jeudi 14 mars 2013

"Il n'y a qu'une raison pour ne pas jouer. Etre mort... et encore."

Les stars sont-elles des êtres humains comme les autres ? C'est un peu la question posée par Marc Quentin Szwarcburg dans son premier roman, "Première !" qui vient de sortir aux éditions Héloïse d'Ormesson. Un premier roman plein d'humour, gentiment ironique, qui plonge le lecteur dans l'angoisse des heures qui précèdent la première d'une pièce de théâtre, dont vous comprendrez vite qu'il s'agit d'un évènement fort médiatique. Szwarcburg connaît bien ce milieu, puisqu'il est lui-même comédien et metteur en scène et qu'il a enseigné l'art dramatique au fameux cours Florent. Mais, si le ton est plein d'une tendresse amusée envers ses personnages, même les plus odieux, les thèmes développés dans ce court roman sont bien plus profonds qu'il n'y paraît.


Couverture Première !


Dans moins de 24 heures, le rideau d'un grand théâtre parisien se lèvera et, devant un parterre de happy few qui ne rateraient pour rien au monde un tel rendez-vous, entreront sur scène et se donneront la réplique deux immenses stars : Catherine Cousin et Daniel Barbane. L'évènement est de taille, car Barbane n'est plus monté sur les planches depuis 25 ans tandis que Cousin reste une valeur sûre malgré une carrière un peu plus... discrète, ces derniers temps.

Une première qui devrait faire le buzz, n'en doutons pas, à condition... qu'elle ait lieu ! En effet, s'il y a un quart de siècle qu'on n'a pas vu l'idole Daniel Barbane au théâtre, ce n'est pas seulement parce qu'il s'est consacré tout entier au cinéma, mais parce qu'il a une peur panique de monter sur scène. Oh, pas le simple trac qui étreint n'importe qui lorsqu'il doit intervenir en public. Non, une trouille viscérale, celle qui grignote le cerveau sans interruption, qui paralyse et ne s'estompe pas lorsque les premières répliques fusent.

Bref, Barbane fait dans son pantalon à l'idée de ce retour sous les feux de la rampe. Alors, le voilà en train de chercher LA solution qui lui permettra d'échapper à son chemin de croix du lendemain. Mais, pour qu'il ne puisse monter sur scène le lendemain, il va falloir mettre le paquet, parce que, comme on lui a enseigné lorsqu'il apprenait le métier de comédien, il n'y a qu'une seule raison valable pour ne pas monter sur scène : être mort. Et encore ! Et comme, de toute manière, Barbane flippe mais pas au point d'être suicidaire, la question ne se pose pas en ces termes.

Alors, plongeant dans l'alcool, qu'il consomme depuis toujours en trop grande quantité, il échafaude desz projets plus saugrenus les uns que les autres : proposer au videur d'une boîte de nuit ou à son meilleur ami de lui casser une jambe ou de lui infliger une telle correction qu'il lui sera impossible de tenir son rôle avant longtemps ; provoquer un homme pour qu'il fasse ce que les précédents n'ont pas pu ou voulu faire ; jouer les Winona Ryder dans une bijouterie ; profiter de la moindre anicroche pour envenimer la situation et espérer récupérer un mauvais coup ou, mieux encore, finir derrière les barreaux suffisamment longtemps pour qu'on doive annuler la première...

Mais, Barbane a oublié quelque chose : en France, une star n'est pas du tout traité comme le commun des mortels. Et, malgré ses efforts intensifs et une imagination débordante pour se mettre dans le pétrin, il ne parvient pas à arriver à ses fins. Et l'heure tourne, tourne, inexorablement, et la trouille monte, monte, aussi vite que son taux d'alcoolémie...

Lorsqu'il essaye d'expliquer à son agent la situation et son refus de monter sur scène le soir même, il se heurte encore à un mur. Et pour cause, l'agent en question, Camille, est son ex-épouse et la mère de sa fille. Une ex-épouse qui n'a pas bien vécu du tout la séparation et qui, sans pour autant mêler boulot et rancoeur, ne passe plus aucun caprice à la star qui partagea sa vie...

