Comment dit-on, déjà ? Ah oui, LE roman de la rentrée... Enfin, oui et non. Il l'est de facto, parce qu'il est omniprésent sur les listes de prix. Je ne m'intéresse pas aux ventes, donc je ne peux pas dire si le public suit, mais je n'ai pas l'impression qu'on en parle tant que ça et c'est bien dommage. Voilà un livre composite, dont nous allons essayer d'énumérer la liste des ingrédients dans ce billet. Ils sont plus nombreux qu'on ne le croit en apparence, on dévore quelque chose qu'on croit connaître et mille saveurs inattendues explosent en bouche. Ce livre, c'est "Constellation", premier roman (et j'insiste sur ce mot) d'un jeune écrivain prometteur, Adrien Bosc, que les éditions Stock ont eu le flair d'éditer. Au départ, une histoire dont on a tous plus ou moins entendu parler, celui du crash dans lequel Marcel Cerdan trouva la mort. Et puis, au fil des pages, se dessine bien d'autres choses... Modestes tentatives d'explication...
Le 28 octobre 1949, à 2h51 du matin, disparaît le vol Air France parti de Paris en direction de New York. L'appareil, un Constellation de la firme Locheed, immatriculé F-BAZN, devait faire escale sur l'aéroport de Vila do Porto, mais il ne s'y est jamais posé, malgré les derniers mots de l'équipage, évoquant l'éclairage de la piste sous leurs yeux...
Plus tard, on retrouve la carcasse de l'avion, écrasé entre deux montagnes d'une autre île de l'archipel. La dérive est impressionnante et surtout, on s'explique mal comment l'équipage a pu se laisser ainsi piéger. Il ne reste plus grand chose de l'appareil et les 48 personnes à bord, passagers et membres d'équipage, ont toute péri dans le crash.
Parmi elle, deux figures vont marquer les esprits, car leurs noms, leur art, les ont fait connaître du grand public. La première s'appelle Ginette Neveu, elle a 30 ans et c'est l'une des plus grandes violonistes de son temps, déjà connue à travers le monde. La seconde, c'est le boxeur Marcel Cerdan, ancien champion du monde des poids moyens qui devait rencontrer Jake La Motta pour une revanche quelques semaines plus tard.
Elle partait pour une tournée de concerts outre-Atlantique, avec son frère qui était aussi le pianiste qui l'accompagnait lors de ses récitals. Lui rejoignait Edith Piaf, avec qui il entretenait une liaison secrète et avait choisi de prendre l'avion en dernière minute pour la retrouver plus rapidement que s'il avait traversé l'Atlantique en bateau.
Bien sûr, ce sont ces deux figures, dont la mort a déclenché une vague d'émotion incroyable en France, et sans doute au-delà des frontières, qui sont le point de départ et le moteur du roman d'Adrien Bosc. Mais qui sont les autres victimes de ce crash, ces 46 personnes dont, finalement, on ne parle jamais quand on évoque ce drame ?
L'enquête que nous propose alors Adrien Bosc est passionnante. De brefs chapitres qui nous proposent des portraits de la plupart des passagers du Constellation, l'enquête pour comprendre les causes de ce crash inexpliqué, ses répercussions sur la population mais aussi les inévitables anecdotes allant des miraculés à des choses infiniment plus sordides, comme l'échange de certains corps, découvert après l'enterrement d'une des victimes...
Pourquoi ce crash a-t-il tant marqué les esprits, alors qu'à cette époque, où, dans l'après-guerre, l'activité du transport aéronautique est encore balbutiant, les accidents sont hélas nombreux ? L'auteur en évoque un certain nombre, en lien avec celui du Constellation F-BAZN, et retrace aussi brièvement l'histoire de ce moyen de transport devenu aujourd'hui, quoi qu'on en pense quand se produit un accident, le plus sûr à notre disposition.
Qui n'a pas rêvé, enfant, en voyant passer ces avions au-dessus de sa tête, d'être à l'intérieur, de ressentir ces sensations nouvelles du décollage, du vol, qui n'a pas imaginé où allaient ces avions et ce que partaient faire les personnes se trouvant à l'intérieur ? Il y a aussi dans "Constellation" cette dimension onirique qui renvoie au mythe brisé par l'aviation : celui de faire voler ce gros balourd d'être humain...
