jeudi 7 février 2013

Lames contre lames...

ATTENTION, CE BILLET CONCERNE LE TROISIEME TOME D'UNE TRILOGIE.

Après un premier livre plein de panache, un second plus sombre, j'étais impatient de me lancer dans le dernier volet de la trilogie de Pierre Pevel, "les Lames du Cardinal", pour découvrir de quelle manière l'auteur allait sceller le destin du capitaine La Fargue et de son petit groupe de bretteurs aguerris, dont la lutte contre les dragons a fini par dépasser le simple respect des ordres donnés par un Cardinal de Richelieu, lui aussi sur la corde raide. En outre, la fin de "l'Alchimiste des Ombres" a dopé sérieusement l'envie de découvrir "le Dragon des Arcanes" (en grand format chez Bragelonne), puisque cela se terminait sur deux évènements simultanés qui avaient de quoi nous inquiéter, nous intriguer... Alors, n'attendons pas plus longtemps et plongeon dans l'univers de fantasy historique de Pierre Pevel, à la rencontre de personnages qu'il va falloir se résoudre à abandonner...


Couverture Les Lames du Cardinal, tome 3 : Le Dragon des arcanes


Alors qu'un dragon vient d'attaquer la prison du Châtelet, tuant celui qu'on appelait l'Alchimiste des Ombres, Agnès de Vaudreuil arrive au Mont-Saint-Michel pour rencontrer la soeur Béatrice d'Aussaint, une de ses amies, devenue religieuse au sein de l'Ordre de Saint-Georges, connues plus largement sous le nom de Châtelaines. Un ordre religieux qui s'est vu assigner la dangereuse mission de protéger le trône de France contre la menace que représentent les Dragons, dont l'inextinguible ambition est de prendre le contrôle de la monarchie française, comme ils ont déjà réussi à le faire en Espagne, par exemple.

Disons-le tout net, elles sont plus des nonnes-soldats, si je puis dire, que des contemplatives... Et elles ont fait du Mont-Saint-Michel une véritable forteresse, bien loin du lieu de pèlerinage qui fut sa vocation première. Soeur Béatrice s'y repose après sa rencontre plus que violente avec l'Alchimiste des Ombres, qui lui a laissé des séquelles handicapantes...

Mais la nonne a surtout des visions très inquiétantes et Agnès vient la rencontrer afin de recueillir ce témoignage qui pourrait être l'annonce d'une terrible menace pesant sur le royaume. Mais, la visite d'Agnès, même mandatée par Richelieu, ne semble pas plaire du tout à la Supérieure de l'Ordre et, avant d'avoir pu quitter le Mont-Saint-Michel, la seule femme parmi les Lames du Cardinal doit tirer l'épée contre les Châtelaines qui finissent par l'emprisonner... Curieux accueil... Pour quelles raisons les Châtelaines voudraient-elles empêcher quiconque d'interpréter les visions de Soeur Béatrice, dont la gravité semble avérée ?

A Paris, les camarades d'Agnès sont encore très éprouvés par les récents évènements et le moral n'est pas au beau fixe. A tel point que Leprat a décidé de quitter les Lames, pour de bon, cette fois, et de retourner à son corps d'origine, celui des Mousquetaires placés sous les ordres de Monsieur de Terville. Ceux qui restent auprès de La Fargue sont sous tension et on sent bien que l'heure est grave, que chacun se pose des questions sur son avenir. Pas seulement celui du pays, pas seulement sur celui des Lames, mais bien sur leur propre avenir personnel.

L'attaque contre le Châtelet, foudroyante, les a laissé sous le choc. Et pas seulement parce qu'ils n'en comprennent pas la raison... Pourtant, cette attaque ciblée ne peut s'expliquer que par la volonté d'éliminer l'Alchimiste des Ombres... Est-ce la Griffe Noire qui se cacherait derrière cette attaque ? Difficile à croire... Quand La Fargue et ses hommes apprennent que Agnès a été emprisonnée par les Châtelaines, ils se disent qu'il y a vraiment dragon sous roche, mais pas forcément celui que l'on croit...