Pendant que Daniel Barbane se débat dans ces problèmes existentiels qu'il aimerait régler à la batte de base-ball, celle qui doit partager l'affiche avec lui ce soir, est dans ses petits souliers. Pour Catherine Cousin, ce rendez-vous est juste... fondamental. La pièce est de qualité, le rôle important va lui permettre de mettre en valeur ses talents de comédienne et la présence de Barbane lui assure une couverture médiatique susceptible de relancer une carrière qui stagne un peu...

Approchant de la cinquantaine, l'actrice, toute star qu'elle soit, commence à peiner à trouver des rôles à la hauteur de ses attentes. "Je ne suis pas n'importe qui", est d'ailleurs la première phrase qu'elle prononce dans le roman. Et, si elle s'impatiente, ce n'est pas juste parce qu'elle risque d'être oubliée mais, bien plus prosaïquement, parce qu'elle a un besoin urgent et impératif d'argent... En effet, son dernier amant en date a eu l'indélicatesse de l'escroquer avant de la larguer sans ménagement...

C'est dire si la première à venir est fondamentale pour la suite de la carrière de Catherine Cousin. L'échec serait synonyme de déchéance et de dèche tout court... Alors, elle s'échine, en attendant cette première, à trouver de quoi renflouer son compte en banque à sec. Bien sûr, trouver des rôles remarquables et qui seront remarqués à des tarifs dignes de son statut, ce n'est pas simple. Pour autant, malgré sa situation compliquée, Catherine Cousin n'entend pas s'abaisser à ce qu'elle a toujours refusé de faire. Taper les copains et les connaissances, oui, mais tourner des publicités, même pour un cachet conséquent, JAMAIS !

Pour elle aussi, cette veillée d'armes ne se goupille pas comme elle le souhaiterait... Qui n'a rien à lui prêter, qui lui propose des projets bien trop lointain, de qualité, mais payés des queues de cerise, qui lui offre des deals inacceptables... Elle a beau faire de son mieux pour trouver une bouée de sauvetage, rien n'y fait, la première reste donc ses dernières planches de survie...

Comme dans la pièce, ces deux-là tiennent le haut de l'affiche du roman de Marc Quentin Szwarcburg, mais d'autres personnages gravitent autour de ces deux ego gigantesques, dont on se rend compte peu à peu qu'ils ont une relation au monde, le vrai, le nôtre, celui des spectateurs qui en ont fait des stars, assez... particulière, pas vraiment raisonnable. Des rôles secondaires, mais indispensable pour mettre en place l'histoire de ces deux stars en pleine déliquescence.

J'ai évoqué Camille, agent de Daniel (et son ex, je le rappelle), mais aussi de Catherine Cousin. C'est dire si, pour elle aussi, cette première est importante. Elle atteint la quarantaine et le vit très mal, une blessure qui ne fait que réveiller celle, plus profonde, de sa rupture avec Barbane. Il est d'ailleurs surprenant de voir cette femme accepter de gérer la carrière d'un homme avec qui elle a encore tant de comptes personnels à régler.

Il y a Emilie de Chassagne, l'attachée de presse de la pièce, aussi insupportable qu'elle est compétente dans sa partie. Une espèce de boule de nerfs (je ne peux m'empêcher d'imaginer Isabelle Nanty dans ce rôle...) qui essaye de mener de front une carrière professionnelle remarquable et une vie de mère célibataire avec un enfant en bas âge à élever...

Disons-le tout net, elle horripile tout le monde, Emilie, même le lecteur, par moments, on entendrait presque le timbre de sa voix, capable de faire passer le crissement d'une craie sur un tableau noir pour de la musique douce... Mais soyons honnête et reconnaissons aussi qu'elle n'a pas la partie facile, avec un Barbane au bord de la crise de nerf (ou du coma éthylique), un enfant en bas âge à gérer au milieu de son agenda bien rempli, sans oublier la grosse surprise qui va marquer sa journée, déjà surbookée...

