Désolé pour la vulgarité, mais en lisant cette phrase, qui arrive assez tôt dans le cours du livre, je me suis dit que ça ferait un pu... euh, un super bon titre pour le billet. Et, une fois ce thriller achevé, je n'ai pas hésité longtemps avant de rechercher cette phrase (que j'ai un peu élaguée, mais sans en changer le sens) pour la placer en tête de cette chronique. Il y a cinq ans (bon, un peu moins en ce qui me concerne, je ne l'avais pas lu à la sortie), les lecteurs français découvraient Mike Ford, étudiant en droit à Harvard qui faisait ses premières armes dans le petit monde du lobbying de la capitale fédérale, Washington. Le roman portait un titre de péplum, "les 500" (désormais disponible en poche chez Pocket), mais c'était un pur thriller dans un monde très peu abordé par les romanciers, en tout cas pas de cette façon. Revoilà Mike Ford embarqué dans une nouvelle aventure, dans le nouveau roman de Matthew Quirk, "Confidentiel défense" (sorti au printemps dernier aux Cherche-Midi ; traduction de Diniz Galhos). Avec un thème qu'on croit d'abord vu et revu, le casse du siècle, mais dans une version tout à fait étonnante...
Après ses mésaventures dans le milieu du lobbying, Mike Ford a choisi de revenir à une existence et une carrière plus calme. Il travaille donc comme simple avocat à son propre compte, il gagne bien moins que s'il avait postulé pour un grand cabinet de la capitale fédérale, mais peu lui importe, il a failli y rester, il a dû commettre des actes qui le hantent encore, alors, pas de regret.
Aujourd'hui, il respire mieux et s'apprête à se marier ! S'il ne doit garder qu'une seule chose positive de ce qui lui est arrivé, c'est cette rencontre avec Annie. Et même si, lorsque débute "Confidentiel défense", Mike n'a pas l'air très ravi de faire les magasins pour élaborer sa liste de mariage, c'est un homme heureux, apaisé, rasséréné, que l'on retrouve.
Et peu importe l'accueil que lui réserve sa belle-famille. Son futur beau-père, sir Lawrence "Appelez-moi-Larry" Clark, un ancien rugbyman britannique reconverti dans la finance de haut vol, n'apprécie pas son gendre et ne s'en cache pas. Pour lui, ce mariage est une sorte de déchéance. Pas à cause de Mike en tant que tel, quoi que, mais à cause de la famille de Mike...
En effet, Mike Ford est le mouton blanc de la famille, celui qui a choisi la voie de la légalité et de l'honnêteté... Mais son père vient de sortir de prison après avoir purgé une longue peine, et son frère, Jack, a pris depuis la relève... Chez les Ford, on est escrocs de père en fils et Mike a lui aussi bénéficié d'un apprentissage des ficelles du... métier, même s'il a préféré une autre carrière.
Longtemps, Jack a été le héros de son cadet, avant de le décevoir terriblement. Longtemps, Mike a évité son frère ; il est le premier à ne lui faire aucune confiance. Mais, depuis que leur père a retrouvé la liberté, celui-ci a insisté pour que les deux frères renouent. Et Mike pense avoir trouvé la hache de guerre idéale à enterrer : proposer à Jack d'être son témoin.
Lorsqu'il se rend chez Jack, Mike a l'impression de découvrir un autre homme : maison coquette, voiture puissante, tous les signes extérieurs d'une carrière qui prospère, et honnêtement, en plus ! Jack se présente comme quelqu'un qui s'est rangé des voitures et s'est lancé dans des affaires tout ce qu'il y a de plus légal. Et Mike doute...
Et quand Mike doute, Mike fouille. Quelques instants suffisent à faire tomber le décor et comprendre que Jack n'a pas changé. Sauf que... Ce que Jack lui explique, c'est qu'il est dans une galère pas possible : un coup qui s'est retourné contre lui. Ses commanditaires l'ont piégé et veulent lui faire porter le chapeau.
Les retrouvailles tournent court, et Mike tombe nez à nez avec ces fameux commanditaires, à la tête desquels se trouve un certain Lynch (certainement un nom d'emprunt). Le temps de comprendre que ces gars-là ne plaisantent pas, qu'ils savent tout de lui et qu'ils sont tout à fait capables de tuer, et voilà Mike à son tour embringué dans une sale histoire...
