Un roman historique, qui se passe en Lorraine, par un auteur que je connais pour l'avoir croisé aux Imaginales et qui est encensé par l'un des papes médiatiques de l'univers livresques, Gérard Collard, comment pourrais-je rater cela ? Un livre, qui plus est, avec un très joli titre (que je ne vous expliquerai pas, na !) : "le soleil sous la soie" (en grand format aux éditions Anne Carrière). Un livre signé Eric Marchal qui, après nous avoir faits voyager dans le monde entier en pleine deuxième guerre mondiale (dans "Influenza"), revient dans sa Lorraine natale pour une saga se déroulant au tournant du XVIIème et du XVIIIème siècle.
Nicolas Déruet est chirurgien-barbier, puisque, aussi bizarre que cela puisse paraître, ces deux activités apparemment diamétralement opposées n'en faisaient qu'une... En cette année 1694, après avoir passé plusieurs années sur les routes du Duché de Lorraine pour exercer sa profession de façon ambulante, Nicolas revient à Nancy avec l'idée de s'y fixer.
Sur le chemin du retour, il croise celles qui vont devenir les deux femmes de sa vie : Marianne, la sage-femme, et Rosa, la Comtesse. Mais, il ne sait pas encore à quel point ces deux femmes, appartenant à des mondes si différents, vont compter pour lui et même influencer sa vie.
Mais, pour l'heure, il se rend chez celui qui l'a formé, Maître François Delvaux, qui tient boutique à Nancy, dans le quartier Saint-Charles. Ravi de voir son élève le plus doué revenir, il lui propose de s'installer à ses côtés. Une excellente affaire, car Nicolas possède une dextérité remarquable qui en fait un des meilleurs chirurgiens de Lorraine.
Jusqu'au jour où Nicolas est appelé à soigné un homme puissant, qui souhaite conserver l'anonymat. Dans ce contexte étrange, le chirurgien va retirer à ce haut personnage un gros calcul à la vessie. L'opération se passe idéalement, mais le médecin personnel de ce dignitaire vient s'immiscer dans cette affaire et, en homme de l'art face au vulgaire chirurgien, il prend le relais... Et, quelques jours plus tard, l'homme meurt et le médecin accuse Nicolas d'avoir précipité ce décès.
Voilà le jeune homme emprisonné, accusé d'un crime très grave alors qu'il est innocent. Son salut lui viendra de ses amis, qui vont l'aider à s'évader de son cachot, mais Nicolas doit quitter la Lorraine pendant un certain temps afin de se faire oublier. Alors, il s'engage comme chirurgien de guerre dans les troupes du Duc de Lorraine et se retrouve à pratiquer bien différemment son métier, sur le front, dans l'urgence des combats meurtriers, sur d'abominables mutilations et blessures.
Sans se départir de son humanité et de son savoir-faire, Nicolas applique les enseignements du maître Ambroise Paré, se lie avec Germain Ribes de Jouan, autre chirurgien émérite au tempérament d'aventurier, et devient vite un chirurgien renommé au point d'attirer l'attention du jeune duc Léopold, présent à la tête de ses troupes en Hongrie, engagées dans la guerre de la Ligue d'Augsbourg.
Après presque 4 années passées loin de sa Lorraine, Nicolas y revient, accompagné d'un jeune tsigane, Aslan, qu'il a commencé à former à la chirurgie. Mais beaucoup de choses ont changé depuis sa fuite. Marianne, qui lui avait juré de l'attendre, s'est mariée ; Rose est veuve et a hérité de son mari, tué en Hongrie ; François a perdu sa femme et a cessé son activité de chirurgien...
Nicolas va alors devoir reconstruire sa vie, devenant, malgré d'autres sollicitations plus prestigieuses, le chirurgien de l'hôpital de la Charité, qui accueille tous ceux, mêmes les plus démunis, qui ont besoin de soins. Désormais, c'est la Comtesse Rosa qui occupe son coeur et ses pensées.
Entre histoires sentimentales, amitiés profondes, rivalités médicales et vicissitudes historiques d'un minuscule Duché coincé entre deux énormes et ambitieux royaumes, la vie de Nicolas Déruet va connaître des hauts et des bas, sans jamais perdre son intégrité, sa curiosité, son savoir-faire et son idéalisme.
Bien sûr, ce résumé n'évoque qu'une partie infime des 600 pages et quelques de ce roman, construit comme un roman feuilleton et qui couvre une période précise : de 1694, année de retour à l'indépendance de la Lorraine, à 1702, lorsque Léopold Ier et sa cour fuiront Nancy devant l'avancée de l'invasion des troupes françaises, en guerre contre l'Allemagne.
Une période charnière historiquement parlant pour cette région, constamment malmenée parce qu'enclavée entre les deux grandes puissances de l'époque. Une période, en outre, où les grandes Nations européennes ne cessent de s'affronter, les alliances se font et se défont, les ambitions territoriales sont grandes et difficiles à assouvir. Mais il n'y a pas que sur le plan géopolitique que cette période est fondamentale. Nous sommes au tournant d'un siècle et va débuter ce qu'on appellera "le siècle des Lumières". Et, à sa manière, Nicolas en est un précurseur.
