Cette fois, c'est le der des ders, il l'a dit, dans la presse, autour de lui, partout. Le dernier roman... Après avoir écrit et publié plus de 200 livres, dans des genres aussi différents que le western, la science-fiction, le roman noir ou le roman historique. Et l'envie de croire qu'il reviendra sur sa décision, malgré les difficultés, les désaccords, la colère... "Braves gens du Purgatoire", qui vient de paraître en ce début d'année aux éditions Héloïse d'Ormesson, est donc le dernier roman de Pierre Pelot. Et un Pelot pur jus, ancré dans ses Vosges chéries, avec des histoires pleines de secrets, de non-dits et de noirceurs, des personnages ambigus et taiseux, et une jeune femme qui voudrait s'arracher à tout ça, sans vraiment y parvenir. Un roman noir, douloureux, aux allures de saga familiale, avec les gens du cru qui pensent tout maîtriser, et les autres, qu'on tolère, à condition qu'ils restent à leur place. Un malaise palpable qu'un drame terrible réveille brusquement... Et un personnage d'écrivain qui ressemble tant à Pelot lui-même, mais qui n'est pas lui...
Purgatoire est un bourg situé aux pieds des ballons, aux confins de trois régions, la Lorraine, où il se trouve, l'Alsace et la Franche-Comté, et de quatre départements. Une paisible petite ville qui est sans doute sur la pente descendante, économiquement, démographiquement, mais qui reste fidèle à son image, à son passé à ses traditions.
Oh, bien sûr, le tissage, qui a fait la fortune de la famille Rouy et a donné du travail à tant d'ouvriers et d'ouvrières pendant des décennies n'existe plus, désormais. La scierie Clavin, elle, tourne encore, mais sans doute pas à la cadence qui fut la sienne au milieu du XXe siècle. Et la station de ski des Hautes-Chaumes, fondée par les Derandier, offre un modeste pôle touristique tout au long de l'année.
Rouy, Clavin, Delandier, malgré les vicissitudes, les crises, les revers de fortune et les inéluctables évolutions de la société, ces trois familles restent les plus en vue de Purgatoire, les plus influentes, à défaut d'être encore puissantes. Comme si le temps qui passe n'avait pas de prise sur cet état de fait immuable.
Et puis, il y a les Bansher. Un siècle que deux membres de cette famille ont débarqué à Purgatoire depuis la lointaine Amérique. Ils se sont enracinés, même si on les regarde toujours un peu comme des étrangers, en tout cas pas du même oeil que les trois autres clans. Malgré les mariages, les alliances, et cet argent avec lequel ils sont venus là...
Maxime est un Bansher, marié à Anne-Lisa, une Delandier. Et tous les deux sont morts. Selon les premières constatations de la police, qui vont certainement devenir une vérité judiciaire, Maxime a tué son épouse d'un coup de fusil de chasse avant de se pendre dans le grenier. Un drame familial, comme le veut la pudique formule, qui néglige tant de choses au passage.
A Purgatoire, le choc est terrible. Tout le monde connaissait les deux morts. Et personne ne comprend ce qui a pu pousser Maxime à commettre ces actes d'une violence inouïe. Dans ce coin isolé, pas besoin que la rumeur coure pour se répandre... Et dès les enterrements d'Anne-Lisa et Maxime, on sent que la tension a monté d'un cran...
Les Delandier, qui ont perdu une des leurs, les Clavin et les Rouy semblent tendus comme des arcs et l'atmosphère est franchement pesante. Avec les Bansher au coeur des interrogations : Adelin, le fils de Maxime, et sa fille Lorena, âgée d'une vingtaine d'années, revenue travailler au pays, auprès des chevaux des Hautes-Chaumes, après avoir été vivre sa fin d'adolescence tumultueuse loin de Purgatoire.
Pour cela, elle reste considérée comme un trublion. Son histoire, son look, son caractère bien trempé, le mec avec qui elle s'est installée, un gars du Haut-Jura, Justin, tout ça fait d'elle un personnage à part dans le coin. Mais elle est une Bansher, alors elle connaît certainement quelques secrets qui ont pu être à l'origine du drame, pour tous, c'est une évidence.
Mais Lorena n'a aucune idée de ce qui a pu déboussoler Maxime au point de tuer celle qu'il aimait et de se suicider ensuite. Alors, elle décide d'aller poser quelques questions à celui qui est le plus à même de connaître les secrets des familles de Purgatoire : Simon Clavin. Celui qu'on surnomme l'écrivain, dans le bourg.
Comme Lorena, c'est un paria, le mot est peut-être un peu fort, mais disons qu'il est tenu à l'écart du reste de la communauté. Pas parce qu'il a écrit et que certains ont cru se reconnaître dans son livre, mais parce que c'est un bâtard. Il porte le nom de Clavin, c'est vrai, mais il n'est pas vraiment considéré comme un membre de la famille.