Et puis, elle est fine guêpe, Emilie. Elle a réussi à placer dans la distribution de la pièce son frère, Guillaume, jeune comédien débutant au physique de jeune premier. Bon, un rôle minime, mais qui pourra lui mettre le pied à l'étrier ! C'est qu'on a le sens de la famille, chez les Chassagne... Quand Emilie bosse comme une damnée, c'est Guillaume qui joue les baby-sitters. Et quand sa frangine est importunée ou qu'on attente à son honneur, Guillaume joue les justiciers...

N'oublions pas Vincent Dos Santos. Flic à la brigade financière, il est celui qui va ramener Catherine Cousin sur terre, enfin, souhaitons-le, sa caution sortie tout droit de la réalité. Il paraît un peu falot au milieu de ces personnalités plus ou moins flamboyantes, mais pleines de caractères et qui vivent à 100 à l'heure en permanence. Mais il est... vrai, au milieu d'un monde d'apparences, de gens qui ne sont jamais vraiment qui ils paraissent être, qui n'ont qu'une bien vague idée du sens du mot sincérité...

Certes, Catherine va d'abord en faire un instrument dans sa quête de revenus puis dans sa volonté désespérée d'écarter les obstacles judiciaires qui vont se dresser au cours de cette journée pré-première mouvementée... Pourtant, en sa compagnie, la Grande Dame, si elle ne fend pas complètement l'armure, voit sa "staritude" s'incarner dans un corps de femme. Quelle étrange sensation !

Enfin, j'ai gardé pour la fin le plus touchant de tous ces personnages, Gérard. Passé la soixantaine, il n'a connu que des seconds rôles et il s'en porte parfaitement. D'ailleurs, dans la pièce dont c'est la première le soir même, il n'a que quelques répliques, rien de plus. Toute sa vie, il s'est accommodé de cette modestie, tant dans sa vie d'acteur que dans sa vie d'homme. Jamais il n'a brigué les honneurs, les paillettes, les sunlights, les récompenses, les cachets faramineux, les unes de presse people, les castings de prestige...

Mais, le plus surprenant dans tout ça, c'est que Gérard est... heureux. Oh, n'allez pas croire que tout est rose dans son existence, il a eu son comptant de malheurs et ne s'est toujours pas remis du départ de sa femme... Mais, Gérard est ce qu'on appelle une bonne nature, quelqu'un qui, en toutes circonstances, prend la vie du bon côté. Un homme attentif aux autres, à l'écoute et capable de compassion.

Loin des frasques de ses collègues, il se ressource entre deux représentations en peignant, avec lenteur et application, ou en entretenant sa forme physique. Professionnellement, Gérard est un comédien à l'ancienne, consciencieux, dur à la tâche, discret mais indispensable, respectueux de ses collègues et dépositaire des traditions ancestrales en vigueur sous les ors comme dans les coulisses des théâtres, aujourd'hui souvent négligées ou jugées obsolètes.

Mais le contraste entre Gérard et les deux stars avec lesquelles il s'apprête à partager, modestement, l'affiche, est encore accru quand Szwarcburg, grand manitou manipulateur, metteur en scène de cette comédie, place le comédien Gérard au milieu de personnages anonymes, sans statut artistique mais remplissant des tâches tout à fait quotidiennes, mais qui paraissent jouer des rôles dans cette vie de tous les jours.

Je pense en particulier à cette concierge qui a transformé sa loge, au rez-de-chaussée de l'immeuble où vit Gérard, en véritable annexe de la Bourse de Paris. Manifestement, la dame est douée et file volontiers quelques conseils d'investissements plutôt juteux, mais, comprenez, messieurs-dames, dans cette famille, on est bignole de mère en fille et une telle dynastie, ça se respecte...

Face à Gérard qui est lui-même à chaque seconde de sa vie, même lorsqu'il joue, pourrait-on croire, on se retrouve avec une femme dont on se demande si c'est une gardienne d'immeuble qui joue les traders ou, au contraire, une trader qui interprète avec brio un rôle de composition dans lequel elle est concierge... Etonnante mise en abîme...

