mercredi 22 janvier 2014

"Tout ce qui s'en va, s'en va vers la mer".

"La vérité sort de la bouche des enfants", dit le dicton... Mais, l'enfant a aussi des yeux, un nerf optique et un cerveau. Et c'est plutôt sous cet aspect, celui de l'observateur, du témoin, que Gilles Paris a pris l'habitude de nous présenter des enfants, personnages centraux de ses romans. Des enfants pleins d'ingénuité, qui peinent à comprendre le monde des adultes, qui nous le racontent avec leur regard... Dans son nouveau roman, "l'été des lucioles" (en grand format chez Héloïse d'Ormesson), on retrouve tous ces éléments, mais aussi pas mal de nouveautés très intéressantes... Et il flotte sur cette histoire, un parfum de fantastique pas désagréable du tout...





Victor a 9 ans et passe, depuis quelques années, ses vacances en famille à Roquebrune-Cap-Martin, entre Monaco et Menton. Sa famille, c'est Alicia, sa soeur adolescente qui cherche activement le "bon" garçon et ses deux mamans, comme il dit. La femme qui lui a donné le jour est libraire à Bourg-en-Bresse et passe ses journées, et même ses nuits, le nez dans des bouquins. Sa compagne, Pilar, est originaire d'Argentine.

Pilar peint. Uniquement des paysages, jamais de personnages. Et ses toiles évoquent avec une grande nostalgie son Argentine natale, la maison de son enfance qu'elle ne retrouvera jamais, elle le sait. Mais elle a ce besoin quotidien de peindre ces souvenirs d'enfance, tout en nourrissant l'espoir d'emmener sa nouvelle famille en Argentine, un jour.

Le papa d'Alicia et de Victor vit à Paris. Il est photographe et les enfants regrettent de ne pas le voir plus souvent. Si leurs parents se sont séparés, c'est parce que cet homme refuse de grandir, de se sentir concerné par les contingences qu'imposent l'âge adulte. Mais voilà, vivre sans jamais se soucier de rien, ça ne colle pas vraiment avec une vie de famille... Quand la libraire en a eu assez de rattraper les oublis de son époux, elle l'a mis dehors, en espérant que l'électro-choc serait salutaire...

Alicia et Victor aimerait plus que tout que leur père vienne passer une partie des vacances avec eux, au bord de la Grande Bleue. Mais, de façon incompréhensible, le père refuse de venir dans cette résidence où il a pourtant passé lui-même des vacances lorsqu'il était enfant, vraiment enfant. L'appartement a ensuite appartenu à sa soeur qui, à sa disparition, lui a légué. Mais jamais il n'a voulu y remettre les pieds...

Dommage, l'endroit est chouette, à deux pas de la mer, idéal pour passer de bonnes vacances. En plus, il y a des papillons multicolores le jour et des myriades de lucioles qui illuminent la nuit... Victor est fasciné par ces insectes dont il n'avait jamais entendu parler. En plus, des adultes qui connaissent bien le coin lui ont assuré qu'on n'avait plus vu autant de lucioles à Roquebrune depuis longtemps.

Ces vacances s'annoncent formidables ! Alicia voit des garçons, les beaux Luigi et Lorenzo lui font les yeux doux ! Victor, lui, s'est trouvé un meilleur ami, Gaspard. Et un béguin, Justine. Une jolie fillette de son âge qu'il s'imagine déjà épouser plus tard, quand ils seront grands... Si sa nurse à l'air sévère lui laisse un peu de liberté, bien sûr...

Victor a aussi rencontré une baronne, rien que ça ! Elle partage sa vie entre Roquebrune et Zanzibar. La vieille dame, qui passe une bonne partie de ses journées sur un banc de la résidence, apprécie le petit bonhomme et les discussions qu'ils partagent plaisent également beaucoup à l'enfant.

Mais, la rencontre la plus marquante de ces vacances, c'est celle des jumeaux, Tom et Nathan. Une rencontre de hasard, presque secrète... Ils n'habitent pas la résidence, mais de l'autre côté de la baie. Ils ont montré à Victor le chemin des douaniers, qui longe la mer. Et ils veulent l'emmener voir les magnifiques maisons qui se trouvent le long de ce chemin. Les voir de l'extérieur, mais aussi y entrer !

Tout cela demande du secret, de la discrétion. Alors, ils communiquent en se laissant des messages dans un vieux tronc creux... Victor entend bien emmener Justine et Gaspard avec lui dans ces aventures qui lui font un peu peur. Car les maisons sont immenses et ont l'air abandonné... Et si des adultes les voient pendant qu'ils se promènent là, tous seuls, ça risque de barder !