Car Lynch a besoin des talents cachés de Mike pour mener à bien un plan machiavélique et réaliser un coup gigantesque. Les deux frères devront prendre tous les risques, trinqueront seuls si ça foire et seront bien encombrants s'ils réussissent, mais comment faire autrement ? La seule chance de survivre, c'est de jouer le jeu, ou du moins, de faire semblant...
Vous l'aurez compris, l'idée de Mike c'est de renverser le rapport de force en piégeant à son tour ceux qui l'ont mis dans ces sales draps. Il doit donc afficher sa bonne volonté et, tout en préparant consciencieusement le plan qu'on lui a demandé d'élaborer, en imaginer une version alternative dans laquelle il fera tomber Lynch et ses complices.
Mais, au fait, quel est-ce coup exceptionnel que doit préparer Mike ? Eh bien, tout simplement, braquer une banque. Oh, pas n'importe laquelle, non, juste la banque de la Réserve Fédérale, l'équivalent de notre Banque centrale, l'établissement qui donne le la de l'une des plus puissantes économies mondiales, l'économie américaine.
A ce point du billet, je vous entends soupirer, si, si, ne niez pas : encoooore un casse du siècle ! Entre les romans, le cinéma, les faits divers et mes agios, il y en a un nouveau tous les quinze jours, de casse du siècle ! Certes, je le conçois, c'est un sujet battu et rebattu, de Goldfinger au train Glasgow-Londres, de la série des braquage de Daniel Ocean à celui de Toni Musulin...
La liste est évidemment non-exhaustive, et je reconnais volontiers que j'ai pensé la même chose. Mais... Matthew Quirk, dès son premier roman, "les 500", a montré qu'il savait utiliser des recettes assez classiques dans le domaine du thriller pour raconter des histoires au contexte plus original. Le lobbying était le cadre des "500", pour son casse, il voit aussi très grand.
Dans mes exemples de "casses du siècles", j'ai cité en premier "Goldfinger", et ce n'est pas un hasard : souvenez-vous, Auric Goldfinger, dont l'obsession est l'or, voulait s'attaquer à Fort Knox, la base militaire qui abrite la réserve d'or américaine. Mike Ford, dans "Confidentiel Défense", se retrouve dans une situation voisine : la Federal Reserve Bank of New York est considérée comme la plus grande réserve d'or, justement devant Fort Knox...
Mais, comme Goldfinger envisageait un plan aussi machiavélique que surprenant (si vous ne vous souvenez pas du scénario, je n'en dis pas plus), Mike Ford doit aussi mener à bien une initiative à laquelle on ne s'attend pas. Et pour cause : ce n'est pas l'or de la Federal Reserve Bank of New York qu'il convoite, pas plus que les billets qu'on y rassemble pour destruction.
Non, ce que doit voler Mike Ford pour ses menaçants commanditaires, c'est l'un des secrets les mieux gardés au monde, objet d'un rituel immuable et attendu comme un message divin : la directive. C'est d'ailleurs le titre original de ce roman ("The Directive"), qui n'a pas été conservé par l'éditeur français. Est-ce de peur qu'on croit que le roman parlait des débats du parlement européen ?
Cette directive, je ne vais pas vous expliquer de quoi il s'agit exactement, c'est un des éléments forts du livre. Un enjeu bien spécial qui, d'une certaine façon, symbolise les mutations profondes de nos économies modernes, de la haute finance et de leur fonctionnement. L'or de Goldfinger ? Mais c'est soooo 1960's, mon pauvre !
Autour de cette directive, se construit donc une intrigue qui oscille de façon assez surprenante entre techniques ultra-moderne et savoir faire presque artisanal. Internet tient une place aussi importante dans le plan de Mike Ford que les bon vieux outils de crochetage que son père utilisait (et même fabriquait) dans sa jeunesse.
Il y a d'ailleurs un petit côté "Family Business" (encore Sean Connery !), dans "Confidentiel défense", même si on n'a pas trois générations. On a le père, qui veille avec fierté sur ses deux fils, les encourage, leur apporte un soutien dans cette situation particulière. La prison l'a calmé, mais il garde la même roublardise, les mêmes talents qu'avant de se retrouver à l'ombre.
