Un billet à déconseiller aux âmes sensibles, je vous le dis d'emblée... Un thriller tournant autour d'un tueur en série, ça faisait longtemps... Un tueur particulièrement appliqué dans la mise en scène de ses crimes et un auteur qui nous en met plein la vue en nous décrivant ces horreurs... Alors, si vous aimez les thrillers façon "Seven", bienvenue, sinon, les romans de Chris Carter risquent de vous donner quelques cauchemars, voire de vous couper pour quelques heures l'appétit. Et penchons-nous quelques minutes sur le deuxième roman de cet auteur américain d'origine italienne, né au Brésil (sacré mélange !), "Le Prix de la peur", publié en grand format aux éditions Les Escales.
A quelques jours de Noël, le détective Rob Hunter et son coéquipier Carlos Garcia sont appelés sur une délicate scène de crime : le corps d'un prêtre a été retrouvé dans son église... Une affaire qui a de quoi défrayer la chronique à Los Angeles. Mais, les deux flics n'imaginent pas encore ce qu'ils vont trouver dans cette église d'un quartier plutôt tranquille.
Le père Fabian, curé aimé et respecté de ses paroissiens, semble-t-il, a été décapité, sa tête a disparu mais sur son buste, le tueur a planté une tête de chien. Un tueur qui ne s'est pas arrêté là, malgré l'horreur de ces simples faits. Il a apparemment fait le tour de l'autel en entourant le meuble d'un cercle de sang, appartenant à sa victime. Enfin, certains indices laissent à penser que le tueur a bu le sang du prêtre...
Dernier élément, découvert lors de l'autopsie et qui va finir de mettre Hunter et Garcia sur les dents, sur le torse du prêtre, le tueur a tracé, avec du sang, un chiffre : 3. Le père Fabian serait-il la troisième victime d'un tueur sadique, organisé et possédant un art consommé de la mise en scène ? C'est possible, mais alors, qui sont les deux premières victimes ?
Rien, dans les dossiers dont dispose le service des homicides de Los Angeles, auquel appartiennent Hunter et Garcia, ne semble indiquer la découverte de crimes aussi spectaculaires qu'on pourrait attribuer au même tueur... Quant au mobile éventuel d'un tel acte, il est bien flou... Un crime rituel pourrait coller, le lieu, la personnalité de la victime, la mise en scène... Mais la tête de chien ?
Alors, Hunter et Garcia cherchent des réponses dans le journal intime du prêtre, découvert dans sa chambre. Un journal composé de plusieurs cahiers, remplis d'une écriture serrée, sans indication de dates ou de lieux... Un bonheur d'enquêteur... Pourtant, au détour d'une page, un indice clef va apparaître : le récit d'un cauchemar récurrent que le prêtre faisait.
Un cauchemar où intervenait l'image d'un chien décapité, comme un souvenir d'un évènement vécu. Un souvenir transformé par l'inconscient du prêtre en une peur très profonde : celle d'être un jour décapité et de voir sa tête remplacée par celle d'un chien... Exactement ce que son assassin lui a fait subir...
Petit à petit, indice après indice, se dessine la silhouette d'un assassin jouant sur les peurs de ses victimes... On n'est pas dans "Ca", de Stephen King, rien à voir. Le tueur semble bien connaître ses victimes. Oui, j'ai bien écrit "ses". Pas parce que Hunter et Garcia ont pu remettre la main sur les numéros 1 et 2, mais parce que des numéros 4 et 5 vont bientôt être découverts, assassinés selon des mises en scène tout aussi... particulières, en lien avec leur peur la plus intime. Et tout aussi horribles. A donner la nausée aux plus chevronnés des flics appelés sur les lieux, c'est dire !
Tout en continuant à rechercher les premières victimes éventuelles de ce tueur machiavélique, Hunter et Garcia essayent de tirer des pistes de la personnalité des victimes, de leur passé, peut-être. Mais, trois éléments perturbateurs vont venir leur mettre des bâtons dans les roues... Des éléments qu'ils ne maîtrisent pas du tout ou alors avec une grande difficulté, et qui risquent bien d'entraver leur enquête et, pire encore, de mettre en danger de possibles futures cibles du tueur.
Le premier élément perturbateur, c'est une nouvelle chef. Après 18 années à la tête du service, William Bolter part à la retraite, remplacé par une flic au caractère bien trempé : le capitaine Barbara Blake. Une femme de poigne, donc, qui entend bien marquer son territoire dès son entrée en fonction. En clair, et particulièrement pour une affaire aussi délicate que celle sur laquelle travaille Hunter et Garcia, elle veut tout savoir, tout maîtriser et en référer régulièrement à la hiérarchie et à la mairie (un maire qui a une dent contre Hunter, apparemment...).
