vendredi 17 août 2012

L’Orchidée Noire et le Fabuliste.


Le magazine « Elle » voit en Arnaud Delalande l’Arturo Perez-Reverte français. Pour moi, c’est un véritable compliment, tant le romancier espagnol fait partie des auteurs que j’aime lire. Pourtant, je dois reconnaître que mes premiers essais avec Delalande m’ont laissé un peu sur ma faim. Plus une frustration de ne pas être plus entraîné dans son univers, de ne pas adhérer à 100% à ses histoires. Eh bien, c’est en train de changer, avec « Les Fables de sang » (au Livre de Poche), un polar historique de fort belle facture.


Couverture Les fables de sang


Louis XV se meurt de la variole. Son décès prochain entraîne une réaction en chaîne : la Du Barry, sa dernière maîtresse en date, doit quitter Versailles, les ministres s’attendent à de gros changements, la Cour oscille entre deuil annoncé et réorientation vers le Dauphin, le futur Louis XVI, le royaume s’inquiète de la disparition de celui qu’il appelait « le Bien-Aimé » et de l’avènement d’un jeune homme qui a la réputation de ne pas trop se passionner pour la politique et dont on se demande s’il a la carrure pour devenir roi.

Mais ce printemps 1774 va aussi être le cadre d’une série de meurtres abominables. Le corps de l’une des victimes a même été déposé dans la Galerie des Glaces, propulsant ce « fait divers » au rang d’affaire d’Etat. Sinon, pourquoi choisir un tel lieu pour ce forfait ignoble ?

Pour enquêter, le Duc d’Aiguillon, ministre des Affaires Etrangères de Louis XV, fait appel à Pietro Viravolta, marquis de Lansalt. Ce Vénitien d’origine est arrivé en France en 1758 après avoir déjoué un certain nombre de complots dans sa ville natale et y avoir gagné le surnom d’ « Orchidée noire ». Aussitôt, il a intégré « le Secret du Roi », une entité clandestine créée par Louis XV, placée sous les ordres directs du Roi qui n’avait même pas informé son gouvernement de l’existence de ce service, ancêtre des services secrets que nous connaissons aujourd’hui.

Or, depuis que le bruit de l’existence du Secret du Roi est arrivé aux oreilles du Duc d’Aiguillon, il n’a eu de cesse que de le démanteler. Charles de Broglie, chef du « Secret », a déjà été exilé sur ses terres mais les réseaux et l’influence des agents, dont Viravolta, leur permettre de poursuivre une activité devenue illégitime en plus d’être clandestine.

Alors, pourquoi appeler Viravolta dans ces conditions ? Tout simplement parce qu’un message qui lui est adressé a été découvert sur le corps de la victime de la Galerie des Glaces, la jeune Rosette, employée chez le parfumeur Fargeon, le parfumeur de la Cour. Et ce n’est pas tout, en plus de ce message en vers inégaux, une rose rouge a également été déposée auprès du cadavre. Enfin, et ce n’est pas la moindre des choses, la malheureuse Rosette semble avoir été massacrée selon un mode opératoire qui rappelle la fable de La Fontaine, « le Loup et l’Agneau ».

Dernier élément, le message, signé du mystérieux pseudonyme « le Fabuliste »,  est accompagné d’une liste de 10 fables, laissant entendre qu’à chacune d’entre elle correspondra un meurtre… S’inspirer du célèbre auteur et moraliste pour tuer, voilà qui ne manque pas d’originalité !

Le hic, c’est que Viravolta connaît bien le Fabuliste. Et pour cause : il l’a tué 4 années plus tôt, dans les jardins de ce même Château de Versailles, lors d’une soirée pas ordinaire : on fêtait en effet le mariage du Dauphin et de Marie-Antoinette… Alors, qui se cache derrière cette signature ? Un successeur, un imitateur ?

Une chose est certaine, le Fabuliste a commencé à éliminer des témoins gênants mais, au-delà de cette série de meurtres liés aux fables de La Fontaine, il est très probablement impliqué dans les décès récents et suspects de plusieurs membres du « Secret du Roi ». Viravolta comprend donc qu’il fait probablement partie de la liste des victimes potentielles. A lui de débusquer le fabuliste avant que celui-ci ne tente de lui régler son compte.

Commence une enquête complexe et délicate, dans un contexte politique, aussi bien sur le plan intérieur que sur le plan international, très difficile, les yeux étant braqués sur Versailles et la succession qui approche… Et ce que Viravolta va découvrir au fur et à mesure de l’avancée de son enquête, c’est que les meurtres du Fabuliste ne sont pas qu’une simple vengeance à son encontre mais qu’ils annoncent un complot bien plus effrayant qui pourrait faire vaciller la couronne de France.