Adrien Bosc sait se montrer technique et précis mais sans abrutir le lecteur de données techniques. On comprend simplement que, si prendre l'avion en 1949 n'est pas banal, ce n'est pas non plus sans risque. Sauf qu'on semble aborder cela avec bien moins de stress que de nos jours, alors que le risque a énormément diminué... En plus d'un demi-siècle, le fatalisme a reculé pour laisser sa place au principe de précaution et du risque zéro... O tempora, ô mores...
On apprend énormément de choses, sans que ce court livre, moins de 200 pages, soit didactique, empesé, emmerdant. Au contraire, la force du romancier qui raconte, sans s'impliquer émotionnellement, mais nous parle, nous captive. En tout cas, dans la première partie du livre. Car, peu à peu intervient une toute autre dimension.
En fait, vous pourriez quasiment oublier tout ce que je viens de vous dire. Non, j'exagère, c'est quand même le centre de ce livre. L'enquête, précise, affûtée, va alimenter d'autres histoires par capillarité, par voisinage, parfois par esprit d'escalier. Et vont se mêler aux acteurs du drame d'autres figures connues, soit indirectement liées aux événements, soit reliées à eux par Adrien Bosc.
Citons les aviateurs Nugesser, Mermoz, Saint-Exupéry, mais aussi Howard Hugues, les comédiennes Ingrid Bergman et Françoise Rosay, les surréalistes André Breton, Man Ray, Salvador Dali, les femmes de lettres Charlotte Delbo et Elsa Triolet, Blaise Cendrars le baroudeur, le Prince Ali Khan, Walt Disney et même Alain Bashung... Tous passent dans le livre, pour des raisons concrètes, parfois par privilège du romancier...
Ils viennent s'agréger à la constellation de personnages qui composent la trame de ce livre, où la part romanesque se manifeste sans doute de manière plus évidente dans la construction narrative que dans le récit lui-même. Il y a, au-delà de l'aspect documentaire, indéniable, quelque chose d'une flânerie. Il y a surtout, derrière tout cela, une magnifique réflexion.
Elle commence avec la présentation de ces passagers, dont on découvre qu'ils viennent de partout, de Paris, de Casablanca, mais aussi du pays Basque, d'Alsace, de la Havane, des Etats-Unis, du Canada et même de bien d'autres points du globe pour certains, dont, sans doute, il a été plus difficile de connaître le parcours qui les a mené dans cet avion, cette funeste nuit.
Mais, plus frappant encore, les origines sociales de tous ces passagers. Artiste et boxeur, on l'a dit, mais aussi ouvrière, bergers, eh oui, journaliste, hommes d'affaires, rentiers et héritiers, des époux, des épouses, des mères, des pères, des frères, des soeurs, des gens dont la mort soudaine va toucher, faire des dégâts dans tout leur entourage, jusqu'à même provoquer un suicide...
Enfin, sans rentrer plus avant dans les détails fascinants de tout cela, un brin morbide, un brin voyeur, comme il sied à ce genre d'affaire, mais sans jamais tomber dans le sordide, 48 personnes dont le seul point commun est finalement d'avoir embarqué ensemble dans un même avion au même moment et de ne pas avoir réchappé au crash.
Aussi différents, mais réunis par un hasard horrible dans la mort. Ah, ça y est, j'ai lâché le mot ! Hasard ! Ou destin ? Je ne trancherai pas, à chacun en son âme et conscience, selon ses convictions propres, de juger lequel des deux mots est le plus propre à décrire les événements. Mais, voilà le coeur de ce roman.
Quelles Parques agissent-elles sur nos existences, quels fils tissent-elles pour que ces personnalités sans aucun lien, aux parcours, aux existences tellement différentes, les unes avec leur histoire derrière eux, les autres, ayant encore tout à vivre au-delà de cette traversée, finissent ensemble par percuter deux montagnes qui n'avaient rien à faire sur leur trajectoire ?
Il y a dans le récit d'Adrien Bosc un monceau absolument incroyable de coïncidences liées à ces événements. Le hasard est omniprésent et sinistrement joueur, dirait-on. Tous ces fils du destin relient les événements, les êtres entre eux, jusqu'à former une trame de 48 fils, simultanément coupés vers 2h51, le 28 octobre 1949.
Oui, "Constellation" est un jeu de construction autour de la question du hasard. On le retrouve partout, de façon parfois glaçante. J'en veux pour preuve cette scène du Grand Echiquier, émission de télé qui eut lieu plus de 30 ans après l'accident. Dans un entretien publié il y a quelques jours dans le quotidien La Croix, Adrien Bosc évoque l'importance de cet épisode.