Mais, ce risque, c'est excitant, et aller vers l'inconnu avec ces deux frères un peu bizarre, aussi ! Ah oui, parce que je ne vous ai pas dit, mais Tom et Nathan ont un je-ne-sais-quoi de mystérieux... Victor trouve même qu'ils ne ressemblent à aucun garçon de son âge qu'il a pu connaître... Et puis, ils savent tellement de choses sur l'histoire du chemin des douaniers et des maisons !

Oui, ces vacances s'annoncent vraiment formidables, mais aussi pleines de découvertes et de surprises... Pleines de questions qui, peut-être finiront par trouver leurs réponses... Pleines d'énigmes, comme ces pluies qui tombent soudainement alors qu'il n'y a pas de nuage ou cette foudre qui s'abat... Pleines d'étrangetés, comme ces jumeaux au comportement vraiment insolite...

"L'été des lucioles", comme les précédents romans de Gilles Paris, est donc raconté par un enfant. Avec ce regard si particulier et ses questions permanentes auxquelles les adultes ne répondent pas toujours, alors qu'il doit bien y en avoir, des réponses ! Mais, si dans "Au pays des kangourous", Simon, le petit narrateur, était plus spectateur qu'acteur, cette fois, Victor est le moteur de l'histoire de ce nouveau roman.

Certes, il ne sait pas vraiment ni où il va, ni ce qu'il cherche vraiment en suivant les jumeaux le long du chemin des douaniers. Mais, c'est comme si son instinct l'encourageait à aller avec eux visiter les magnifiques maisons qui se dressent là. Comme si Tom et Nathan étaient vraiment venus le chercher, lui, et personne d'autre. Comme s'ils voulaient lui montrer, lui faire comprendre quelque chose...

Victor n'est pas le plus courageux ou le plus aventurier des petits garçons, il confie toujours qu'il a un peu peur, quand il fait quelque chose qu'il sait être défendu, dans le dos des adultes... Mais c'est plus fort que lui. Avec Gaspard, Justine, Tom et Nathan, ils forment une espèce de Club des cinq d'aujourd'hui, loin de la lande anglaise... Peu importe, le mystère qui entoure les jumeaux l'attire irrésistiblement...

Mais, il n'y a pas que les enfants, dans ce roman. Il y a Alicia, adolescente au grand coeur, sans doute trop grand, même. Elle est presque une grande soeur idéale, pour Victor, ils partagent leurs secrets entre eux, ceux qu'ils ne faut pas révéler aux adultes. Mais, adulte, on dirait qu'Alicia a hâte de l'être... Elle fugue souvent avec des garçons, mais ce n'est jamais le bon, elle adopte des comportements qui iraient mieux à des personnes plus âgées, comme fumer, boire de l'alcool, flirter et même un peu plus...

Alicia est mal dans sa peau, elle vit mal l'absence de son père, avec qui elle reste en contact régulier, sans trop le dire à sa mère... Elle n'a rien contre Pilar, mais elle aimerait vraiment que son père et sa mère recommencent à vivre ensemble... Ou au moins passer plus de temps avec son père. Et Victor aussi aimerait tout cela !

Quant aux adultes, eux aussi ont leurs soucis, dans ce roman. J'en ai évoqué certains, je vais développer un peu. Car c'est aussi une des clés du livre. Le père des enfants est donc un adulte qui refuse de grandir. Ce n'est pas le personnage du "Tambour", de Günter Grass, non, mais un homme qui repousse avec force toute forme de responsabilité dans la vie. Lui, il préfère observer et rester invisible, comme l'indique son métier de photographe.

Il est également très peu disert sur sa propre enfance, curieux paradoxe, quand on donne l'impression de ne pas vouloir grandir... Il semble bloqué, refuse d'expliquer quoi que ce soit sur sa vie d'alors, comme s'il cherchait à en effacer jusqu'aux souvenirs de cette époque... Au point de ne pas vouloir les accompagner à Roquebrune... Victor aimerait comprendre pourquoi il réagit comme ça...

Sa mère, elle, ne fuit pas ses responsabilités. Elle est une gentille maman, mais elle travaille sans cesse, sa librairie, ses livres... Victor a toujours l'impression de la voir en train de lire. C'est même à ça qu'il sait si elle va bien ou pas... Mais, on a aussi l'impression qu'elle fuit sans cesse le réel, préférant se plonger dans la fiction romanesque ou la poésie plutôt que de vivre...

