Celle qui parle est la protagoniste principale (j’ai du mal à parler d’héroïne, vous verrez pourquoi un peu plus tard) d’un roman dense, épais (un peu trop ?), extrêmement violent, tant sur le plan physique que mental, sous tension permanente, qui prend aux tripes, je continue encore l’énumération ? Non, pas pour l’instant. Après ces quelques mots d’introduction, je vous invite à me suivre dans un monde carcéral impitoyable, cadre du roman de Karine Giebel, « Meurtres pour rédemption » (en grand format au Fleuve Noir).
Marianne de Gréville a à peine 21 ans. Et elle purge une peine à perpétuité depuis plusieurs années, déjà… Après un temps en centrale où elle s’est fait remarquer par la violence qui l’habite et qui la déborde parfois, la voilà en centrale, et même à l’isolement : cellule toute seule, promenade quotidienne et douche à l’écart des autres détenues, déplacement avec menottes obligatoires, interdiction de travailler, etc.
Elle est aussi la tête de turc de certains (et certaines) matons, qui n’hésitent jamais à lui infliger de sévères corrections quand ils estiment que Marianne dépasse les bornes. C’est dire si ce régime carcéral est indigeste pour une jeune femme révoltée, orpheline depuis son plus jeune âge, élevée par des grands-parents qui ont oublié de l’aimer, tombé dans la délinquance à l’adolescence et qui a, très jeune, commis l’irréparable…
Alors, de temps en temps, elle explose, rectifiant le portrait d’une gardienne ou d’une codétenue qui l’aurait regardé un peu de travers ou lui aurait adressé quelques mots trop bien sentis… Résultat : Marianne s’est fait une réputation effroyable, celle d’un monstre sans cœur, capable de démolir n’importe qui ou presque à mains nues. Normal, la seule chose de bien qu’elle a pu faire dans sa courte vie, c’est d’apprendre le karaté, un art martial pour lequel elle montre de sérieuses aptitudes.
Pourtant, derrière les barreaux, d’autres relations peuvent aussi se nouer : amitié entre détenues, amours interdites avec un maton… De quoi éclaircir un peu un horizon bien sombre, puisque Marianne a vu sa peine de perpétuité assortie d’une peine incompressible de 22 ans et elle sait pertinemment que la réputation très négative qui la précède ne devrait pas lui permettre de retrouver la liberté avant longtemps, très longtemps.
Autres moyens d’évasion, si j’ose dire, pour Marianne, la lecture (et en particulier Steinbeck), l’héroïne, qu’elle consomme régulièrement, enfin, lorsque le chef des matons la lui fournit contre rémunération en nature, si vous voyez ce que je veux dire, et les trains. Oui, les trains, un mode de transport qui la fascine, qui symbolise pour elle la liberté, qu’elle écoute passer presque sous la fenêtre de sa cellule et qu’elle est capable de reconnaître de loin, selon son modèle…
Mais, ce sont de piètres dérivatifs à la monotonie de la vie en prison et à l’ambiance brutale qui y préside à chaque instant. Marianne, qu’elle soit confinée à sa cellule individuelle ou au mitard, où elle passe une bonne partie de son temps, ou bien, plus tard, lorsqu’elle retrouve un régime plus traditionnel, au milieu d’autres détenues, qui ne supportent pas sa rudesse, son courage, sa hargne, son indépendance et qui ne vont pas se gêner pour lui faire payer ces comportements individualistes et signe d’une farouche insoumission.
Désespérée, rongée par une inextinguible colère, incapable de maîtriser ses accès de violence aussi soudains que meurtriers, Marianne n’a d’elle-même qu’une image pleine de rancœur et ne parvient pas à se dessiner un avenir hors de ces murs cris remplis d’inhumanité. Pas étonnant, alors, que, lorsqu’on lui annonce que quelqu’un veut la voir, elle qui n’a jamais de visite, sa curiosité s’éveille.