Les Lames du Cardinal sont des soldats, ses membres sont donc habitués à recevoir des ordres et à obéir. Mais, dans la France de 1633, entre le Roi, son principal ministre, le Cardinal de Richelieu, il n'est pas toujours évident de savoir qui dirige vraiment le pays... Richelieu est impopulaire, pas seulement auprès du peuple, nombre de courtisans aimeraient le voir perdre son pouvoir. Et la situation de plus en plus délicate le fragilise un peu plus.

Il va donc falloir composer avec des luttes intestines violentes, des haines féroces, pour espérer faire libérer Agnès, prendre connaissance de la vision de Soeur Béatrice et essayer de l'interpréter pour en tirer des enseignements précieux pour prévenir de nouveaux désastres pouvant mettre en danger la couronne... Or, la Mère de Vaussambre, la Supérieure des Châtelaines, est une ennemie farouche de Richelieu, auquel elle refusera toute concession, puisqu'elle ne dépend que de Louis XIII. Pour retrouver au plus vite Agnès, c'est donc le Roi qu'il faudra convaincre de l'urgence des évènements. Pas facile quand on dépend soi-même, en principe, du Cardinal...

Il va donc falloir la jouer fine et, pendant que La Fargue joue la carte de la diplomatie, ses Lames, elles, font ce qu'elles savent faire le mieux : monter au baston pour libérer Agnès. Une Agnès qui reste l'unique lien entre les Lames et l'Ordre, puisqu'on sent bien que son destin balance entre ces deux groupes. Car, parmi les zones d'ombre des personnages, qu'on ressent depuis le début de la trilogie, celle d'Agnès est peut-être la plus étrange, car elle relève d'une vocation à la fois mystique et magique...

Pendant qu'on atermoie au sommet de l'Etat, pourtant, l'ennemi se prépare à mettre son terrible plan en action. Ils se font appeler l'Hérésiarque, le Gentilhomme, l'Enlumineur, la Magicienne et ils sont prêts à tout, même le pire, pour mener à bien leurs ambitions monstrueuses. Même à attirer dans leurs rets la Vicomtesse de Malicorne qui, à leurs côtés, va retrouver sa splendeur perdue quelques semaines plus tôt par la faute des Lames du Cardinal.

Des Lames qui vont mener l'enquête, de cavalcades en batailles, vont peu à peu prendre conscience de l'importance du danger qui menace, de l'ampleur de la violence annoncée par la vision de Soeur Béatrice qui devrait bientôt se déchaîner. Mais comment savoir quand tout cela arrivera ? Alors, malgré un groupe qui se réduit comme peau de chagrin, La Fargue et ses hommes vont concentrer leurs efforts, leur courage, leur loyauté pour défendre, jusqu'au sacrifice de leurs vies si besoin, pour sauver la couronne...

Les jeux d'alliance vont alors évoluer, les clivages s'estomper face au danger et le combat final entre humains et dragons va atteindre un paroxysme qui laisse le lecteur pantois. Du Grand Spectacle !!! Ce troisième tome, très rythmé et sous tension d'un bout à l'autre, avec des héros on ne peut plus valeureux mais qui laissent apparaître leurs doute, leur lassitude, presque, sur le plan moral, un certain découragement. Comme si le jeu n'en valait plus la chandelle.

Comme je l'évoquais plus haut à propos d'Agnès est vrai pour la plupart des membres des Lames du Cardinal : les zones d'ombres aperçues depuis le début de la trilogie vont se lever et les hommes (et femme) vont se dépouiller de leurs oripeaux de soldats pour se révéler vraiment à nous, et surtout à eux-mêmes. Mais, avant de vivre, enfin, leur destin, il va falloir vaincre un adversaire plus que redoutable, surpuissant, aux armes et aux pouvoirs destructeurs et des forces tout entières tournées vers le combat et l'assouvissement d'un besoin intrinsèque de violence.