Enfin, Pilar, qui revit toile après toile cette enfance évanouie quand sa famille dut quitter l'Argentine pour s'exiler en France. Quand ses parents sont rentrés au pays, elle est restée en France, mais avec la nostalgie chevillée au corps. Pas celle de l'Argentine, qu'elle ne connaît plus, pas celle de ses parents, qu'elle n'a plus vus depuis des années, mais celle de son enfance et de ce bonheur simple qui était le sien alors...

Tous ces personnages, au cours de cet été, vont voir leurs vies bouleversées. Tous, pour différentes raisons, ne sont pas heureux, il leur manque quelque chose... Cet été-là, chacun va voir s'éclairer son existence, tomber certains obstacles. Comme si le retour des lucioles avait montré la voie à suivre. Comme si, dans le sillage des jumeaux, Victor avait servi de guide à tous ses proches...

On retrouve le style plein de tendresse de Gilles Paris et le regard naïf et sans aucun cynisme dont il dote ses jeunes personnages principaux. Mais il plane aussi sur ce roman une aura étrange, pleine de mystères et qui en fait un livre proche d'un conte fantastique. La tension y monte doucement, la Méditerranée n'est pas un pays de grandes marées, mais les tempêtes peuvent y être soudaines et dévastatrices...

Gilles Paris nous offre aussi une galerie de personnages complètes, avec quelques personnages haut en couleurs. J'ai une tendresse particulière pour cette baronne, qui semble sortie d'une Riviera qui n'existe plus et que le jeune Victor va mettre à la page. Mais bien sûr, se détachent les jumeaux, peu présents en quantité dans le roman, mais sur qui repose une grande partie de l'intrigue.

Et puis, "l'été des lucioles", c'est une balade estivale dans un coin de France privilégié. De Roquebrune à Vintimille, de ce chemin des douaniers bordé par ces magnifiques villas, qui constitue une merveilleuse promenade à ne pas rater si vous venez dans la région, au marché de la ville italienne et ses célèbres contrefaçons (merci, Gilles, de m'avoir rajeuni, avec cette scène !), en passant par les plages cannoises, le lecteur part lui aussi en vacances... Ne manquent, avec les papillons et les lucioles, que les stridulations des cigales !

On sent également que Gilles Paris s'est bien amusé en écrivant ce roman, en y semant pas mal de clins d'oeil personnels et en retrouvant toujours ce ton particulier de l'enfance qu'il semble, à l'image du père de Victor, ne jamais vouloir quitter. Les maux qui sont au coeur de l'histoire sont très certainement moins autobiographiques que ceux d' "Au pays des kangourous" et nous plongent dans un roman initiatique... un peu particulier...

Parce qu'il reste un aspect à aborder et je voulais finir avec ça... Vous aurez remarqué que, dans mon énumération des soucis de la famille de Victor, il manquait l'enfant lui-même. Il y a un élément majeur dont je n'ai pas parlé, mais vous le découvrirez rapidement si vous lisez le livre, puisqu'il apparaît à la première page.

J'ai volontairement choisi de l'occulter ici parce que je n'y ai pas prêté tout de suite attention, avant de me rendre compte au final que c'était sans doute bien plus important qu'il n'y paraît... Non, je n'ai pas parlé de la vie de Victor en dehors de cet été-là. Mais, comme tous les membres de sa famille, lui aussi n'est pas aussi heureux qu'il pourrait l'être.

Sans cesse il pose des questions, nous dit-il à un moment. Des questions sur la vie, sur sa vie, qui bien souvent, reste sans réponse. Comme si ses parents ne savaient pas quoi lui répondre... Alors, il ne nous dit pas directement ce qui lui manque, ce petit bonhomme timide mais volontaire. Mais, entre les lignes de son récit, il nous l'explique, avec ses mots, ses idées bien à lui...

Et puisqu'il a du mal à comprendre le monde qui l'entoure et la vie des adultes, puisque personne ne répond aux questions fondamentales qu'il se pose, eh bien, il va le faire lui-même... Parce qu'il n'y a pas que la vérité qui sort de la bouche des enfants... Non, avec elle, ils peuvent aussi nous entraîner dans leur imagination...

3 commentaires:

  1. Un livre que j'ai vraiment aimé <3 !!! Je viens tout juste de poster mon avis !!!

    PS : je peux mettre un lien de ta chronique sur la mienne ?

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    1. Si tu veux :-)

      Mais il serait bon d'ouvrir ici à la discussion sur le livre ;-)

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  2. Un beau billet comme tu sais les écrire.
    Je le mets dans ma WL. Merci Drille.

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