De l’autre côté du parloir, des flics. Aïe. L’espoir s’éteint aussi vite qu’il s’était allumé. Et pourtant, la proposition que lui font ces hommes a de quoi intéresser la demoiselle : la liberté. Mais sous forme conditionnelle. Et des conditions, malgré l’attrait irrésistible qu’exerce sur Marianne le mot liberté, qui suscitent la réflexion… Car, la proposition est simple : si Marianne accepte de tuer la personne qu’on lui indiquera, elle y gagnera sa liberté, loin de la France, avec de quoi refaire sa vie…
Marianne pourrait-elle tuer quelqu’un de sang-froid ? Voilà ce que la jeune femme se demande… Jusqu’à présent, elle n’a tué que sous le coup de la colère, sans maîtriser sa force ou sa violence, mais jamais en préméditant son acte, en regardant sa victime dans les yeux… Or, si elle se considère elle-même comme un monstre, Marianne a encore quelques limites morales que même une promesse de liberté ne suffit pas à abattre d’un bloc.
Il va falloir du temps à Marianne avant de choisir de se lancer dans cette curieuse aventure. En aveugle, car les flics lui ont juste dit qu’ils l’aideraient à s’évader, mais elle ne saura qu’au dernier moment en quoi sa « mission » consistera… Mais, bientôt, le suicide de sa codétenue, avec lequel, en dépit de leurs différences et de leur désespoir respectif, elle avait noué une relation ressemblant le plus possible à une amitié, après de nouveaux sévices infligés par des matons, après des tentatives de meurtres à son encontre de la part d’autres détenues, après un nouveau drame dont elle est, contre son gré, la responsable, sortir de sa maison d’arrêt n’est plus seulement une envie, mais presque une obligation, un geste de survie.
Alors, elle accepte, parvient à s’évader, lors d’un séjour à l’hôpital pour panser ses blessures, avec l’aide de ses « nouveaux amis » policiers. Mais, elle va troquer sa cellule de prison pour un endroit clos à peine plus doré. Une nouvelle prison, dans un belle demeure, certes, mais où la liberté se fait vraiment attendre. Et le feu vert qui ouvrira la voie à une nouvelle vie loin des barreaux encore plus.
Elle n’imagine pas encore que cette échappée sera tout sauf belle et que sa décision, telle un domino, entraînera dans sa chute bien des gens, y compris ceux qui partagent enfin avec elle des sentiments.
Elle imagine encore moins que sa « mission », qui prendra bientôt le nom de sa cible, Charon, la propulsera droit dans un enfer pire encore que celui qu’elle a quitté.
Je ne rentre pas trop dans les détails de ce roman noir, très noir, je risquerais de donner une image fastidieuse de ce roman qui m’a beaucoup plus, par sa description sans concession de l’univers carcérale, par sa violence inouïe, par la colère qui suinte à chaque ligne et de pratiquement chacun des personnages, par le désespoir que l’on sent aussi chez toutes ces détenues, par ce personnage de Marianne qui, comme le font remarquer plusieurs des personnages qu’elle croise, a sûrement un bon fond, « n’est pas mauvaise », mais se montre « incapable de contrôler la violence qui bouillonne en elle ». Et qui, toute sa jeune vie durant a cruellement manqué d’amour.
Même si, par moments, l’accumulation de noirceur dans la première moitié du livre devient difficilement supportable, même si on peut trouver que ce livre aurait mérité d’être un peu élagué (767 pages au total, dans l’édition grand format), il s’avère passionnant, aussi dérangeant que « Midnight Express » ou « Un prophète », avant de déboucher sur une idée qui rappelle la « Nikita » de Luc Besson, même si le traitement est assez différent.
J’ai aimé la plume de Karine Giébel, la qualité de ses descriptions et de l’atmosphère qu’elle met en place, que ce soit dans la partie carcérale ou dans la seconde moitié du livre, quand Marianne est sortie. Un roman à déconseiller aux claustrophobes, car le confinement y est quasi permanent et, lorsque Marianne sort, c’est, la plupart du temps, pour y être poursuivie, dans un rythme qui s’accélère soudain pour devenir franchement haletant après avoir été étouffant.
