J'attends toujours avec impatience la sortie d'un nouveau roman de Franck Thilliez, et je ne suis pas le seul dans ce cas. Et l'impatience est plus grande encore quand ce Thilliez met en scène ses deux flics fétiches, Lucie Hennebelle et Franck Sharko, histoire de voir quelles nouvelles abominations le romancier va leur faire subir... Oui, j'ai un côté sadique, je sais, mais Thilliez aussi, et pour notre plus grand plaisir, en plus ! Plus sérieusement, avec "Atomka", publié en grand format au Fleuve Noir, c'est une nouvelle fois en pleine folie, en pleines folies, même, que nous emmène Franck Thilliez. Je crois même pouvoir dire que, pour ce roman précis, c'est en enfer qu'il nous entraîne, un enfer bien terrestre, hélas.
Hennebelle et Sharko sont appelés sur les lieux d'un crime, à Trappes. Un homme a été retrouvé mort dans un congélateur, dans lequel il semble bien avoir été enfermé vivant et contre son gré. Mort de froid, il a laissé derrière lui des traces montrant le calvaire qu'il a vécu. Et parmi ces traces, un mot tracé dans la glace recouvrant la paroi intérieure de l'appareil. Un mot qui ressemble fort à AGONIA...
L'homme, Christophe Gamblin, s'avère être journaliste dans un quotidien parisien. Un spécialiste des faits divers et des chiens écrasés (ce n'est pas moi qui le dis, c'est son patron !) qui semble avoir fouillé les archives du journal à la recherche de quelque chose, mais quoi ? Autant chercher une aiguille dans une motte de foin, car les exemplaires retrouvés par les flics datent de près de 10 ans.
Pourtant, certains articles vont sauter aux yeux de Lucie et Franck. Ils évoquent la mort de femme, retrouvées noyées dans des lacs alpins en plein hiver. Accident, suicide, meurtre ? Difficile à la lecture de ces papiers, qui tiennent plus de l'entrefilet que de l'enquête fouillée, de se faire une idée précise, mais la coïncidence est trop grande pour que ce soit juste un hasard...
Dans le même temps, l'enquête sur la mort de Gamblin met au jour une autre disparition inquiétante. Le journaliste s'était lié d'amitié avec une de ses collègues, Valérie Duprès, au point de devenir inséparables ou presque. Jusqu'à ce que Duprès, grand reporteur ascendant baroudeur, intéressée par les sujets les plus délicats, ne prenne une année sabbatique pour mener une enquête dont elle n'a rien dit à personne, et rédiger un livre-choc dans la foulée.
Mais voilà, si on peut suivre Duprès dans un curieux périples à travers le monde, sa trace disparaît brutalement et la journaliste reste introuvable. Son appartement a même été manifestement cambriolé, mais pour trouver quoi ? Quant aux éléments dont vont disposer peu à peu les enquêteurs, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'ils ne poussent pas à un optimisme délirant...
C'est d'abord la découverte d'un gamin errant, qui ne parle ni ne comprend le français, apparemment, et que les médecins de l'hôpital où les policiers vont le conduire vont trouver en très mauvaise santé. Sur sa poitrine, un curieux tatouage, on dirait une espèce d'arbre, et un nombre... Mais cette piste n'ira pas plus loin, l'enfant étant kidnappé par un inconnu au sein même de l'hôpital...
L'autre piste est découverte plus tard, après que Hennebelle et Sharko se sont creusés les méninges sur la page 2 d'un numéro du Figaro retrouvé dans les affaires de Duprès. Mais un journal, là aussi, c'est dense, pas évident de repérer l'article qui intéressait la journaliste. Finalement, le déclic se fera sur une petite annonce, libellée de façon étrange, sans doute un code... Mais qui a envoyé cette petite annonce et à destination de qui ?
Alors que la piste Gamblin semble s'orienter vers l'existence d'un tueur en série au modus operandi très bizarre et déroutant, il est temps dans ce billet de parler de l'état d'esprit des deux flics qui sont au coeur de ce roman. Nous sommes en décembre, les fêtes de fin d'année approchent, et cela perturbe fortement Hennebelle, réveillant son traumatisme lié au souvenir de ses fillettes...
Sharko, qui connaît bien celle qui est désormais non seulement sa collègue mais aussi sa compagne, s'inquiète de se moment difficile. Il prend soin d'elle de son mieux, aimerait qu'elle tombe enceinte de lui, espérant qu'une grossesse exorciserait les drames passés, mais il n'y parvient pas... Alors qu'il multiplie les prises de sang et les examens visant à mesurer sa fertilité, lui aussi va être rattrapé pas son passé...
Ce passé, ce sont des messages qui lui sont adressés et qui le renvoient à une enquête passée. Pas de doute, il s'agit de menaces, comme si quelqu'un cherchait à venger un des tueurs mis hors d'état de nuire par le flic, et pas n'importe quel tueur, vous verrez. Sharko bout de colère, mais il a aussi peur que ce copycat, ce disciple, cet imitateur, appelez-le comme vous voulez, ne s'en prenne à Lucie. Alors, il va chercher à éloigner la jeune femme, profitant des rebondissements de leurs enquêtes en cours...
Voilà comment "Atomka" nous mènera à Chambéry et sa région, puis à Albuquerque, Nouveau-Mexique, au milieu d'un désert pas très accueillant et enfin, dans une région du monde qu'on peut considérer comme l'enfer sur terre. Je ne veux pas en dire trop, mais le titre du roman, "Atomka" donne une piste évidente. L'atome, c'est lui qui est au centre de ce roman. L'atome et sa maîtrise par l'homme.
L'atome que Thilliez définit comme "l'antagonisme de Dieu", dans le roman, une puissance inouïe si on la dompte, mais une maîtrise qui a des revers au combien dangereux, au combien délétères, des effets qui détruisent tout ou presque, en tout cas qui détruisent la vie humaine sans rémission. Voilà après quoi Hennebelle et Sharko vont courir : des apprentis sorciers ayant découvert un secret qui pourrait être celui de l'immortalité. Mais un secret qui, dans son sillage, laisse bien des cadavres...
Je m'arrête ici avant de trop en dire. Peut-être est-ce d'ailleurs déjà fait, malgré mes précautions... Un roman de Thilliez, on le sait, c'est une mécanique de précision digne de l'horlogerie suisse. Le lecteur a en main toutes les pièces, les engrenages, se demandant ce qu'il va bien pouvoir en faire... Mais Thilliez, lui, les assemble avec maestria pour nous donner au final un thriller haletant, mêlant enquête policière et quêtes personnelles.
Mais j'ai choisi de développer un angle du roman un peu spécial. La troisième et dernière partie du livre est intitulée "la Frontière", d'où le choix de la chanson éponyme de Jil Caplan pour mettre en tête de ce billet. Mais, en refermant "Atomka", je me suis fait la réflexion que ce roman ne contenait pas une seule frontière, mais plusieurs, qu'elle soient physiques ou intellectuelles. Passons-les, ces frontières, j'ai à déclarer !
Il y a d'abord, et je pense que c'est celle dont parle Thilliez dans ce titre, la frontière géographie. Celle qui délimite l'enfer, là où la vie humaine est devenue impossible... Y pénétrer, c'est risquer gros, très gros, mais cela donne aussi une zone idéale pour y mener de bien vilaines affaires sans être dérangé... Le voyage de Hennebelle et Sharko jusqu'aux portes de l'enfer est l'un des moments forts d'Atomka, en particulier grâce à des descriptions qui font frémir, tant des humains que de la nature qui survivent tant bien que mal en périphérie...
Il est certain que lorsqu'on a franchi cette frontière et qu'on a la chance d'en revenir, espérons-le indemne physiquement, il en reste forcément des traces psychologiques. Cette expérience aux limites de ce que notre planète peut endurer et de ce que la bêtise humaine peut provoquer laisse forcément des traces, des souvenirs qui hantent...
Mais j'ai donc cru discerner d'autres frontières franchies par les personnages d'Atomka. Là encore, sans trop en dire, il y a cette frontière entre la vie et la mort. Une frontière que nous sommes tous appelés à franchir un jour, lors d'un passage à sens unique... Et si l'on pouvait franchir cette frontière dans l'autre sens, revenir de la mort à la vie ?
Une situation qui a de quoi fasciner, mais qui peut pousser à bien des folies, et meurtrières, qui plus est, lorsqu'on veut la franchir coûte que coûte. Ce que Hennebelle et Sharko vont découvrir au final dépasse l'entendement. Thilliez, en jouant sur des fantasmes humains bien réels, instille dans son thriller un dose (non létale, celle-là, rassurez-vous) de fantastique... Et nous glisse même un clin d'oeil à Hergé et à ses cigares du Pharaon, au passage...
Bravo pour cette découverte finale qui m'a scotché... C'est mon sang qui s'est glacé, pour le coup, et sans aucune aide chimique extérieure... Et voilà Thilliez prenant des accents pascaliens pour nous dire, tout au long d'"Atomka", que "science sans conscience n'est que ruine de l'âme". Sans le dire ouvertement, le romancier nous donne pourtant un avis explicite sur ce qu'il pense de l'atome et de son exploitation. Quelques informations livrées de-ci, de-là, fruits, certainement, d'une longue documentation, sont presque une forme de militantisme, sans doute encore renforcé par la catastrophe de Fukushima, intervenue pendant que Thilliez écrivait ce roman... Sinistre coïncidence...
