mardi 18 octobre 2011

"Paris ! Paris outragée ! Paris brisée ! Paris martyrisée !" (Charles de Gaulle)

Une citation du Général de Gaulle, volontairement tronquée de son dernier segment, va servir de titre à ce billet consacré à un roman de la rentrée littéraire dont on parle beaucoup. Et, après lecture, je comprends beaucoup mieux ce que son éditeur, le Seuil, a voulu dire en parlant de "roman noir", en quatrième de couverture de ce livre signé Xabi Molia et intitulé "Avant de disparaître". Car, pour être noir, cet étonnant roman, composite et hommage au genre du roman post-apocalyptique, l'est de la première à la dernière ligne. Mais c'est aussi un roman d'anticipation très original... car il pourrait être un véritable roman historique.


Couverture Avant de disparaître


Nous sommes dans un futur (très) proche. A peine remise d'émeutes terribles qui l'avaient plongée dans le chaos, la France est aux prises avec une nouvelle épreuve : une épidémie mal cernée transforme les êtres humains en bêtes sauvages et féroces. Un retour à l'animalité extrêmement violent et incurable.

Privé de son président, tué dans une embuscade tendue par ces "monstres", la France s'en est remise à Joseph Bel, homme politique apparemment intègre mais bien décidé à confisquer le pouvoir et à traquer les "infectés" jusqu'au dernier. Et voilà le pays tombé dans une nouvelle et dévastatrice guerre civile. Car, en plus des victimes de plus en plus nombreuses de l'épidémie, ce pouvoir tyrannique a suscité un mouvement d'opposition très dur, qu'on pourrait presque qualifier de mouvement de résistance.

Paris résiste à l'envahisseur tant bien que mal. Redevenue une forteresse, privée d'électricité mais subsistant tant bien que mal, la capitale est assiégée et bombardée, les Parisiens survivant comme ils peuvent dans une ambiance d'entre-deux-apocalypses...

Parmi ces Parisiens, il y a Antoine Kaplan. Depuis le début des évènements qui ont fait de la France un champ de ruines, cet homme, jusque-là sans histoire, a connu beaucoup d'aventures et de mésaventures. Médecin, il est désormais chargé de déceler chez ses concitoyens les premiers symptômes de l'infection et d'agir en conséquence. Autrement dit, dénoncer les malades aux instances compétentes qui prendront les mesures (radicales) nécessaires pour ne pas laisser le camp des infectés s'étendre encore.

Mais, un soir, la vie de Kaplan bascule : sa femme, Hélène, avec qui il est marié depuis 6 ans mais qu'il n'est plus trop sûr d'avoir jamais aimée, disparaît sans explication, sans laisser de trace. Aurait-elle pu "basculer", devenir un animal seulement capable de violence ? La police, en ces temps troublés, a d'autres chats à fouetter et l'enquête semble menée a minima. Kaplan va faire appel à un détective privé pour essayer de savoir ce qu'est devenue Hélène.

Et, pendant ce temps, la Nature, et l'administration, ayant horreur du vide, une jeune femme vient s'installer chez Kaplan, afin d'occuper les lieux laissés vacants pas Hélène, ce qui, de fait, pousse Kaplan à la porte de chez lui, à plus ou moins long terme.

Alors, privé des restes de sa vie "heureuse", il ne reste plus à Kaplan qu'à se lancer lui-même à la recherche de sa femme et, ensuite, de ceux qui l'ont amenée à disparaître. Une enquête périlleuse qui va emmener Kaplan dans l'univers des marginaux, des résistants, des clandestins de ce Paris encerclé, qui va le contraindre à agir comme un de ces opposants, qui va en faire un criminel, lui qui auparavant, avait déjà été injustement considéré comme un paria...

Faisant fi de la situation plus que chaotique de Paris et de ses alentours, devant composer avec les différentes tendances politiques qui s'affrontent, avec les profiteurs de tout poil et les extrémistes de tout bord, sans oublier ces humains retournés à l'animalité la plus violente qui peuvent vous sauter à la gorge à tout instant ou presque, Kaplan entame, plus qu'une enquête policière, une véritable quête personnelle. Une poursuite désespérée de la vérité qui devient initiatique, lui révélant brusquement son attachement, si ce n'est son amour, pour cette femme pour qui il ne croyait plus rien ressentir (et qui le lui rendait bien), mais aussi pour son grand fils devenu soldat, avec qui il ne s'est jamais entendu.