Au-delà de l'épineuse question religieuse, il y a là une vraie querelle de chapelle entre médecine, d'un côté, une "vraie" science, un art, qui détient le savoir, qui a la légitimité, qui a le pouvoir, et de l'autre, chirurgie, une activité vulgaire, à rapprocher plus de la boucherie que de la science... Mais, les éminents médecins ne sont que des Diafoirus, si bien brocardés par Molière. Leur savoir repose sur des croyances, des superstitions, refuse l'observation et l'expérimentation pour ne pas profaner le corps humain, prône la saignée comme panacée et emploie des méthodes de diagnostic plus que floues...
Nicolas incarne ce renouveau de la science. Il observe les manifestation du corps et sait les interpréter avec pragmatisme, il explore, ausculte pour ne pas laisser la vie de ses patients entre les mains de la Providence, comme ces ignorants qui croient tout savoir. Il connaît la pharmacopée, fabrique ses remèdes lui-même et se tient au courant des avancées médicales récentes. Mais surtout, il ne tient pas l'homme pour une simple créature de Dieu, juste bonne à accepter le destin que son divin créateur a décidé pour lui. Pour Maître Déruet, chaque être humain vaut le coup qu'on se batte pour l'aider, le sauver, atténuer sa douleur ou l'aider au mieux dans ses derniers instants.
Paradoxalement, ces guerres horribles qui se succèdent presque sans répit en Europe depuis des siècles ont contribué à faire progresser les connaissances des chirurgiens sur le corps humain et sur son fonctionnement. Lorsque Nicolas fuit la Lorraine et la justice française, il rejoint les champs de bataille où, malgré son expérience de chirurgien ambulant et ses talents, il va élargir le bagage de ses connaissances. C'est aussi l'une des étrangetés de notre humanité : trouver le progrès dans l'horreur...
Bien sûr, la religion aussi tient une grande place dans cette époque. Une religion dogmatique et peu éclairée en matière scientifique. Cette époque charnière sera donc aussi celle de la séparation de la science et de la foi, désormais incompatible. Désormais, c'est la raison qui guidera les scientifiques et, là encore, Nicolas est un précurseur. Non par athéisme forcené, mais par humanisme.
Un paragraphe destiné aux Lorrains qui s'arrêteraient ici. Voici encore un roman historique fait pour vous. Non seulement, il parle mais met en valeur la Lorraine en général et Nancy en particulier, mais vous y apprendrez sans doute beaucoup de choses sur l'histoire de la région. La grande et la petite histoire, les évènements quotidiens qui ont défrayé la chronique de l'époque : vie de la cour, festivités, "faits divers", etc. Un hommage à cette région et à un souverain éclairé, proche et à l'écoute de son peuple, souhaitant faire de son Duché un Etat moderne et indépendant, géré pour que chaque Lorrain puisse profiter de ses richesses et vivre sans peur du lendemain. Pour tout cela, "le soleil sous la soie est un vibrant hommage à cette Lorraine qui fut une sacrée épine dans le pied de Louis XIV.
Mais je m'en voudrais de finir sans évoquer ces personnages hauts en couleurs qui entourent Nicolas. Maître François, chirurgien devenu vigneron mais rêvant, lui qui n'a jamais mis le pied sur un bateau, de voguer un jour sur la mer à bord du navire qu'il a construit de ses mains ; Germain Ribes de Jouan, grande gueule, la dalle en pente, ne rêvant que d'aventures et de défis ; Azlan, le jeune tsigane, devenu vite un Lorrain comme les autres, malgré ses différences, naïf mais déterminé, joueur de paume émérite quoi qu'inexpérimenté.
Trois puis quatre joyeux lurons qui, tout en excellant dans leurs tâches chirurgicales, sont aussi de grands fêtards, prompts à la rigolade et pratiquant allègrement les blagues de carabins, sur leurs patients comme sur d'autres personnes les prenant de haut.
Des hommes au coeur pur, désintéressés (à part peut-être Germain, plus attaché à la richesse matérielle que les autres) car entièrement dévoués à la pratique de leur métier. La seule ambition qui les anime guérir, soigner, sauver des vies. Et, si Nicolas est un homme libre, indépendant de corps et d'esprit, cela ne l'empêche pas d'être d'une grande fidélité, en amour, malgré son déchirement entre deux femmes, et en amitié. Mais aussi envers le jeune Duc Léopold qui va devenir lui aussi son ami.
Si vous ajoutez des mensonges, quelques manipulations, une intrigue sur un vol et un soupçon d'alchimie, et voilà tous les ingrédients d'un excellent roman historique, qu'on devrait trouver... dans toutes les bonnes pharmacies !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire