mais je me suis beaucoup amusé à la découvert des pérégrinations des punks berroukiens.

Il faut dire que, si on ressent une vraie bienveillance de l'auteur à l'égard de ses personnages principaux, il ne les épargne pas vraiment et se moque gentiment d'eux tout au long de son roman. Pas de jaloux, tout le monde en prend, collectivement et individuellement pour son grade, dans un livre forcément pleine d'ironie et de cet humour à froid dont Karim Berrouka est un grand spécialiste.

Que vous découvriez cet auteur ou que vous connaissiez déjà certains de ses écrits (dites, le Trévor que croise le club des punks, il ne vous a pas rappelé un peu le Lancelot version Berrouka de l'anthologie Zone Franche ?), laissez-vous tenter par ce roman, original et délirant, irrévérencieux et revendicatif, sur lequel flotte fièrement le drapeau noir.

1 commentaire:

  1. J'adore ta chronique ! Je viens de finir la mienne et je trouve que tu retranscris très bien ce que j'ai ressenti à ma propre lecture. C'est vraiment un très bon livre, je vais essayer de trouver quelqu'un à qui le faire lire.

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