Attention, nous allons monter d'un cran, et même plusieurs, dans la violence. Le roman dont nous allons parler aujourd'hui contient quelques scènes comme j'en ai rarement lu et les lecteurs les plus sensibles, voire impressionnables, doivent en être prévenus. Pour autant, je ne vais pas cacher que ce premier roman, malgré certains défauts, est une découverte dans le genre "serial killer". Avec "Play" (en grand format chez Albin Michel), Franck Parisot, dont on ne sait rien, et c'est dommage, nous entraîne dans une histoire démente où le tueur mène la danse, tel un démiurge maléfique, omniprésent et omniscient. Et, sur ses traces, un quatuor de flics dépassés, incapables d'anticiper les faits et gestes de leur adversaire, effarés de ce qu'ils découvrent sur lui, déconcertés par la violence de ses actes et la perversité de cet impitoyable assassin. C'est gore, flippant, ça tient en haleine et ça se dévore, mais pas seulement...
L'équipe du capitaine Lawson, que ses hommes surnomment dans son dos "Smarties", est sur les dents. Un violeur aux pratiques sauvages sévit dans Central Park. Pire, Tsuki Morgans, une des membres de son groupe, a bien failli en être la victime et n'a dû qu'à ses réflexes de survie de s'en tirer sans trop de mal.
Ce jour-là, Alves, un des collègues de Tsuki, a pris en chasse un homme dans le parc. Son intuition est puissante, l'homme, un SDF a la dentition erratique, correspond parfaitement aux rares descriptions qu'on a du violeur. Après une course poursuite, il a réussi à lui mettre la main au collet et à le ramener au poste pour interrogatoire.
Mais l'homme est un coriace, un cynique. L'équipe de Smarties est persuadée de tenir son homme, sauf qui manque la preuve indispensable pour espérer l'envoyer à l'ombre définitivement. Et en face, ce Glenson le sait parfaitement. Il joue avec ses interrogateurs, se moque d'eux, les provoque, gagne du temps. Et, pire que tout, il prend un avocat médiatique qui fait entrer la presse dans la danse...
Alors que les flics se dépatouillent avec ce dossier bouillant qui risque de leur sauter à la figure, le dernier membre du groupe, Gabriel Bridge, est appelé pour une autre affaire où son nom est apparue. Un vieil homme semble avoir disparu lors d'une promenade. On a retrouvé son écharpe, nouée sur un grillage là où il passait habituellement et, dans le noeud, un papier avec le nom de Bridge...
Bizarre, mais assez anodine, cette histoire d'écharpe va bientôt devenir une toute autre affaire et plongée Bridge et ses amis dans un cauchemar dont ils vont avoir bien du mal à sortir. Tandis que Glenson leur en fait voir de toute les couleurs, manipule la presse et l'opinion, se la joue star et victime de l'arbitraire policier, les enquêteurs vont se retrouver avec un autre épineux dossier en main.
Car, bientôt, on retrouve le vieil homme à l'écharpe. Enfin, ce qu'il en reste. Massacre n'est même pas un mot assez fort pour décrire ce devant quoi les policiers vont se retrouver. De mémoire de flic new-yorkais, on n'a jamais vu ça. Une telle cruauté, une telle rage, une telle détermination dans la volonté de faire souffrir avant de tuer... Impensable.
C'est le point de départ d'un gigantesque jeu de pistes qui va balader Bridge, Tsuki, Alves et Lawson dans toute la ville, à la recherche d'un tueur qui les mène par le bout du nez, distille les indices pour semer un peu plus le doute et la terreur, les devance, les surprend, les écoeure... Comment cerner ce monstre, qui va bientôt gagner le surnom de Cyclope ?
Et, non content de jouer avec eux, le tueur les défie, les mets en danger, les ridiculise, réalisant quelques sinistres coups d'éclat qui suscitent l'émoi dans la ville, la peur et surtout, effacent toute confiance dans les forces de police, complètement à la ramasse. Ils sont en échec sur tous les plans et ignorent même jusqu'au nombre de victimes que ce tueur-kidnappeur a sous son contrôle.
Et si la réponse s'appelait Gabriel Bridge, qui semble être l'interlocuteur désigné par le tueur ? Mais pourquoi lui, dans ce cas ? Serait-ce lié à son métier de policier, à une ancienne affaire ? Tout paraît déboucher sur des impasses et même les rares erreurs commises par le Cyclope se révèlent difficilement exploitables...