Le dénouement du "Dragon des Arcanes" est absolument faramineux. Jusque-là le roman de cape et d'épée et la magie s'émulsionnaient comme l'huile et le vinaigre, là, ils sont vraiment ensemble au coeur de la bataille, chacun avec ses forces et ses faiblesses, mais luttant pied à pied contre une menace qui peut sembler insurmontable. Grand spectacle parce que, pour cette bataille finale, Pevel met le paquet, ne lésine ni sur les figurants, ni sur les effets spéciaux, dirait-on pour un film. Avec un cadre également exceptionnel, ce qui ne gâte rien, bien au contraire.

"Le Dragon des Arcanes" est un crescendo qui aboutit à cette bataille hors-norme, un concentré d'action mené tambour battant, construit comme un véritables page-turner, sautant de lieu en lieu, de scène en scène, ménageant des moments de (stress) suspense, de danger imminent, on voit la résistance s'organiser, malgré la chaos, les hommes lancer toutes leurs forces dans la bataille, défier avec orgueil les monstres qui les attaquent... Epique et merveilleux !

Cela ne veut pas dire que l'intrigue est oubliée, au contraire, je ne suis pas d'accord avec ceux qui disent, ici ou là, qu'elle est secondaire. Elle est même bien plus fine que les évènements ne pourraient le laisser croire. D'abord, parce que Pevel y mêle la totalité des personnages apparus au cours de la trilogie, même brièvement. Ils sont les engrenages d'une mécanique bien huilée.

Ensuite, parce que cet ennemi impitoyable et effrayant permet de redistribuer les cartes entre les camps définis depuis les premières lignes du premier tome. Il n'y a plus seulement le royaume, incarné par Richelieu, plus que par Louis XIII, en ce qui concerne le pouvoir terrestre, en tout cas, et la Griffe Noire, de l'autre. En introduisant les Châtelaines et cette phalange menée par l'Hérésiarque, les visées et les intérêts sont multipliés, les rivalités aussi, le jeu d'échecs qui nous est proposé devient plus complexe...

Et surtout, alors que seule la destruction semble être la finalité de l'action lancée par les ultimes ennemis des Lames, on comprend que des ruines encore fumantes pourrait sortir un modus vivendi nouveau entre ennemis d'hier, comme si hommes et dragons n'étaient pas forcément voués à se combattre... Comme si une paix était possible, une entente, disons, cordiale, en tout cas...

Non, je ne suis pas d'accord avec ceux qui trouvent l'intrigue insuffisante, au contraire, c'est très malin, puisque, que l'on considère l'époque sous un regard purement historique ou par le prisme de fantasy que nous offre Pierre Pevel, difficile de croire que cette accalmie puisse perdurer longtemps. Mais c'est une autre histoire, dédié à d'autres hommes et femmes qui deviendront aussi valeureux que les Lames du Cardinal et seront sans doute confrontés à bien d'autres périls.

Quand je parle de ces autres histoires, de cette autre Histoire, c'est parce que Pevel lui-même en ouvre la porte. Et cette porte, c'est en arrivant au dernières lignes de cette trilogie qu'on la découvre. Un magnifique clin d'oeil qui m'a beaucoup amusé et qui montre tout le talent de Pevel pour hybrider Histoire et Fantasy, le tout sous l'égide de la littérature.