« Les Fables de sang » est un polar très réussi qui devrait plaire aux amateurs des enquêtes de Nicolas Le Floch, par exemple. La période choisie permet à Arnaud Delalande d’intégrer dans son récit des évènements historiques réels qui deviennent les moments charnières de son roman. Il joue avec l’Histoire comme un Dumas l’a fait avant lui, de façon assez différente, question d’époque, sans doute, mais avec un souffle épique commun. On va revenir aux références et clins d’œil un peu plus tard.

Profitant de cette succession très compliquée entre un Louis XV, despote éclairé qui voulait tout contrôler, et un Louis XVI, plutôt rétif à l’idée de gouverner, Delalande parvient à nous exposer tout au long du livre la situation du Royaume de France. Tant dans ses problèmes intérieurs, car c’est alors que se manifestent les premiers signes annonçant la Révolution, que sur le plan international, parce que les royaumes voisins, en particulier l’Angleterre et la Prusse, ont tout intérêt à ce que l’instabilité s’installe en France, alors que le mariage princier a noué une alliance très puissante avec l’Autriche.

Au milieu de toutes ces incertitudes, Viravolta doit affronter un adversaire, certes totalement cinglé, mais redoutable et qui joue avec toujours un ou deux coups d’avance. Toujours et partout, le Fabuliste semble précéder Viravolta, le narguant, le menaçant, attentant à sa vie, en vers, un sourire cynique aux lèvres et le visage toujours caché sous une capuche noire. Mais l’Orchidée Noire a lui aussi plus d’un tour dans son sac et, assemblant les éléments laissés à sa disposition par un assassin un peu trop sûr de lui, il va comprendre les projets déments qu’a initiés le Fabuliste et les déjouer in extremis, vous vous en doutez.

Au roman de cape et d’épée, Arnaud Delalande ajoute une vraie enquête policière et propose un vrai récit historique où l’on croise moult personnages ayant existé, Louis XVI et Marie-Antoinette en tête, mais aussi Beaumarchais ou le Chevalier d’Eon. On songe à Dumas, évidemment, je l’ai déjà évoqué, et, à plusieurs reprises, on note des clins d’œil aux Trois Mousquetaires. Mais on pense aussi aux films avec Errol Flynn, Robert Taylor et bien sûr, Jean Marais et Gérard Philippe. Ca bataille ferme, on entend le bruit des lames entrant en contact, ça galope et ça charge, le rythme est élevé tout au long des 420 pages des « Fables de sang ».

Mais, le facétieux Arnaud Delalande s’amuse aussi à glisser dans ce polar historique des références plus contemporaines, distillées avec habileté et humour. Viravolta, par exemple, n’est pas qu’un successeur de « la Tulipe Noire » ou de Lagardère, il est aussi un lointain prédécesseur de… James Bond ! Il y a plusieurs allusions très amusantes à 007, mais mention spéciale au personnage d’Augustin Marienne, le « Q » de Delalande, confiant à Viravolta toute une série de « gadgets », si je puis employer ce mot anachronique, qui sera bien utile à « l’Orchidée Noire » tout au long de son enquête.

Bon, placer des allusions à James Bond dans un roman dont le personnage principal est un espion, quoi de plus naturel, finalement ? Mais Delalande ne s’arrête pas en si bon chemin : puisqu’une bonne partie du début du roman tourne autour de la parfumerie Fargeon, Delalande se moque gentiment du « Parfum », de Patrick Süskind, introduisant un personnage qui rappelle son Jean-Baptiste Grenouille (et quand il est question de fables de La Fontaine, reconnaissez que c’est loin d’être hors-sujet !).

Mais, le vrai tour de force de Delalande, c’est de parvenir à placer dans un roman historique se déroulant au XVIIIème siècle, une scène mythique sortie tout droit… de « la Guerre des Etoiles » !! Une scène à la fois très drôle mais qui se déroule à un moment dramatique du récit, le moment où Viravolta reprend vraiment la main au Fabuliste.

Ces clins d’œil m’ont bien amusé et ne m’ont pas semblé déplacés. Là encore, on retrouve l’humour des films de cape et d’épées à la Française, qui n’a jamais empêché la dramaturgie des histoires de se dérouler sans accroc.