Difficile d'avoir les coudées franches, dans ces conditions, alors que Hunter est plutôt un électron libre... Ses initiatives vont lui valoir diverses remontrances et menaces jusqu'à ce que Blake ne change d'avis en découvrant de visu une scène de crime et comprenne que la traque d'un tel tueur s'accommode mal de la procédure et des règlements...
Deuxième élément perturbateur, et pas des moindres, Claire Anderson. Elle est journaliste à l'essai au LA Times. Et elle a les dents longues, très longues. Présente devant l'église lorsque Hunter et Garcia sont arrivés pour examiner la scène de crime, elle a compris que le meurtre du père Fabian pourrait être la chance de sa vie, le reportage qui pourrait lui valoir une titularisation.
Alors, elle cherche tous les moyens de collecter des infos et elle publie. En une, bien sûr. Elle publie ses scoops, ou ce qu'elle pense en être, sans mesurer une seconde les conséquences de ses papiers (dont certaines toucheront directement à notre troisième élément perturbateur), sans se soucier de mettre en danger des témoins ou les enquêteurs eux-mêmes.
Rien d'autre n'a d'importance que la course à l'information que personne d'autre ne sortira avant elle... Hunter a beau essayé de lui mettre les points sur les i à plusieurs reprises, rien n'y fait, l'ambition prend le dessus sur la prudence. Et si c'était elle-même que Claire Anderson risquait de mettre en danger ?
Enfin, troisième élément perturbateur, Molly... Pas son vrai nom, mais comme c'est une ado fugueuse qui a subi des violences toute son enfance, on peut la comprendre. Molly prend contact avec les enquêteurs car elle a un don. Des perceptions. Et elle ressent la souffrance des victimes du tueur.
Enfin, c'est ce qu'elle dit à des flics un tantinet sceptiques... jusqu'à ce que l'adolescente fragile ne livre des éléments que seuls les enquêteurs peuvent connaître... Comment sait-elle tout ça ? Son récit détaillé, qu'on soit un cartésien pur sucre ou pas, laisse pantois... Hunter, qui s'inquiète plus pour Molly que pour le rôle que ces visions pourraient lui conférer dans son enquête, la prend sous son aile. Mais la gamine va se retrouver bien vite en première ligne, la faute à Claire Anderson...
Ajoutez à cela la difficulté à établir le mobile du tueur de façon certaine, des victimes au passé pas très reluisant, des fausses pistes à éliminer, car ils sont nombreux ceux qui pourraient en vouloir aux victimes... Le récit de l'enquête est soignée, le tueur apparaît en filigrane à intervalle régulier et les épées de Damoclès oscillent dangereusement au-dessus de certaines têtes...
Même si Chris Carter ne recule pas devant les ficelles les plus grosses du genre (un vrai reproche), même si on ne voit pas tout de suite à quoi sert l'irruption de Molly et de son don dans l'enquête de Hunter, le dénouement vaut le coup, vraiment. Comme un rasoir à plusieurs lames, ça rétracte et ça coupe dans un second temps...
Oui, il y a des ressorts un peu faciles, mais aussi de vraies surprises à la fin de ce thriller qui s'inscrit dans la lignée du "Silence des agneaux", de "Seven", déjà cité, ou des romans de Richard Montanari, par exemple. Des tueurs à l'imagination débordante pour faire souffrir et zigouiller leur prochain, tout en agençant cela de manière originale et pleine de poésie (j'ironise, évidemment). Et des flics taillés en héros de l'Amérique qui les poursuivent, faisant fi de certaines règles et contingences... Mais, tels Starsky et Hutch, des flics qui gagnent toujours à la fin...
Si on adhère au genre, on est dans du pas mal du tout. "Le Prix de la peur" est un roman très rythmé, il faut dire que Carter ne lésine pas sur les chapitres : 143 pour 430 pages... Un page-turner dans les règles de l'art, presque trop, parfois, parce que certains chapitres pourraient aisément être rassemblés en un seul (mais je pinaille, je pinaille...).
Le tueur en série (terme inapproprié, d'ailleurs, car, sans en dire plus, celui que Anderson surnomme "l'Exécuteur" ne correspond pas à la nomenclature, puisque ses actes ne sont en rien gratuits mais correspondent à un plan minutieux...), thème usé jusqu'à la corde à la suite du succès des romans et films cités plus haut, revient épisodiquement, avec, à chaque fois, un crédit à celui qui déploiera le plus d'imagination macabre. J'aime bien ce genre, même si je ne lirais pas uniquement ce genre de thrillers, alors, Chris Carter, je dis oui.
Mention bien, mérite d'être relu. Doit toutefois travailler son style narratif pour éliminer les facilités qui peuvent plomber son travail. Encouragements du lecteur.
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