lundi 10 octobre 2011

Il n'y a plus d'avant, à Saint-Germain-des-Prés.

Voilà un livre qui m'a tout de suite attiré, car il réunissait des éléments qui ne sont pas parmi les plus courants chez nos auteurs : un roman épistolaire, qui se déroule sous le Second Empire et dont le personnage principal est une femme... Un roman, qui, on va le voir, rassemble également certains thèmes très chers à son auteur, Tatiana de Rosnay. Et c'est avec plaisir que j'ai lu ce roman, "Rose", paru cette année aux éditions Héloïse d'Ormesson.


Couverture Rose


Rose Bazelet est né à l'ombre de l'église Saint-Germain-des-Prés au début du XIXème siècle, elle a grandi dans ce quartier, y a grandi et y a tout connu. Toute sa vie s'est déroulé là, elle a épousé Armand Bazelet dans cette église, s'est installé dans la maison de famille de cet homme qui a su, avant sa disparition prématurée, la rendre heureuse, elle y a donné naissance à ses deux enfants... Tout connu, je vous dis. Et même avant Armand et elle, ce sont les racines de leurs familles qui plongent profondément dans ce terreau, leur arbre généalogique qui, de longue date, a crû et prospéré.

Alors, quand, en 1868, elle reçoit un courrier fatidique envoyé par les services du préfet Haussmann lui annonçant que sa maison, sa rue, son quartier vont être détruits pour laisser passer ce nouveau boulevard Saint-Germain voulu par Napoléon III et dessiné par son maître d'oeuvres, Haussmann, elle a l'impression que ce sont sa vie et son monde qui s'écroulent.

Elle décide alors de rester coûte que coûte dans cette maison, se cachant dans le cellier pour y vivre recluse en attendant que les démolisseurs accomplissent leur sinistre besogne. Et, entre son expropriation et le moment de la destruction de sa maison, elle écrit. Elle raconte sa vie à son défunt mari, revenant sur leurs souvenirs communs, mais aussi ceux forgés depuis sa disparition, revenant aussi sur ses relations avec ses voisins, ceux qui ont partagé la vie de ce quartier en voie de disparition pour cause de modernisation.

Et puis, elle va aussi se livrer comme on ne peut le faire qu'à l'approche de sa dernière heure. Se livrer sur sa famille, ses enfants, sa belle-famille, ses amies et sur des aspects de son inexistence qu'elle a su garder secrets, des souvenirs douloureux, ceux-là, et donc inavouables.

Car si Rose est intrinsèquement, presque physiquement attachée à son quartier, la vie ne l'a pas forcément épargnée au long des 60 années qu'elle a passées là. Son mari, malade, est mort bien jeune, son fils, lui aussi, a connu une fin précoce et tragique, laissant une plaie béante,etc.

Et pourtant, Rose ne s'imagine pas vivre ailleurs que dans cette "maison de famille", comme son cher Armand appela la demeure lorsqu'il la lui présenta la première fois. Elle vit cette expulsion comme un déracinement, bien sûr, mais surtout, comme une amputation. Non, pire, comme la perte de sa mémoire. Exactement le mal qui a emporté son mari, un mal qui lui fit perdre tout souvenir jusqu'à ne même plus reconnaître son épouse bien-aimée...

Hors de question de vivre ce même chemin de croix. D'abord avec les autres riverains, elle essaye de s'opposer à la décision. Mais nombreux sont ceux, sans doute moins viscéralement liés aux lieux, qui vont accepté les compensations et déménager, non sans douleur, mais sans révolte. Les derniers alliés de Rose, tout comme elle, seront éconduits de façon très malséante par les services du préfet (un homme que Rose hais de tout son coeur, qu'elle ne nommera qu'une seule fois dans toute sa correspondance...).

Et, malgré l'impopularité qui monte dans l'opinion envers les travaux qui métamorphosent Paris, rien n'y fera. Alors, incapable de se résoudre, Rose va donc choisir la voie de la révolte, contre ce chantier qui avance inexorablement. Une révolte qui la mène dans ce sous-sol obscur où elle a choisi de vivre secrètement jusqu'à cette fin qu'on sent inéluctable.

Il ne faut pas voir Rose comme une extrémiste politique ou une rétrograde opposé au progrès. Pas du tout. Rose est une femme à l'automne de sa vie qui a peur, une peur mortelle, de voir réduit en poussière tout ce qu'a été son existence, en bien comme en mal, tout ce qui finalement la constituait, corps et âme.