Un visionnage, presque par hasard, de ce passage de l'émission de Jacques Chancel semble lui avoir donné l'envie de creuser autour du crash. Dans "Constellation", l'auteur relate in extenso les dialogues, mais aussi les émotions folles qui étreignent les participants lorsque l'on remet au luthier de Ginette Neveu la volute d'un des violons qu'elle avait avec elle...
La scène est simplement magnifique. J'ai été bouleversé rien qu'à la lire et, pour être franc, je n'ai pas encore osé la visionner. Et, là encore, on y voit la main du hasard, du destin, dans cette remise à un homme, jeune adulte au moment de l'accident et qui, initialement, aurait dû se trouver dans l'avion, d'un morceau de violon qui a "survécu" (après tout, les violons ont bien une âme), disparu, voyagé, pour revenir, trois décennies plus tard, dans les mains de celui qui entretenait l'instrument...
Jusque dans la genèse de ce roman, le hasard vient mettre son grain de sel. Sans ces images, visionnées au gré d'une séance de surf sur la toile, sorte d'errance, de voyage immobile sans but véritable, l'idée n'aurait pas germé. Voilà aussi pourquoi, et là encore, même si c'est un genre particulier, "Constellation" est bien un roman, c'est parce qu'on y trouve une touche d'auto-fiction.
Adrien Bosc a enquêté, il s'est déplacé, est allé sur les lieux plus de 60 ans après, il a refait le voyage, enfin, le voyage tel qu'il aurait dû se dérouler, puis repris la trajectoire faussée (par le hasard, encore ?)... Les passages dans lequel l'auteur apparaît directement sont peu nombreux, mais, il apporte beaucoup, en particulier sur sa vision du sujet qu'il traite.
Il aurait parfaitement pu faire un documentaire ou un récit de cette histoire, la documentation semble suffisante. Mais non, il est allé plus loin. Mais pourquoi cette soudaine passion pour cette histoire, qui peut sembler lointaine, désormais ? Que représentent Cerdan, Piaf ou Ginette Neveu aujourd'hui ? Eh bien, justement, la raison est tout à fait personnelle et éclaire tout ce qui vient d'être dit de façon magistrale...
Adrien Bosc n'apporte pas de réponse, mais pose bien des questions autour du hasard, de notre destin, individuel mais aussi collectif. On se rend compte à quel point ce titre, "Constellation", est tout sauf anodin. Outre le modèle de l'avion, il résonne de façon particulière et, d'une certaine façon, l'auteur s'improvise Ptolémée du XXIe siècle pour essayer d'y lire... Quoi donc, au juste ? Eh bien la réponse est à la dernière page !
J'ai évoqué beaucoup d'aspects de ce livre, mon billet part un peu dans tous les sens, en tout cas, j'y vois un fil, encore un fil, directeur. J'espère qu'il vous guidera, tel celui d'Ariane, dans ce livre qui m'a profondément marqué, pour tout ce que j'ai pu dire. Sans forcément entrer dans ces réflexions, le simple récit de ces vies brutalement brisées a de quoi émouvoir.
Mais, j'ai évoqué le Grand Echiquier, sorte de point névralgique du roman, j'ai évoqué la fin du livre. Je ne peux m'empêcher de terminer ce billet en vous montrant cette photo extrêmement célèbre, qu'évoque Adrien Bosc au début de "Constellation". Elle est restée incroyablement célèbre, car on y voit, quelques minutes avant l'embarquement, Cerdan tenant le violon de Ginette Neveu en mains devant la musicienne et le frère de celle-ci...
Un document exceptionnel, fascinant, terrifiant, aussi... Et, autour d'eux, absents de l'image, les 45 autres personnes, plus ou moins anonymes, car certaines, vous le verrez, ont eu des parcours tout sauf ordinaires, attendant de monter dans cette carlingue et de s'envoler pour des raisons qui vont des plus tristes, parfois, aux plus enthousiastes, des plus fortes, à celles remplies de l'espoir d'un nouveau départ...
Je viens de voir l'auteur présenter son livre et la scène extrait du grand échiquier avec Étienne Vatelot qui retrouve la tete du violon de Ginette Neveu, dans l'emission on n est pas couchés.
RépondreSupprimerJe vais lire ce livre!
Merci pour ce billet
Laurence