Avec, pour destination finale, la compréhension de sa propre humanité dans un pays qui est en train, de toutes les manières possibles de perdre la sienne...

Cette question de l'humanité est au coeur du livre. "Avant de disparaître" est certes un roman d'anticipation, mais il se veut une projection (franchement pessimiste, c'est vrai) de ce que pourrait devenir la France dans quelques années si nous ne remettons pas l'humain au centre de tout. Avec aussi, en filigrane, un message, porté dans le roman par un curieux livre, esquissant le cadre d'une idéologie profondément nihiliste qui n'hésite pas à prôner ouvertement l'éradication de l'espèce humaine, comme si ses errements l'avaient mené dans une impasse ne lui laissant aucune alternative sinon la disparition sous sa forme actuelle.


"Avant de disparaître" est un roman très cinématographique dans sa forme (pas étonnant que Molia, à côté de son travail de romancier, soit aussi réalisateur), avec des changements de plans permanents, matérialisés par des changements permanents de narrateur, une atmosphère très visuelle malgré l'obscurité qui règne tout au long des 300 pages du livre, l'importance des visages, des matières et de Paris, bien sûr, personnage à part entière de l'histoire.


Mais ce que j'ai trouvé le plus intéressant dans ce livre, c'est l'espèce d'effet miroir que met en place Molia, comme si nous avions, comme si l'Humanité avaient atteint une apogée et que, désormais, nous ne pouvions plus que régresser, vitesse grand V, vers l'animalité dont nous sommes issus. Comme si notre histoire allait se dérouler dans l'autre sens, symétriquement à l'Histoire que nous connaissons, jusqu'à redevenir Néandertal, aux origines de notre humanité.

Résultat, c'est comme si Molia "rembobinait" l'Histoire. Et, son roman d'anticipation devient d'un coup un anti-roman historique, car l'histoire de ce roman aurait très bien pu se dérouler dans le Paris des années 1940-1945. Les clins d'oeil à la vie sous l'Occupation sont d'ailleurs très nombreux et assez réussis, on s'amuse presque à chercher quelle figure se cache sous les traits de tel ou tel personnage.

Une façon aussi pour Molia de nous lancer un avertissement beaucoup moins romanesque : et si notre début de XXIème siècle n'était qu'un effrayant bégaiement de l'Histoire ? En lisant "Avant de disparaître", je retrouve des réflexions que je me fais depuis quelques années déjà : nous vivons une époque qui fleure mauvais les années 1930. On sait ce qu'il est advenu alors ; il n'est pas encore trop tard pour enrayer cette impression de déjà-vu... ou pas, s'il on est plutôt pessimiste...

Enfin, "Avant de disparaître" est un roman composite qui s'inscrit dans la lignée de ce genre si particulier qu'est le roman post-apocalyptique. Et l'on retrouve ainsi des aspects qu'on a croisés ici ou là, au gré de certaines lectures, possibles influences de Molia dans son aventure littéraire : ce Paris rappelle assez celui du "Ravage" de Barjavel, l'épidémie évoque instantanément "la Peste" de Camus. Plus récemment, on se souvient évidemment de "la Route", de Cormac McCarthy, autre quête sans espoir, dans un univers aussi sombre que celui de Molia et où se pose aussi la question du retour de l'humain à une certaine animalité. Enfin, on finit sa lecture en songeant à "l'aveuglement" de José Saramago... Comme si avant de disparaître de ce monde soi-même, on voulait commencer à le faire d'abord disparaître de sa vue, pour ne plus voir ce désastre.

Et pourtant, malgré toutes ces épreuves, ce tunnel sans fin, cette obscurité qui l'engloutit sans doute éternellement, Kaplan semble n'avoir jamais été aussi heureux à la dernière page du livre. Car s'il a compris et retenu une chose de tout ce qui lui est arrivé depuis la disparition d'Hélène, au milieu des décombres, de la violence, de la trahison, de toutes ces faiblesses si humaine, c'est qu'il est capable de ressentir de l'amour, pour cette femme qu'il connaissait finalement si mal mais qui lui était insdispensable. Et puis aussi de l'amour pour son fils, avec qui il entend bien renouer, en guise d'ultime étape de sa quête.

Et, sachant qu'il sait encore aimer, ou plutôt qu'il sait enfin aimer, sans retenue, alors, il sait avec certitude que, quel que soit le sort qu'on lui réserve, que la Vie lui réserve, même s'il lui reste peu de temps à passer ici-bas, malgré tout cela, il sera et restera un être humain.


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