Avec ce billet, va s'achever un cycle de 4 romans ayant pour cadre la Seconde Guerre Mondiale mais vu sous l'angle de 4 genres littéraires différents : après le roman historique traditionnel, le récit, la SF, voici le thriller, avec un roman paru en 2008 (eh, oui, parfois, j'entreprends des fouilles quasi archéologiques pour faire remonter des livres oubliés...). Un thriller qui repose sur des faits historiques réels mais nous propose une vraie fiction menée tambour battant. Aux commandes, Mark Frost, romancier, mais aussi créateur de la série Hill Street Blues, pour ceux qui se souviennent, et co-auteur de Twin Peaks. Son roman, en VO comme en VF, s'intitule "Le Second objectif", publié en grand format chez First Editions et désormais disponible chez Pocket, et nous offre une course-poursuite et un duel alors que la guerre fait encore rage aux frontières de l'Allemagne.
Alors qu'approche la fin de l'année 1944, les armées du Reich subissent revers sur revers et, depuis le débarquement de Normandie six mois plus tôt, elles ont été contraintes, sous la pression des troupes alliées, de battre en retraite. Les voilà désormais revenues aux frontières originelles de l'Allemagne, prise dans l'étau des Américains à l'Ouest et des Soviétiques à l'Est.
Sachant bien que ces ennemis ne s'arrêteront pas là, que l'étape suivante, c'est le franchissement des frontières allemandes pour porter le coup de grâce à un régime moribond, Adolf Hitler décide de lancer ses dernières forces dans la bagarre et d'essayer, par un coup de Jarnac militaire, de renverser la situation. Ce coup de force est baptisé "opération Brouillard d'Automne" et son objectif est clair : concentrer la majeure partie des armées disponibles sur un point précis du front, les Ardennes, essayer de couper le ligne alliée pour mieux en isoler une partie, l'acculer à la mer du côté d'Anvers et infliger aux alliés une défaite qui rappellerait le traumatisme de Dunkerque, au printemps 1940.
Mais, devant les faibles possibilités de réussite de cette opération, Hitler a une autre idée. Une idée dont il confie la réalisation à l'un de ses hommes de confiance, un des héros du Reich depuis un an et son raid en Italie pour libérer Mussolini de sa prison au nez et à la barbe des Américains, Otto Skorzeny. Un commando expérimenté et efficace qui se voit chargé de mettre en place une seconde opération au coeur de la contre-offensive. Nom de code : Opération Grillon.
Une opération d'intoxication pour lequel Skorzeny va procéder, si je puis dire, à un grand casting au sein des armées du Reich : il a en effet besoin de 2000 hommes capables de se faire passer pour des Américains, afin de les envoyer derrière les lignes alliés déguisés en GI, dans le but, non pas d'engager le combat, mais de compliquer la tâche de l'ennemi par des actions de sabotage ou de désinformation...
Mais, l'Opération Griffon, telle que Hitler l'a exposée à Skorzeny, a un second objectif, ultra-secret et prioritaire. Même en cas d'échec de l'opération Brouillard d'automne, la mission des soldats triés sur le volet pour atteindre ce second objectif continuerait. Bien évidemment, vous aurez compris que je ne vous dirai pas dans ce billet quelle est la nature de ce second objectif, que le lecteur voit revenir sans arrêt mais dont il ignore lui aussi la teneur pendant un long moment...
"Le Second Objectif" s'ouvre sur les entretiens des soldats sélectionnés pour rejoindre le faux contingent américain, à la base de Grafenwörh. Nous faisons alors connaissance de deux des trois personnages centraux de la fiction qui va se mettre en place dans ce contexte historique si particulier. Le premier s'appelle Bernie Oster, un jeune homme au parcours assez particulier. Il figure en haut de la liste pour rejoindre le contingent de Skorzeny et pour cause, il a passé toute sa jeunesse à Brooklyn, après que sa famille, de nationalité allemande, ait quitté son pays pour fuir la terrible crise économique qui a suivi la défaite de 1918.
Etrange retour de manivelle de l'Histoire, quelques années après, la crise de 29 a poussé la famille Oster à rentrer au bercail, bien que ne partageant pas les idées nazies. Bernie a donc abandonné (provisoirement) son rêve américain, lui qui ne se considère pas vraiment allemand, pour faire des études en Allemagne et devenir, suite à la mobilisation, simple mécanicien dans l'armée allemande.
Cette double culture est ce qui a placé Oster en haut de la liste des volontaires désignés pour rejoindre le nouveau commando Skorzeny. Au grand dam du jeune homme, qui se rêve plutôt résistant que nazi fanatique... Mais, Bernie a ce savoir qui intéresse tant les responsables de l'opération Grillon : les infos people, les connaissances sportives sur le base-ball et ses stars, par exemple, bref, tout ce qui pourrait éviter au commando de se trahir auprès des véritables soldats américains.
Peu enthousiaste à l'idée de participer à cette mission secrète, Bernie Oster fait la connaissance, au cours de ces entretiens, de Erich von Leinsdorff, officier SS, lui aussi convoqué à Grafenwörh. Et pour cause, ce fils de diplomate allemand a grandi en Angleterre où il a appris à parfaitement parler la langue. Certes, avec un certain snobisme tout britannique qui ne colle guère avec l'accent et l'argot yankees que l'on voudrait voir adopter par les commandos afin de se fondre dans le décor, mais la base est là.
Le fanatisme aussi. Von Leinsdorff est devenu un SS aux idées radicale par rejet de sa propre famille. Même si on peut se demander si les tendances de psychopathe qu'il va afficher tout au long du livre ne préexistait pas à son intégration à la Waffen SS... En tout cas, elles y ont trouvé le parfait terreau pour s'y épanouir... Pas étonnant, donc, que von Leinsdorff fasse partie des officiers chargés d'atteindre le second objectif...
Et, pour l'épauler, il choisit Bernie, le plus apte à ses yeux, à passer pour un vrai Américain, comme membre de sa petite équipe. Une équipe de 4, initialement. Au total, elles seront 5, placées sous le commandement d'un officier, seul membre de ces équipes à connaître la teneur du second objectif et chargé de mettre l'opération en oeuvre en n'informant les autres de son contenu qu'à la dernière minute.
Malgré deux derniers membres plus inefficaces et dangereux qu'utiles, l'équipe de von Leinsdorff et Oster va parvenir à son premier objectif : franchir la ligne de front et se retrouver en territoire US. Pourtant, la fâcheuse tendance de von Leinsdorff à laisser derrière lui des cadavres va attirer l'attention du troisième protagoniste principal du roman : Earl Grannit.
Officier américain, taciturne et secret mais doté d'un don d'observation et d'une grande intuition, il s'est engagé dès l'entrée en guerre des Etats-Unis, provoquant quelques remous lorsqu'il annonça qu'il voulait quitter son poste pour devenir soldat. Et pour cause : Grannit, avant la guerre, était policier à New York, profession épargnée par la mobilisation. Il a fallu ruer dans les brancards pour pouvoir mettre ce voeu en oeuvre. Et le voilà, exerçant ses talents de policier sur le front. Traquant ceux qui piquent les vivres et les ressources destinées aux soldats pour en faire un juteux trafic. Pas vraiment un boulot pour un flic de la criminelle, mais Grannit est consciencieux et se montre d'une grande efficacité dans son action...
Mais, le voilà bientôt qui flaire un cas infiniment plus intéressant, lorsque des GI qui tenaient un barrage sur une route de Belgique sont retrouvés morts, assassinés. De fil en aiguille, eh oui, je vais vous en laisser un peu à vous mettre sous la dent, Grannit, et son adjoint Ole Carlson vont se lancer à la poursuite des tueurs, qu'ils supposent d'emblée appartenir à leur camp avant de comprendre progressivement que ces crimes pourraient bien être l'oeuvre d'Allemands habillés en soldats américains.
Ils vont alors se lancer à la poursuite de ceux qu'ils pensent être les tueurs, le duo von Leinsdorff/Oster, sans savoir qu'il n'y a qu'un assassin, qu'il est redoutable et prêt à tout pour accomplir sa mission : le second objectif de l'opération Griffon. Des Ardennes où l'enfer se déchaîne soudainement sous la poussée allemande, jusqu'à Versailles, lieu fastueux du duel final (et crépusculaire, comme il se doit). Un suspense haletant, qui connaîtra un premier point d'orgue dans un cinéma de Reims, premier contact entre le trio que je vous ai présenté. Avant de replonger dans une course contre-la-montre aveugle pour remettre la main sur von Leinsdorff avant qu'il ne parvienne à ses fins.