Je reste assez vague, sur différents points et ce, tout à fait volontairement, même si je sais qu'il y en aura toujours pour trouver que j'en dis trop. Promis, quand j'aurais compris comment parler d'un livre sans en parler, je le ferai... Mais, c'est une autre histoire. J'ai choisi de ne pas entrer dans certains détails parce que, si vous lisez "Play", il faut que ça vous scotche au siège.
Que dire ? Qu'on est capturé (heureusement au sens figuré) par cette histoire et ce tueur. On plonge dans sa folie et on suit le désarroi de ces policiers qui ne savent pas par quel bout attaquer cette enquête extraordinaire. Des Glenson, ce n'est pas agréable, mais on en croise souvent. Des Cyclopes, on est dans l'inédit.
Ces flics côtoient le danger, des criminels sans foi, ni loi. Mais, là, ils touchent du doigt l'indicible, l'ignoble dans ce qu'il a de pire, de plus pur. Une violence démesurée, gratuite, affreuse, dans laquelle on ressent la jouissance de l'assassin, le défoulement qui est le sien dans les tortures et les blessures qu'il inflige.
Comme souvent, et même si on ne sait pas qui se cache sous ce surnom de Cyclope, on en sait un peu plus que les enquêteurs sur l'assassin. En tout cas sur certains éléments qui devraient apparaître publiquement plus tard, mais aussi sur ce qui motive un tel monstre, ce qui le pousse, viscéralement, à faire souffrir et massacrer son prochain selon des processus qui, disons-le, ont le mérite de l'originalité, mais laissent à plusieurs reprises abasourdis...
Et ce que l'on apprend petit à petit de lui est là aussi très dérangeant. Attention, les véritables motivations, elles, n'apparaissent que vers la fin, comme il se doit, quand les connexions se font pour mener au dénouement. Mais, on découvre tout de même le discours de ce personnage et, là encore, on reste pantois.
Avec, et c'est le plus important, le sentiment que l'arme la plus puissante qu'il possède dans son large arsenal, c'est... l'image. Alors, bien sûr, je ne vais pas trop développer cet aspect dans ce billet, parce que cela nous obligerait à dévoiler certains aspects-clés. Mais il faut évoquer cela car "Play" s'inscrit parfaitement dans cette société de l'image qui est la notre.
Cela fait longtemps, me direz-vous, qu'on s'y trouve. Oui, mais avant, nous étions entourés d'images, désormais, nous sommes aussi ceux qui les produisent, qui les exposent, qui les consomment, qui les partagent, qui les suivent avec avidité, parfois, jusqu'à l'overdose et avec, en corollaire, le voyeurisme qui s'en mêle, à moins qu'on ne s'hypnotise devant les chaînes d'infos continues et leur tombereau de nouvelles rarement réjouissantes.
Oui, l'image. Mais pas seulement ceux qui la regardent. Ceux qui la façonnent. Vous vous doutez, à me lire à ce niveau du billet, qu'on est en lien direct avec son titre, extrait du roman. Et le lien entre images et vérité, éternel débat, l'image qui peut servir le propos ou le déformer, l'image qui vient hanter comme elle vient enchanter.
Ici, l'image est totalement contrôlée par le Cyclope, de A à Z. Dans son modus operandi comme dans sa folie, tout est image. Et des images, je le redis, chocs (et, terrible paradoxe, la seule fois qu'il n'en a pas le contrôle, c'est quasiment la scène la plus dure et la plus violente du livre). L'image est le support de ses revendications, de sa propagande, de sa terreur, lorsqu'il va frapper l'esprit du grand public.
Et ici, vous me permettrez de parler un peu de ce blog. Je fais très rarement ce genre de digressions un peu vantardes, mais ça s'impose. En effet, comment ne pas évoquer sur un blog baptisé "appuyez sur la touche lecture", le titre du roman de Franck Parisot. Car, comme je l'ai fait, l'auteur de ce roman s'amuse avec les différents sens de son titre : "Play".
Play, comme lire ou comme jouer. Lire, et l'on retrouve ce blog sympathique sur lequel vous passez, je vous en remercie, n'oubliez pas le guide, le même jeu de mot entre l'action de lire un livre et l'action de lancer la lecture d'une bande vidéo ou d'un DVD (mon clin d'oeil personnel faisait référence aux vieux magnétoscopes aux écrans à cristaux liquides verdâtres clignotants).