Et puis, dernier point, qui nous ramène à un billet que j’ai récemment consacré au roman de Maxime Chattam, « le Requiem des Abysses ». J’y évoquais le parallèle entre le romancier et le tueur au centre du roman. Ici, rebelote, en quelque sorte, avec, dans les dernières pages des « Fables de sang », un ultime billet que le Fabuliste adresse à Viravolta.

Je peux le citer, ça ne révèle rien de l’intrigue :
« J’ai tout pouvoir sur toi, sans limite est mon imagination,
Je fabule et affabule, j’invente, je couds et je découds,
Licier de l’ombre, je tisse ma toile et ourdis ma trame
Je suis l’Auteur, Viravolta !
Je vais te perdre, t’embrouiller, te retrouver, t’égarer,
Te jeter dans un voile de brume et te reprendre
Pour mieux te promener
Je suis le Fabuliste et le gardien
Et toi, tu m’appartiens. »

Je n’ai pu, en lisant ces quelques lignes, apercevoir Delalande sous la plume du Fabuliste. Mais, alors, qu’ont donc ces auteurs de thrillers et de polars, à appliquer la maxime de Flaubert « Emma Bovary, c’est moi », jusqu’à se glisser derrière le masque de personnages tordus, pervers, fous furieux et, surtout, particulièrement dangereux.

Alors que je suis sûr que, dans la réalité, Arnaud Delalande comme Maxime Chattam sont des garçons doux comme des agneaux, non ?

Alors, si ces tueurs abominables ne sont pas eux, seraient-ils leurs frères ?

Oui, moi aussi, je peux fabuler, affabuler et même évoquer La Fontaine, si je veux, na ! Mais, comme je l’ai laissé entendre en préambule, la lecture des « Fables de sang » a été un très bon moment, malgré la large concurrence des Jeux Olympiques (eh oui, il faut vous y faire, le Drille adoooore le sport, les sports, même ! Pas trop déçus ?). Un vrai divertissement, mais qui nous en apprend beaucoup sur l’époque et sur le Château de Versailles.

Je vais finir avec cet aspect patrimonial fondamental. Le magnifique palais voulu par Louis XIV est l’un des décors principaux des « Fables de sang ». D’ailleurs, les références à l’œuvre de la Fontaine y sont nombreuses, en particulier dans les jardins du Château. Or, le Fabuliste semble connaître les lieux comme sa poche, il le faut forcément pour parvenir à déposer un corps martyrisé en plein centre de la Galerie des Glaces.

Alors, remontant la piste en parfait limier, Viravolta, pour comprendre le Fabuliste et anticiper les actes de son adversaire, va devoir « explorer » ces jardins où, semble-t-il, le meurtrier a puisé une partie de son inspiration morbide. Cela nous vaut une visite guidée de ces jardins, rassurez-vous, ni trop longue, ni ennuyeuse, mais au contraire passionnante car le guide en est… le Roi Soleil en personne.

Non, je ne délire pas, le souverain mort près de 60 avant les faits qui nous intéressent ici, joue aussi un rôle dans le roman de Delalande (tiens, tiens, le nom d’un musicien de cette même époque !), au travers d’un ouvrage que Louis XIV avait rédigé lui-même, « Manière de montrer les jardins de Versailles » (pour ceux que ça intéresse, ce livre a été republié aux éditions du Mercure de France en 1999). Une preuve de plus du côté esthète d’un souverain aussi artiste que guerrier, finalement…

Et ce n’est pas tout, car, pour les besoins du dénouement de son roman, Delalande va aussi nous faire découvrir, un peu plus rapidement, c’est vrai, mais cela donne très envie d’en savoir plus, et même d’aller ou de retourner faire un tour à Versailles, la partie cachée des lieux, en particulier les aménagements incroyables qui ont été construits pour permettre les jeux d’eau des très nombreux bassins et fontaines de ces magnifiques jardins. Si vous ne connaissez pas ces détails sur les mécanismes, fascinants témoignages de la technologie de cette époque, mais surtout sur les travaux herculéens qui furent nécessaires à leur aménagement, là encore, « les Fables de sang », devrait donner à votre curiosité un bon coup d’éperon.

Amateurs d’Histoire, de patrimoine et/ou d’intrigues policières bien troussées, jetez-vous sur « Les Fables de sang » d’Arnaud Delalande, vous devriez dévorer ce roman de qualité.

Et, pour être complet, je dois signaler que Viravolta est le héros d’un autre roman de Delalande, « Le piège de Dante », lui aussi disponible au Livre de Poche. Une aventure qui se déroule près de 20 ans avant « les Fables de sang » et qui a pour cadre Venise. Autant vous dire que j’ai maintenant très envie de lire cet autre livre !


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