Cette première rencontre entre la jeune femme et l'écrivain ne débouche sur aucun scoop, mais une petite idée germe dans l'esprit de Lorena : et si la mort de Maxime et d'Anne-Lisa n'était pas ce qu'il paraît ? Et si tout cela n'était que la mise en scène macabre de deux assassinats ? Mais alors, qui aurait pu tuer ces deux personnes inoffensives ? Et pour quelle raison ?
Dans Purgatoire aussi, cette idée semble être privilégiée par les uns et les autres. Et l'on se demande quels secrets terribles ont pu ainsi être couverts, pour quelque temps encore. Car, à Purgatoire, la vie, ce n'est pas l'enfer, mais ce n'est pas le paradis non plus. Et, au fil des ans, tout au long du XXe siècle, nombreux sont les secrets qu'on a soigneusement enfouis et les problèmes qu'on a réglés discrètement...
Voilà le décor de ce roman planté. Je ne vais pas plus loin, car l'enquête de Lorena pour essayer de trouver une explication rationnelle, cohérente, au drame ayant frappé sa famille, va se heurter au silence du bourg, mais aussi à d'autres événements qu'il vous faut laisser découvrir. Et si vous pensez que la vie est calme et ennuyeuse au pied des ballons vosgiens, détrompez-vous !
Avec son savoir-faire habituel, Pierre Pelot décortique la vie de Purgatoire et de ses habitants, son histoire, aussi, depuis la fin du XIXe siècle et l'arrivée des Bansher, devenue légendaire (eh oui, déjà des histoires qu'on se raconte à la veillée, peu importe qu'elles soient avérées). L'occasion de retrouver quelques échos à "L'Ombre des voyageuses", "Maria" ou "Méchamment dimanche", par exemple.
Il dresse le portrait d'hommes et de femmes qui n'ont, pour la plupart, eu d'horizons que ces montagnes vosgiennes et cette campagne qui leur a tant apporté, jusqu'à ce que la modernité leur reprenne tout, ou presque. On comprend aussi ce qui fait de Lorena un personnage à part, justement parce qu'elle a rompu les amarres, même si elle est revenue au bercail.
Lorena, c'est une jeune femme de son temps. La vingtaine, ne s'en laissant pas compter et ne laissant personne lui dire ce qu'elle doit faire ou penser. L'indépendance, c'est certainement ce qui la caractérise et la fait sortir du lot, au sein d'une communauté où les lignes n'ont pas bougé depuis si longtemps.
Elle incarne à sa façon cette modernité qu'on redoute parce qu'elle a fait des ravages, alors on la regarde de travers. Et puis, c'est une Bansher, et cette famille toute entière n'est qu'une greffe que Purgatoire n'a pas rejetée en son temps. Mais aux yeux des habitants du coin, jamais ils ne seront au même niveau que les familles historiques et leur argent n'achètera jamais ce statut...
Lorena, c'est un beau personnage féminin, comme il y en a souvent chez Pierre Pelot. Elle est en quête de vérité et l'on sent bien qu'on redoute qu'elle puisse ouvrir la boîte de Pandore... Au point de devenir une cible ? D'être à son tour, si l'on part du principe que la mort de ses grands-parents n'est pas un meurtre suivi d'un suicide, menacée par des assassins au mobile inconnu ?
Parmi les personnages que l'on suit dans "Braves gens du Purgatoire", on pourrait vous parler d'Henri Rouy, personnage au combien attachant malgré sa folie. Le cinglé du village, il en faut toujours un, sauf que celui-ci a une histoire peu commune, qu'il vous faudra découvrir. Disons simplement qu'il est issu d'une des grandes familles de Purgatoire, l'une des plus riches par le passé.
On le surnomme Zébulon, surnom qui lui vient de son hyperactivité et de sa prolixité, qui tranchent avec le calme et le côté taciturne des braves gens de Purgatoire. Régulièrement, il fait des séjours en hôpital psychiatrique, après une crise, comme on dit, puis il revient, auprès de sa femme et de son fils, qui ont appris à ignorer ses extravagances et son mode de vie particulier...
N'en disons pas plus sur Henri, peut-être n'aurais-je même pas dû vous parler de lui, en fait. Mais, c'est un personnage qui m'a énormément touché, bouleversé, même, et dont le rôle, si particulier dans ce climat si lourd et menaçant, apporte une touche presque comique. Néanmoins, il ne faudrait surtout pas le réduire à ça...
Enfin, il y a Simon, l'écrivain. Là encore, nous allons parler de lui très brièvement, parce que l'homme qui pourrait être le dépositaire des secrets de Purgatoire, selon Lorena, a également les siens. Et son histoire va se dévoiler petit à petit au lecteur, jusqu'à nous aider à comprendre que son isolement n'est pas seulement le fait de sa supposée bâtardise...
Pourtant, il y a un élément important, chez Simon Clavin : il a de nombreux points communs avec un écrivain, et pas n'importe lequel, celui qui lui donne vie, Pierre Pelot. Oh, je ne vais pas faire la liste ici, ceux qui connaissent Pelot repéreront facilement certains de ces traits, de ces événements. Au-delà des faits eux-mêmes, c'est le travail de mise en abyme qui est important.
Car Simon Clavin n'est pas Pierre Pelot, et réciproquement. Pelot s'inspire de ce qui l'entoure pour créer ce personnage, mais il n'est pas son double, ni même son décalque. Et si je met cela en avant, ce n'est pas pour rien, c'est parce qu'on peut élargir cette question à l'ensemble du livre, et sans doute à la plupart de ses romans ayant pour cadre le département de Vosges.
Ce qui vaut une certaine méfiance à Purgatoire, c'est un livre qu'il a écrit sous pseudonyme et dans lequel des habitants du coin se sont reconnus... Or, pour Simon, c'est clair, aucun de ses personnages et encore moins aucune des actions qu'il leur prête n'est la réalité. Le réel est une source d'inspiration, et rien de plus, un jeu d'esprit, l'imagination réagençant ce que l'oeil a vu...
Bien sûr, à travers Purgatoire, on reconnaît Saint-Maurice-sur-Moselle, fief de Pierre Pelot, et l'on se dit que bien des faits racontés dans le livre ont été inspirés par des événements marquants, des tendances, des évolutions... Mais, cela reste un roman, et un roman noir, pas un livre d'histoire, un livre d'imaginaire, pas un essai...
En lisant 'Braves gens du Purgatoire", je me suis demandé combien de fois Pelot avait dû faire face à ce genre de remarques. Combien de fois moi-même ai-je pu lire certains de ses livres en m'adonnant à ce petit jeu... Un souvenir m'est aussi revenu : une dédicace dans une librairie de Remiremont, et des lecteurs apportant une carte sur laquelle ils avaient noté les lieux évoqués dans "C'est ainsi que les hommes vivent" pour suivre les mouvements des personnages...
Alors, oui, c'est le dernier roman de Pierre Pelot, rien que de taper ces mots, ça fait bizarre, quand on parle d'un écrivain aussi prolifique. J'ai déjà évoqué quelques clins d'oeil, on en trouve d'autres, comme ce personnage qui cite le poème d'Aragon, dont Pelot a rendu le vers affirmatif pour en faire le titre de son chef d'oeuvre (cité au paragraphe précédent).
On pourrait ajouter que le trio Lorena/Simon/Henri pourrait faire penser à celui de "L'été en pente douce", mais c'est peut-être aller un peu loin, tout de même. En tout cas, les relations entre les personnages sont ici sensiblement différentes, et c'est bien Lorena qui mène la danse, déterminée à comprendre, à découvrir la vérité. Une vérité.
"Braves gens du Purgatoire" est un roman noir et tendu, une tension qui ne faiblit pas au fil des 500 pages, au cours desquels ce n'est pas une vérité, mais bien plusieurs qui vont apparaître. On n'est pas au bout de ses surprises, avec un dénouement qui va mettre bien des choses en perspective pour le lecteur, mais plus encore pour les personnages.
C'est aussi un roman sur le temps qui passe, sur la transmission des souvenirs et des héritages familiaux, mais aussi sur l'oubli, parfois salutaire, parfois... nécessaire. Toutes les vérités ne sont pas bonnes à connaître et les secrets, les mensonges ont une véritable fonction sociale au sein de cette communauté. Mais le secret n'est pas une science exacte...
C'est le dernier Pelot, porté par cette plume formidable, belle et riche, puissant vecteur des tensions qui s'accumulent jusqu'à ce que l'orage éclate. Une écriture qui est la marque de fabrique de cet artisan qui a su, depuis plus de 50 ans, travailler les mots comme le ferait un menuisier, les marier entre eux comme le ferait un chef cuisinier...
On referme ce roman en sachant tout, enfin, de Purgatoire. On termine cette lecture sur une scène bouleversante, tellement symbolique aussi, qui semble être placée là pour nous rappeler que non, cette fois, il n'est pas la peine d'attendre la sortie du prochain Pelot, parce qu'il n'y en aura pas. Oui, c'est noir et violent, comme souvent chez cet auteur, mais c'est aussi un livre porteur d'une immense émotion.
Et, si l'on veut garder l'espoir de voir Pelot revenir sur ses déclarations (voeu pieux, ce n'est pas le genre de la maison), on se console en comptant les romans qu'on a lu et en se disant qu'il en reste encore tant à lire qu'on ne tombera pas en panne avant longtemps. Et qu'on pourra, dès que le besoin s'en fera sentir, ouvrir un roman de Pelot, noir, western, sf ou historique, et retrouver la plume d'un grand, un très grand écrivain.
Un dernier mot, tout de même. La couverture du livre est la reproduction d'un tableau signé Pierre Pelot. On le sait moins, la peinture est son violon d'Ingres et son travail mérite le coup d'oeil. Si vous voulez en voir plus, je vous invite à visiter la galerie virtuelle de Pierre Pelot, d'un simple clic sur le lien qui suit : https://www.pierre-pelot-galerie.fr/
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