Gérard est la preuve qu'on peut être comédien et... humain. Pas dans le sens biologique, les comédiens ne sont pas des cyborgs, enfin, pas tous, mais dans le sens d'un être doué de sensibilité et capable d'évoluer dans la société des hommes. Lorsque l'on regarde évoluer Daniel Barbane et Catherine Cousin, on doute sérieusement de l'aptitude de l'un et de l'autre à remplir ces conditions...

Barbane est une montagne d'égoïsme, son égocentrisme est à la mesure de son orgueil et il ne vit que dans le regard admiratif des autres. Or, lorsqu'il décide de ne pas monter sur scène pour cette première tant attendue, il va se heurter à deux éléments imprévus : d'une part, le respect que lui porte le commun des mortels, au point de ne jamais le suivre dans ses plans foireux pour s'éviter la galère qu'il redoute (et le seul qui lui manque de respect refuse de l'aider pour l'emmerder ; si ce n'est pas un problème insoluble...) ; d'autre part, l'insondable vacuité de sa vie en dehors de son costume d'acteur... C'est bien beau de ne pas vouloir jouer, mais pour faire quoi, pour devenir quoi ?

Catherine Cousin est, à mes yeux, tout le contraire. Il n'y a pas de vide dans sa vie, tout simplement parce qu'elle ne cesse jamais de jouer. Actrice, elle l'est 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Elle explique même qu'elle ne sait pas pleurer, qu'elle ne pleure que lorsqu'elle joue la femme qui pleure. Comment savoir qui elle est vraiment, puisque tout est factice, chez elle, insincère, en tout cas ? Et elle-même a-t-elle encore une idée, même vague, même lointaine, de qui fut Catherine Cousin avant de devenir une star ?

Pourtant, la situation, son âge, sa carrière qui patine, ses problèmes financiers, la fait vaciller de son piédestal et pourrait, à terme, la rabaisser au rang d'une citoyenne lambda. Mais elle ne sait pas vivre ! Et pour cause, puisqu'elle n'existe pas... Elle n'est qu'une image, l'image d'elle-même qu'elle s'est construite et qu'a reprise l'opinion publique. Sans un rond, si la première capote, alors, elle sera dans une situation dramatique, désespérée, sauf si l'action bénéfique d'un Vincent Dos Santos porte quelques fruits...

Barbane et Cousin sont la parfaite illustration de la phrase de Molière, qui parlait des comédiens en disant qu'ils étaient "de drôles d'animaux". Mais, dans "Première !", l'espèce est sérieusement menacée par les circonstances. Pire encore, c'est l'espèce même qui se menace toute seule, Barbane par peur et ras-le-bol, Cousin, par son incurie et sa grande naïveté.

Mais, le plus amusant dans "Première !", c'est cette impression de lire une pièce de théâtre avant la pièce de théâtre. Un vaudeville plein d'humour, d'ironie mais aussi de tendresse dans lequel plein de rebondissements se déroulent sous nos yeux, dans le plus grand cafouillage. Vraiment pas l'idéal pour la concentration, alors que les heures s'égrainent et que le lever de rideau approche...

Il y a quelque chose de "Cuisines et dépendances", du duo Bacri/Jaoui, ou encore du "Lapin chasseur", de la troupe des Deschiens, dans la façon où l'on se glisse dans l'envers du décor, où l'on assiste à ce qu'on ne devrait pas forcément voir. Et, plus la lecture avance, plus on est convaincu, comme semble nous l'expliquer Marc Quentin Szwarcburg, que la vie n'est peut-être pas un cabaret, mais bien une pièce de théâtre grandeur nature dans laquelle chacun des 7 milliards d'individus vivant à travers le monde joue son rôle...

Et ce ne sont pas forcément ceux qui occupent les premiers rôles qui sont les plus heureux. A méditer...


1 commentaire:

  1. J'ai beaucoup aimé ce premier roman. Cet auteur sera, il me semble, à suivre de près.

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