Sharko, lui aussi, dans sa lutte contre celui qui lui renvoie son passé au visage, joue les funambules, se déplaçant sur ces frontières comme un acrobate sur son fil de fer... Qu'il retombe d'un côté ou de l'autre et son destin change du tout au tout. La première de ces frontières, c'est celle qui sépare la raison de la folie. La colère irrépressible qui s'empare de Sharko quand il se sent devenu proie et non plus chasseur.
Une colère dont on dit qu'elle est mauvaise conseillère et qui risque bien de pousser le flic à transgresser un autre frontière, celle entre la légalité et l'illégalité, la frontière qui sépare également la justice de la vengeance. Longtemps, Sharko va osciller entre ces deux options... Hennebelle sera-t-elle sa bouée de sauvetage, sa planche de salut, comme lui l'est finalement pour elle ?
Une question qui nous amène à une ultime frontière, celle, parfois large, voire impossible à combler, qui sépare le désespoir du bonheur. Cette frontière que, après tant de drames épouvantables, ces deux âmes cabossées vont essayer de traverser ensemble. A moins que celui qui les a abîmés ainsi, le sieur Thilliez himself, décide une nouvelle fois de les éprouver... Mais il n'oserait pas, hein ?
Au final, ballotté de surprises en rebondissements, jusqu'à un final à la fois terrible et capable d'éveiller en nous quelque rêve étrange et pénétrant en jouant sur des thèmes qui nous parlent tous, Thilliez nous offre avec "Atomka" un thriller qui ravira forcément ses fans les plus fervents, puisqu'il y revient à ses premiers livres. Un thriller dans la lignée des précédents et qui renforcent l'admiration qu'on peut avoir pour ses deux flics. Et l'impatience qu'on va ressentir en attendant leur prochaine enquête.
Un prochain roman, le 12ème, qui devrait, après lecture d'"Atomka" et la dimension scientifique effrayante mise en scène dans ce livre, être logiquement signé par Frankenstein Thilliez.
Merci pour ta chronique super intéressante Joyeux-Drille, justement je me demandais à quoi "ressembler" le dernier Thilliez, étant donné que je suis assez fan (j'ai même eu la chance de lui parler et d'avoir une petite dédicace dans mon livre "La forêt des ombres" hihi :D).Je pense qu'il va une fois de plus m'étonner et m'emporter dans ses histoires sordides, troublantes mais fascinantes! :)
RépondreSupprimerMerci, Elena ! Je me suis freiné pour ne pas prononcé le mot-clé, celui qui fait fantasmer (rêver est peut-être un mot inadéquat). Peut-être est-ce une question de génération, c'est quelque chose dont on parlait quand j'étais ado et qui ouvrait des perspectives passionnantes à une imagination fertile. Ca tenait du fantastique ou même de la SF, à l'époque. Thilliez l'intègre à un thriller réaliste (même si, je le redis, ce qu'il en fait tend vers le fantastique).
RépondreSupprimerBonne lecture et n'hésite pas à revenir donner ton avis une fois que tu l'auras lu.
Ta chronique est très intéressante, et me donne encore plus envie de m'y plonger ! J'espère avoir la chance de le commencer après Noël :) !
RépondreSupprimerJe vais bientôt lire "Syndrome E" ... et il me tarde de découvrir Thilliez, depuis le temps que je collectionne ses ouvrages dans ma PAL, la saga Hennebelle & Sharko est aussi prévue au programme pour 2013. Chouette chronique :)
RépondreSupprimerMerci, au Chat du Cheshire, qui a dû disparaître avant que j'ai une chance de lui répondre ^^
RépondreSupprimerEt merci, Colette, je me permets le raccourci... Attention, il y a des enquêtes de Hennebelle et Sharko séparés avant. Ils se rencontrent dans "le Syndrome E" mais existaient dans d'autres romans, dont les excellents "Deuil de miel" et "La chambre de morts".
Et je réapparais ;).
RépondreSupprimerJ'ai fini ce dernier Thilliez, et je rejoins ton avis : c'est du très bon, comme d'habitude :) !
On peut se demander jusqu'où va aller Franck Thilliez pour martyriser ses personnages !
Il y a tout de même un léger mieux qui se profile, non ?
RépondreSupprimerFaut espérer ! Qui sait de quoi est capable cet auteur ? Je ne l'imagine pas faire le prochain tome et écrire à la fin : "Ils vécurent heureux, se marièrent et eurent beaucoup d'enfants" ;) !
RépondreSupprimerEt Lucie qui espère tellement une fille... (est-ce qu'elle n'espère pas revoir une "copie" de ses jumelles ?)