Bien sûr, on a envie de voir les Lames du Cardinal se lancer dans de nouvelles aventures. Difficile de dire ici pourquoi, sans trop révéler de choses, mais on sait bien que ce n'est pas possible. Plus possible. Sans doute le ressort s'est-il cassé à La Rochelle, lors de ce fameux fiasco, 5 ans plus tôt. Si les circonstances, et les ordres d'un Cardinal à qui il ne fait pas bon dire non, ont de nouveau réuni La Fargue et son escouade, la complicité, la confiance mutuelle se sont évaporées. Seuls l'honneur et la loyauté, ainsi que l'amitié, réelle, malgré les différences et les visions différentes entre eux, ont su cimenter ces soldats d'exception.

Sans doute tous les problèmes de la couronne de France et du Cardinal ne sont-ils pas tous réglés, d'autres se profilent sans doute déjà à l'horizon, mais eux ont rempli la part du contrat qui leur avait été assignée, ils n'en sont pas sortis indemnes, physiquement comme moralement, et ont, par là même, pour la plupart, de vivre une vie qui leur appartienne à 100%, sans ordre à recevoir et avec juste le devoir de s'occuper de leurs affaires propres. Le droit d'être... libres, même si certains des membres sont sans doute incapable de ne plus vivre en guerrier...

Au final, j'aurai dévoré ces trois romans avec passion et plaisir. Moi qui ne suis pas forcément un grand lecteur de fantasy, en la mélangeant avec l'Histoire, quelle que soit l'époque choisie, sans doute, on parvient à me prendre par la main et m'emmener dans des aventures fantastiques dans tous les sens du terme. Mais, bien sûr, ce XVIIème siècle choisi par Pevel pour situer sa trilogie a aussi l'effet d'une fontaine de jouvence.

L'enfant qui doit bien sommeiller encore quelque part en moi a réagi devant ces exploits, ces bagarres, ces bruits de bottes, ces tintements de rapières entrant en contact... Je me suis revu les mardis soir, sur le canapé, devant "la dernière séance", quand les westerns cédaient la place à Jean Marais en bossu, à Gérard Philippe brandissant sa tulipe, à Rob Taylor ou Errol Flynn, la moustache fière !

Oui, ces cascades, ces batailles pleine de dextérité et de roublardise, ces coups tordus et ces pièges tendus pour l'amour d'une belle, l'honneur ou, simplement, pour le panache si cher au Cyrano de Rostand, je les ai retrouvés dans cette trilogie qui sait aussi bien se montrer fidèle à la mémoire de Dumas qu'aux images en Technicolor de ces films, au combien populaires.

Un rappel, si vous avez envie de vous lancer dans "les Lames du Cardinal", le premier tome, qui porte justement ce titre, est désormais disponible en poche, les deux autres sortiront dans les prochains mois.

Alors, comment résister à ces Lames ? Faut-il vous provoquer en duel, demain, à l'aube, au Jardin des Plantes, pour vous décider ?


4 commentaires:

  1. Waouh! Quelle chronique! J'en suis encore sous le choc , d'autant plus quej'adore cette trilogie.

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  2. Grand merci, Dame Phooka ! Ton avis me touche beaucoup et m'incite à persévérer pour les billets à venir :-)

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  3. Je suis d'accord avec Phooka, ça c'est de la chronique ! ça me donne même furieusement envie de me relancer dans la trilogie, tiens.
    Je me souviens que j'avais trouvé la fin très cinématographique (et je ne cracherais pas sur une adaptation, non!) et que l'histoire m'avait longuement hantée (preuve, s'il en fallait, que c'est une bonne trilogie). Comme tu le soulignes, Pierre Pevel a un sacré talent et mêle astucieusement histoire et Histoire, dans une mécanique parfaitement huilée. C'est du grand art.
    Et ta chronique lui rend parfaitement hommage =)

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  4. Grand merci, Sia ! Vos commentaires, à Phooka et toi, me touchent particulièrement. Je ne suis sûrement pas aussi connaisseur que vous en ce qui concerne la fantasy, alors que le béotien que je suis puisse vous convaincre ainsi, c'est un précieux encouragement à continuer dans cette voie pour mes futurs billets, quel que soit le genre abordé.

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