D'ailleurs, il est intéressant de noter le transfert que Tatiana de Rosnay fait connaître à son héroïne, vis-à-vis de la maison qu'elle finit par hanter. Alors qu'elle s'attend à être détruite, pulvérisée, tel un corps de bâtiment, elle attribue au lieu des caractères très humains : les maison "ont un coeur, une âme, elles vivent et elles respirent. Les maisons ont une mémoire", écrit-elle ainsi dans sa longue lettre à son défunt mari.

Et toute la différence est là entre elle et l'empereur et le baron intronisé maître d'oeuvre. Haussmann veut faire table rase du passé pour construire un Paris tout neuf (ce qui ne veut pas forcément dire tout beau...), une capitale moderne, éclaircie, assainie, symbole aux yeux des Parisiens, des Français et du monde, de la puissance de l'Empire, de son entrée de plain-pied dans la modernité et dans cette ère industrielle naissante.

Des points de vue irréconciliables, diamétralement opposés, puisque Rose se bat pour que sa maison ne soit pas détruite, alors que Haussmann n'a pas épargné sa demeure natale, poussant son ambition au comble, en la rasant pour que puisse passer... le boulevard portant son nom !

Alors, Rose va se battre jusqu'au bout. Et, dans son réduit, jamais elle n'abdiquera, allant jusqu'à rêver un Paris haussmannien en flammes...Tatiana de Rosnay manie ainsi l'histoire avec beaucoup d'ironie, instillant dans l'esprit de Rose ces rêves prémonitoires du conflit qui se profile et verra l'abdication de Napoléon III mais aussi le terrible siège de Paris et la Commune.

Encore une fois, un roman de Tatiana de Rosnay met en scène un lieu d'habitation, considéré comme un personnage à part entière. C'est vraiment une question que je voudrais lui poser, car cet aspect de son oeuvre pourrait, je trouve, régaler un psychanalyste ! Les murs ont des oreilles, dit le proverbe ; pour Tatiana de Rosnay, ils semblent posséder bien plus que cela, au point d'y revenir régulièrement.

Mais "Rose", enfin, c'est aussi un hommage à ce Paris qui n'existe plus, le Paris de l'ancien régime, effacé d'un coup de règle et de crayon par Haussmann. Ce Paris qu'on retrouve dans la littérature, ce Paris célébré par ces auteurs qui souffriront beaucoup sous l'Empire, de Hugo à Balzac, de Baudelaire aux frères Goncourt, sans oublier Sue, dont "les mystères de Paris" perdent leurs décors.

Mais c'est surtout un hommage à Zola et à sa "Curée", publiée en 1872, soit quelques années après la disparition de Rose, et qui dénoncera la spéculation qui présida au façonnement haussmannien de Paris. Même si la question de l'argent tient peu de place dans "Rose", même si le livre de Tatiana de Rosnay n'est pas une dénonciation du Second Empire, c'est pourtant le jeune écrivain qui n'a pas fini de faire scandale qu'on voit en filigrane.

On referme la page romantique pour entrer dans le réalisme cru du naturalisme. Le tournant est d'importance, mais combien on souffert de ce passage sans doute obligé ?

Il est certain que, désormais, lorsque j'irai me balader du côté de la rue de Rennes, du boulevard Saint-Germain, du quartier latin ou des jardins du Luxembourg, je songerai à Rose et à tous ceux qui connurent ces lieux si différents, tortueux, étroits, sombres peut-être, mais ayant la structure d'un véritable village et les liens sociaux qui en découlaient.

Aujourd'hui, Saint-Germain-des-Prés est synonyme de cette élite intellectuelle un peu vaine et hautaine qui y fraye, la rue de Rennes, jusqu'à la gare Montparnasse est un centre commercial à ciel ouvert, la fréquentation y est énorme et plus de trace ne signale la maison des Bazalet, avec, en rez-de-chaussée, son fleuriste et son imprimerie, l'hôtel un peu louche, le bistrot si chaleureux, tout ce qui faisait l'authenticité du Paris d'avant...

Ou, en tout cas, l'image que nous nous en faisons...

2 commentaires:

  1. j'ai lu j'ai beaucoup aimé a la fois un peu d'histoire et de vie de quartier qui manque tellement maintenant ( je suis née à paris montmartre)
    bravo tatiana!!!

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  2. Je suis bien d'accord avec vous, Viviane, la vie de quartier n'existe plus vraiment à Paris et c'est bien dommage. Haussmann n'en est pas le seul responsable, d'autres ont poursuivi son "oeuvre"...

    Merci aussi à Tatiana de nous parler d'une période qui n'a pas bonne presse et qu'on utilise assez peu en littérature. Et c'est bien dommage, car c'était une époque de mutations dans de nombreux domaines, et propices à l'imagination...

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