"Il va falloir un jour qu'enfin je me décide à lire les livres que, depuis trente ans, je conseille à mes amis de lire". (Sacha Guitry)
mercredi 22 août 2012
« Chaque famille malheureuse est malheureuse à sa propre façon » (Tolstoï).
J’avais eu envie de lire le premier roman de Robert Rotenberg, « Silence radio », parce que son personnage principal était un animateur radio… Mais, j’avais été convaincu par ce thriller judiciaire plutôt bien construit, malgré quelques défauts, rien d’anormal pour un premier roman. Alors, apprenant la sortie au printemps dernier de son second roman, « l’enfant témoin », paru en grand format aux Presses de la Cité, il m’a semblé intéressant de poursuivre le chemin en compagnie de cet avocat canadien. Et, même si on se dit, dans les premières pages, que « l’enfant témoin » ressemble beaucoup à « Silence radio », la suite nous offre une enquête très intéressante et bien différente.
Alors que la procédure de son divorce doit s’ouvrir le jour même, Terrance Wyler est retrouvé mort chez lui. A Toronto, Wyler est une personnalité en vue, puisqu’il est membre d’une riche famille de la ville, fondatrice et propriétaire d’une prospère chaîne d’épicerie.
L’assassinat ne fait aucun doute. Et la piste la plus évidente conduit logiquement à la future ex-épouse, Samantha. Une femme abandonnée, puisque Terrance Wyler a refait sa vie avec une célèbre actrice, April Goodling. La jalousie pourrait être un mobile idéal d’un crime passionnel autant qu’intéressé (la fortune de Wyler est en jeu, puisque le divorce n’a pas été prononcé).
Mais, ce qui va tout changer et influencer fortement l’enquête, c’est le témoignage très crédible d’un petit garçon. Simon a 4 ans, il est le fils de Terrance et Samantha et sa garde aurait été l’un des grands enjeux du procès à venir, désormais caduc. Jusqu’à présent, et en attendant le verdict, Simon vivait chez son père. Il était donc dans la maison au moment de l’assassinat et, lors de la conversation délicate qu’il a avec l’inspecteur Ari Green, en charge de l’enquête, il explique que sa maman était dans la maison la veille au soir et qu’elle lui a dit, en pleurant, avant de partir, qu’il ne la reverrait pas avant longtemps…
Certes, n’avoir pour témoin clé qu’un enfant de 4 ans, voilà qui s’annonce compliqué, difficile. Mais comment ne pas, dans ces conditions, faire de Samantha Wyler la principale suspecte de cette affaire. Possessive, jalouse, irascible, cette femme a quelques antécédents qui ne vont pas peser en sa faveur au fur et à mesure de l’avancée de l’enquête, bien au contraire…
Ajoutez à cela la famille Wyler, parents et frères de la victime, qui hurle en chœur contre cette femme qui leur a pris leur parent pour toujours. Il faut dire que le clan Wyler semblait déjà bien remonté contre Samatha avant même la mort de Terrance, lui reprochant d’avoir isolé Terrance de sa famille, de l’avoir poussé à des choix professionnels douteux, d’avoir contribué à dilapider sa fortune…
Vous le comprenez bien, Samantha est bien mal embarquée, condamnée d’avance par le témoignage de cet enfant dont tout le monde dit qu’elle s’en occupait peu ou mal et pour lequel elle semble avoir retrouvé subitement des sentiments très maternels… Décidément, tout dans ses faits et gestes accable Samantha Wyler… Et les avocats chargés de mener la procédure, qu’ils soient du côté de l’accusation ou de la défense, en sont parfaitement conscients.
Les policiers, Ari Green en tête, également. Mais, leur expérience leur murmure aussi à l’oreille qu’une culpabilité aussi évidente l’est justement trop, évidente… Alors, consciencieusement, Green et son partenaire Daniel Kennicott, vont enquêter, sur Samantha, bien sûr, mais aussi sur tous ceux à qui ce crime pourrait profiter.
Car l’idée de traumatiser un gamin de 4 ans en en faisant le centre d’un tourbillon médiatique, en lui imposant de témoigner devant une cour, bref que des choses qui risquent de traumatiser douloureusement un enfant aussi jeune, ne plaît guère au procureur Jennifer Raglan, qui voudrait d’autres éléments de preuve impliquant Samatha Wyler et suffisants pour obtenir une condamnation en se passant du témoignage de Simon…
Les flics sont sur la même longueur d’ondes, Green en particulier, lui-même toujours embarqué dans une relation difficile avec son propre père, et qui a sympathisé avec Simon dès leur première rencontre.
Alors, on s’applique à rassembler des éléments contre Samantha Wyler, ou, s’il en existe, et malgré les apparences, en sa faveur. Ca passe par vider les placards de la famille Wyler des cadavres (au sens figuré) qu’ils contiennent forcément. Un clan qui se sert les coudes, le père en patriarche blessé, le fils aîné, Nathan, qui a repris l’entreprise familiale et le benjamin, Nathan, atteint d’une terrible maladie génétique qui le ronge lentement mais sûrement.
Et effectivement, cette famille très américaine (oui, je sais, l’action a lieu au Canada, mais les Wyler sont vraiment un exemple parfait de la famille nord-américaine) a bien quelques secrets, plus ou moins honteux, plus ou moins graves, plus ou moins suspects lorsqu’il est question du meurtre de l’un de ses membres, à cacher.
A Green et Kennicott de démêler l’écheveau, alors que Raglan, elle, doit construire un dossier contre Samantha Wyler le plus solide possible. Ils ne sont pas au bout de leurs surprises !
Comme « Silence radio », « L’enfant témoin » nous offre à la fois une enquête policière difficile, qui va basculer en un dénouement assez inattendu, bien loin des évidences, et un regard aiguisé sur le fonctionnement de la justice canadienne, qui pioche son fonctionnement à la fois dans les us et coutumes britanniques et dans le cérémonial américain.
Le travail du procureur et donc, le fonctionnement de l’accusation, avec tous les risques d’erreur et d’échec que cela comporte est très bien détaillé. Mais Rotenberg évoque aussi la question des conflits d’intérêt qui peuvent aussi se manifester en matière pénale. Jo Summers, amie chère de Kennicott va elle aussi se retrouver dans l’œil du cyclone, à la fois impliquée dans la procédure et détentrice d’un secret lourd à porter dans ce contexte…
Et puis, soulignons aussi le rôle donné à la presse, dans ce roman. Un rôle décisif, octroyé non pas aux journalistes de presse dite sérieuse, mais bel et bien à une journaliste de la presse people, eh oui ! En sous-main, la journaliste obtiendra infos décisives pour l’enquête et scoop parfait pour lancer une carrière…
Alors, je le redis, si le début de « L’enfant témoin » semble presque calqué sur « Silence radio », un meurtre découvert au matin par un tiers, un coupable désigné qui n’avoue pas, se tait… Et pourtant, bien que tout se concentre encore sur les relations familiales, au sens large, des protagonistes, l’enquête de ce second roman s’avère au final très différente et, j’ai trouvé, plus aboutie, également.
On sent que Rosenberg trouvé une formule qui fonctionne, ses personnages récurrents ont pris leur envol, il peut les laisser vivre leur vie en parallèle de leurs enquêtes et l’in prend plaisir à suivre l’enquête de police d’une part, et la partie juridique de l’autre. J’avais comparé « Silence Radio » à un épisode de New York District qui se passerait à Toronto, je garde ce sentiment, de part l’équilibre qui existe dans ce livre entre les scènes dédiées à l’ordre et celle consacrées à la loi (pour reprendre le titre originale de la série, « Law and Order »).
Avec Rotenberg, énième avocat nord-américain à se lancer dans la carrière de romancier, on tient un auteur en progrès, dont l’univers s’installe et qui devrait parvenir à se renouveler… Rendez-vous avec son troisième roman, j’espère, pour confirmer ces impressions. Mais je dois avouer que ce genre de polar juridique « calme », c’est-à-dire qui ne verse pas dans le thriller dopé aux stéroïdes mais laisse la part belle aux petites cellules grises et à une forme d’action plus réaliste.
Bref, encore un auteur à suivre. Oui, je sais, je vous dis ça à chaque fin de billet ou presque, mais que voulez-vous que j’y fasse ? J’aime qu’on me raconte des histoires , alors je m’enflamme ! A chacun ses goûts, et je suis certain que parmi ceux qui liront ces lignes, il y en aura qui adhéreront à mon propos et d’autres moins, et vice-versa sur d’autres billets.
C’est aussi ce qui est passionnant dans la lecture : la diversité des points de vue et des expériences !
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