J’ai moins aimé le manichéisme un peu trop marqué du livre. Ou alors, est-ce le choix du narrateur d’adopter le point de vue de Marianne ? Méchants grands-parents, méchants détenus, méchants matons, méchants flics, méchants magistrats, méchants politiques… Il y a bien quelques petits gentils, par-ci, par-là, mais ils sont minoritaires ou à double visage, un bon, un mauvais, mais un mauvais qui fait payer à Marianne chacun de ses écarts.
Bref, par instants, on a l’impression que tout le monde il est laid, tout le monde il est méchant… Or, c’est un peu oublier que personne n’a obligé Marianne à tuer, si ce n’est elle-même. Certes, comme je le disais plus haut, il lui a manqué l’amour maternel, mais elle est responsable de ce qui lui arrive. Mais aucun de ceux qui l’ont condamnée ou la considèrent comme un monstre, aucun de ceux qui la maltraitent ou ne lui ont laissé aucune chance de rédemption, n’a provoqué le drame initial qui a fait plonger Marianne dans cette impasse de vie.
Un bémol qui ne doit pas vous empêcher de bouder votre plaisir à découvrir un écrivain, un vrai. J’ai tardé à lire ce roman, un peu perdu au milieu des piles qui grimpent aux murs chez moi, mais je ne regrette pas de l’avoir emporté en vacances. Le terme de roman noir semble avoir été créé pour ce livre, qui explore la noirceur de notre société autant que la noirceur humaine.
« Meurtres pour rédemption » est un roman sur la colère. Elle étouffe chacun des personnages du livre, qui la gèrent chacun à leur façon. Et pas forcément au mieux. Une colère que n’apaise à peine l’amitié ou la séduction (j’ai du mal à parler d’amour, dans le contexte de ce livre, où il existe, mais sous des formes destructrices). Une colère qui, au contraire de ce qui devrait se passer, semble alimentée par une société aux solutions mal adaptée.
Ainsi, Marianne est-elle « irrécupérable », comme l’ont dit ses juges à ses différents procès ? Une condamnation à vie qui ressemble comme deux gouttes d’eau à une condamnation à mort, est-ce juste ? Sans dédouaner Marianne, la manière avec laquelle la police, la justice et le personnel pénitencier traitent cette jeune femme perdue, ressemble plus à de la vengeance pure et simple qu’à une stricte application du droit (je manie bien l’euphémisme, là !). Et la vengeance aussi est une variante de la colère, n’est-ce pas ?
Giébel nous offre une vision d’une humanité dans laquelle chaque rapport humain se fait dans la confrontation, dans la violence, physique en priorité, mais aussi verbale. Dès qu’une entraide naît, qu’une complicité (pas dans le sens juridique du terme, attention !) se noue, les personnages croient pouvoir se tirer vers le haut, mais bien vite, la réalité, inexorable, les rattrape et se charge de les renvoyer au fond, dans des profondeurs particulièrement ténébreuses.
Rien dans « Meurtres pour rédemption » n’incite à l’optimisme, pas même le dénouement. A croire que Giébel ne nourrit pas pour l’espèce humaine un amour débordant… Mais le lecteur, lui, suit cette descente aux enfers, non, CES descentes aux enfers comme s’il y assistait en direct. On est en cellule avec Marianne, dans la cour de la prison, au mitard, on souffre avec elle, on ressent la dureté des coups, le réalisme cru de l’écriture de Karine Giébel est d’une redoutable efficacité.
Et, si, en refermant le livre, on prend une bonne bouffée d’air pur, loin de l’atmosphère nauséabonde dans laquelle on a été entraîné pendant quelques heures d’intense lecture, on en ressort tout de même bien secoué, plein d’incertitudes quant à la façon de considérer le personnage de Marianne (coupable ou victime ou les deux ?) et avec l’envie de retenter le voyage aux côtés d’une romancière qui n’a rien à envier à ses collègues masculins, spécialistes du roman noir.
Le premier que j'ai lu de Karine Giébel, et un gros choc ! J'ai fini la lecture avec l'estomac noué et les larmes aux yeux.
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