Un Second Objectif que l'on découvre, nous lecteurs, en cours de roman, histoire de pimenter le récit, alors que Grannit l'ignore encore, ne se consacrant qu'à la poursuite d'un assassin. Mais, plus surprenant, même Oster ignore ce que son dangereux acolyte mijote. Sans ordre précis, il est incapable d'imaginer dans quoi on l'embarque. Pourtant, malgré son aversion croissante pour von Leinsdorff et sa crainte croissante de faire partie de ses prochaines victimes, Bernie s'accroche, ne voulant pas lâcher l'autre avant d'avoir compris sa mission, pensant ainsi mieux pouvoir l'en empêcher...
Bernie va devenir la bascule, le point d'équilibre, la courroie entre Grannit et von Leinsdorff. Le jeune homme, un peu perdu, ne sachant plus trop qui il est, connaissant les risques qu'il encourt dans chacun des camps (côté US, il risque la court martiale et la mort pour espionnage) mais redoutant aussi bien l'arme du SS que la justice militaire américaine.
Pendant que les armées du Reich tentent leur va-tout autour de Bastogne (une effroyable bataille, un des passages les plus impressionnants de la série Band of Brothers), encerclant les troupes du général Bradley, profitant du mauvais temps de décembre qui cloue au sol l'aviation alliée, Grannit prend peu à peu conscience de ce que veut faire von Leinsdorff, dernier des commandos Skorzeny encore en piste, et de la catastrophe que serait la réussite de son plan pour les Anglo-Saxons. Mais von Leinsdorff n'est pas que fou, il est intelligent, rusé, méticuleux et prêt à tout...
Le destin des 3 personnages est inextricable, du sort de l'un découlera celui des autres et la tension est grande, dans un dénouement qui, d'abord, ralentit, sans s'essouffler, pour mieux repartir. On est sous tension de la première à la dernière page, conscients que la folie de von Leinsdorff est le dernier atout d'un autre fou furieux, déjà barricadé dans son bunker, si vous voyez qui je veux dire...
A noter que la fin du roman, chose assez rare pour un thriller américain, fait preuve de pédagogie, revenant sur les faits historiques utilisés dans le cadre du livre ainsi que sur le destin, certes écoeurant, mais peu ordinaire de Skorzeny, qui a échoué dans la mise en place de l'Opération Griffon, n'a pu atteindre la ligne de front et prendre part à ces derniers affrontements, mais qui saura en revanche par la suite, parfaitement sauver sa peau... Un des rares dignitaires nazis à ne jamais avoir été rattrapé par la justice...
Et puis, je ne voudrais pas terminer sans saluer l'humour de Frost. En effet, lors des scènes se déroulant à Paris, le romancier met en scène un flic français, contacté par Grannit pour qu'il lui apporte son aide... Un fin limier du 36, Quai des Orfèvres, porté sur la bouffe plutôt roborative et les demis et dont la femme semble tenir une grande place dans la vie. Eh oui, Frost a su, derrière le commissaire Massou, nous offrir, à nous, francophones, un hommage amusant et respectueux à notre cher Maigret !
Un simple bémol, souvent inhérent aux romans américains, ce manichéisme parfois pénible... L'officier SS est forcément un psychopathe (je précise que je ne défends pas les SS, mais von Leinsdorff va au-delà du fanatisme idéologique, il prend plaisir à tuer) et les Américains sont sans peur et sans reproche. La preuve, cette scène ou Grannit, confronté à des prisonniers allemands explique que dans son camp, on ne pratique pas le crime de guerre (les nazis ont, lors de la bataille des Ardennes, exécuté sommairement de nombreux prisonniers américains qui s'étaient rendus ou avaient été capturé au cours de l'attaque surprise) mais la justice... Sans faire de généralisation, et sans même évoquer Hiroshima et Nagasaki, la vérité historique est sans doute plus complexe et plus contrastée que cela.
J'ai, malgré cette critique ultime, passé un bon moment en lisant ce livre. "Le Second objectif" entre dans une catégorie de romans que j'apprécie particulièrement, celle qui allie les faits historiques à une totale fiction. Evidemment, quelques personnages historiques interviennent au cours du récit, mais ce sont des personnages secondaires. Ce sont bien les 3 personnages de fiction qui mènent la danse et qui vont jouer leur destin dans cette minuscule bataille au choeur du chaos des évènements. A chacun de tirer son épingle de ce jeu mortel, qui peut également décider de l'avenir d'un monde en guerre...
Mais aucun ne sortira totalement indemne.
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