Et puis, il y a les deux frères, et non le père et le fils, comme dans le film de Sidney Lumet (d'ailleurs adapté d'un roman). Mike pourrait être le personnage joué par Dustin Hoffmann, le membre honnête de la famille qui accepte de participer au casse pour aider son fils. Ici, Mike accepte pour sortir son frère de l'ornière (et aussi parce qu'on ne lui laisse pas trop le choix).
Mais, là où "Confidentiel défense" diverge, c'est donc que l'idée de Mike est de prendre ses commanditaires à leur propre jeu pour espérer se tirer sans trop de mal de ce guêpier... S'il échoue, ce sera au mieux la prison, et pour un long moment, au pire, la mort ; mais, s'il parvient à mettre en place son projet, rien n'indique que les chances de survie soient plus élevées...
La tension réside là : pas seulement dans les risques pris pour voler la directive, mais parce que ce n'est qu'un rouage de la terrible machine qui menace de l'écraser. La menace réelle, ce n'est pas l'autorité, même si (et j'ai fait l'impasse sur quelques rebondissements importants dans le résumé) Mike Ford pourrait bien se retrouver ennemi public n°1.
Non, la menace réelle, ce sont Lynch et ses complices. Un Lynch omniprésent, qui semble avoir sans arrêt plusieurs coups d'avance sur Ford, qui s'amuse avec l'avocat, alternant la menace et les railleries, comme un chat jouant avec la souris qu'il s'apprête à croquer. Un Lynch entouré de mystère : initiateur du projet ou homme de main et homme de confiance de quelqu'un d'autre ?
Matthew Quirk goupille bien son affaire, d'ailleurs comme dans "les 500", en instillant dans son thriller une bonne dose de paranoïa : à qui Mike peut-il se fier ? Quels alliés a-t-il ? Peut-il chercher de l'aide sans mettre tout son entourage en danger ? Mike Ford est un joueur de poker prêt à miser son tapis sur une petite paire. Et un tapis qui ne se compose pas juste de jetons, mais de tout sa vie.
Pour un jeune avocat qui aspire au calme, qui veut oublier ses mésaventures passées, qui veut se marier, vivre heureux et avoir beaucoup d'enfants, le voilà reparti pour une nouvelle galère. Mike Ford, qu'on se le dise, rejoint la grande famille des héros martyrisés par leur créateur avec un sadisme revendiqué. Je ne sais pas si la série se poursuivra, mais, si c'est le cas, j'ai peur pour lui !
Mike Ford doit se mettre dans un état d'esprit très particulier : celui qui doit agir seul contre tous. Peu importe qu'il ait raison ou tort, dans les faits, qu'il se protège parce qu'il ne fait confiance à personne, ou qu'il protège les siens, et Annie en particulier, tout cela l'oblige à mentir, tromper, jouer au plus fin, avec les risques que cela comporte.
"Confidentiel défense" reste très classique dans sa structure, dans les techniques narratives utilisées, mais c'est redoutablement efficace. Le choix de la première personne du singulier pour raconter l'histoire ajoute au côté haletant des choses. On vit dans une position privilégiée les émotions, les montagnes russes émotionnelles, les doutes ou les inquiétudes du personnage.
Mike Ford, ce n'est pas le Bruce Willis de "Die Hard", mais il ne ménage pas ses efforts et il faut reconnaître qu'il prend des coups, et pas des petits. Antihéros capable de se surpasser pour survivre, sachant qu'il ne retirera rien de tout ça, si ce n'est des emmerdes, Mike Ford est un funambule qui marche sur les bords de l'abîme en permanence.
Matthew Quirk a ce truc qu'ont les auteurs de page-turner qui vous attrapent à la première page et ne vous lâchent plus jusqu'à la dernière. Je viens de faire un tour sur son site, pour regarder sa bibliographie ("Les 500" et "Confidentiel défense" ont été publiés en France plusieurs années après leur parution aux Etats-Unis), je n'y ai pas vu d'autres romans mettant en scène Mike Ford.
En revanche, j'y ai vu deux autres romans, dans des genres différents, que je serais curieux de lire (ah, si seulement j'étais capable de lire en VO !). Mais, je crois que Matthew Quirk reste encore largement méconnu du public français, et c'est bien dommage, à mon humble avis, son travail étant largement au niveau d'autres auteurs de thrillers bien plus mis en avant. Alors, hop, petit coup de pouce !
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