Ne parlons plus de moi, Franck Parisot, et je viens de parler de la question de l'image, utilise "Play" comme cette incitation à lancer un film. Vous verrez que c'est fondamental dans le roman. Et le mot incitation est choisi à dessein. Il va jusqu'à mettre à sa sauce le symbole du triangle (nan, pas celui des francs-maçons, mais le triangle couché sur le côté qui orne la touche "lecture"), en guise de signature, de revendication.
Et puis, il y a le sens premier du mot "Play" : jouer. Aussi macabre, violent et sanglant soit-il, ce jeu existe et le Cyclope en est le maître. Il joue avec ses victimes, il joue avec les policiers qui le poursuivent, il joue avec des témoins, il joue avec les proches de l'affaire comme avec le public à qui il "offre" le spectacle de ses crimes, il joue avec les médias, il joue avec tout le monde. Et il aime ça !
En face, les policiers ont le sentiments d'être des pions. A plusieurs reprises, et c'est aussi un des intérêts de ce thriller, ils ne sont pas seulement surpris, ils sont saisis de stupeur devant le culot du monstre. Devant leur incapacité à voir venir le coup suivant. Devant le retard pris. Et, peu à peu, ils vont se rendre compte qu'ils ne sont que des moucherons pris dans une incroyable toile d'araignée, je n'en dis pas plus.
Oui, le Cyclope joue et fait lire, play and play, et il embarque, en bon maître du jeu, le lecteur dans sa folle sarabande. Le rythme est soutenu, l'outrance de certains passages éveille en nous ce vilain petit sentiment voyeur qu'on cache, met mal à l'aise, nous pousse presque à lire entre nos doigts, comme quand on se cache les yeux pour de faux devant un film d'horreur.
Je n'ai que très peu parler des personnages, alors un mot rapide sur eux, car Franck Parisot joue sur les archétypes du genre : le blasé solitaire (Bridge), la rebelle magnifique, dans tous les sens du terme (Tsuki), le rigolo qui cache ses failles (Alves), le veuf inconsolable qui se noie dans le boulot (Lawson). Avec ces quatre-là, on peut voyager, partit au combat. Mais ça ne garantit rien, car ils sont tous dans l'oeil du cyclone, dans l'oeil du Cyclope. Et personne ne sortira indemne (amis des clichés, bonsoir !).
Comme souvent dans ce genre de thriller, le démiurge est autant le tueur que l'auteur. Le tueur si l'on reste au plan strict de la fiction, l'auteur si on prend un peu de recul, de hauteur. Et tout le reste n'est que manipulations pour que les destins s'entrecroisent, convergent... ou pas. Qui peut dire à l'avance ce qu'il adviendra de ces policiers, mais aussi de bien des innocents (et pas seulement) ?
Tous sont à la merci de la folie d'un tueur d'encre et de papier et de l'imagination d'un écrivain qui fait une entrée fracassante dans le monde du thriller. Efficace, dérangeante, qui vous remue les tripes et, à mes yeux, réussit son coup, malgré quelques ficelles et quelques défauts, tout de même. On a, je pense, la promesse d'un romancier qui devrait encore nous surprendre à l'avenir.
J'ai dévoré ce roman de 600 pages en deux jours, avec à chaque page, l'envie d'avancer, d'en savoir plus, de comprendre, de découvrir ce que nous réserve encore le Cyclope. Le dénouement est plutôt bien troussé, ni le plus prévisible, ni le plus original, mais ça reste cohérent. Ce serial killer a tout pour marquer longtemps les esprits. On sort de cette lecture bien secoué, et pas forcément avec l'envie de reprendre un thriller tout de suite.
Quoi que...
Ta chronique donne bien envie de lire ce thriller. Quoique !.......C'est l'extrême violence dont tu parles qui me ferait hésiter. Je crois que je peux difficilement supporter pire que Thilliez.
RépondreSupprimerC'est évidemment parce que je sais que ce sujet est sensible que j'ai tenu à préciser cela. Je suis un amateur de thrillers de longue date et, pour le coup, il y a deux scènes, particulièrement, qui m'ont marqué dans ce roman et qui, je pense, risquent de gêner les plus sensibles. La seconde, en particulier, et pour plusieurs raisons, est à la limite du supportable.
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