jeudi 4 février 2016

"Avoir quatre as dans ma manche, c'était ça ma meilleure tactique aux échecs".

Cette phrase m'a bien fait rire, alors j'ai choisi de la mettre en titre de notre billet du jour. J'essaierai de justifier ce choix dans la suite de ce billet, mais je ne vous promets rien. Voici une lecture légère, alerte, un premier roman de fantasy qui nous vient de Belgique. Une variation sur le thème du "casse du siècle", dans un monde qui ressemble au nôtre, mais pas tout à fait, puisqu'on y croise pas mal de créatures issu du merveilleux, quelques indices d'une société steampunk et même, par certains aspects, dans un monde dystopique (mais là, c'est une interprétation personnelle). "La stratégie des as", du Liégeois Damien Snyers, publié aux éditions ActuSF, est un premier essai, sans doute imparfait, mais qui méritera d'être confirmé. Et l'on prendra plaisir, si l'auteur fait ce choix, à retrouver les personnages et l'univers de ce premier opus.



James, Elise et Jorg se sont rencontrés en prison. Cela arrive, surtout lorsqu'on a choisi de prendre pour profession celle d'arnaqueur. James est un elfe qui, depuis son enfance, lorsqu'il a quitté sa famille sans se retourner pour suivre un étrange mentor, vit en trichant, trompant, escroquant, volant son prochain et déploie, pour cela, des trésors d'inventivité.

Elise, métisse ayant une moitié de sang elfique et une moitié de sang humain, est devenue sa parfaite alter ego, permettant à James d'élargir son champ des possibles en matière de magouilles. Quant à Jorg, c'est un troll, aussi costaud qu'il est d'une gentillesse confondante. Emprisonné parce que troll dans une société qui tolère mal les différences, il apporte sa force au trio, lorsque cela devient nécessaire.

Jusqu'à présent, depuis qu'ils se sont associés, ces trois-là vivent au jour le jour, de petits coups rémunérateurs à court terme, mais qui les oblige sans cesse à remettre le couvert. Et donc à prendre des risques. Un mauvais coucheur, la police ou pire, les dangereux Exécuteurs pourraient s'en mêler et l'affaire pourrait mal tourner...

Alors, James, Elise et Jorg rêvent d'un coup fumant qui pourrait assurer leur avenir à long terme, et surtout leur permettre de changer de vie. James a des envies d'ailleurs, quant à Elise, elle voudrait ouvrir un club, destiné aux métisses, comme elle... Jorg, lui, a les envies les plus simples mais il suit ses amis qui le traitent bien.

Un jour, à la sortie d'une taverne où il vient de faire une démonstration de ses talents, James est accosté par un humain, belle mise, une allure de notaire. Il a tout pigé de ce qui s'est passé dans l'estaminet et félicite l'elfe pour ses talents. Il lui propose alors une affaire où ses compétences pourront s'épanouir avec, à la clé, un gros pactole. Enfin, c'est ce qu'il laisse entendre.

L'homme s'appelle Wenceslas Nihkto et il est l'homme de confiance d'un riche vieillard, Aymeric Astur, dont la santé est on ne peut plus précaire. A vrai dire, il est moribond, ce brave Astur, au point de ne plus pouvoir parler. C'est Nihkto qui s'exprime pour lui et qui met en main de James un alléchant marché qui pourrait permettre à James et ses amis d'enfin pouvoir tourner la page.

Pour cela, rien de plus simple. Enfin, sur le papier. Ils devront voler un mystérieux bijou, "le Rein d'Isis", qui, paraît-il, possède des vertus thérapeutiques inédites. Et, pour cela, ils devront faire preuve de toute leur habileté, car ils n'auront que peu de temps pour agir. Et devront s'introduire chez les Pellier, propriétaires actuels du bijou.

Un deal qui semble clair et précis, mais, dans le monde des arnaqueurs et des voleurs, il est difficile de se faire confiance... Alors, avant de laisser James repartir et préparer son plan pour piquer "le Rein d'Isis, il reste une formalité à remplir. Nihkto passe un bracelet au poignet qui, s'il échoue ou s'il essaye de garder le bijou pour lui, explosera l'envoyant ad patres...

D'autres obstacles vont apparaître, liés ou non au projet du vol du "Rein d'Isis", mais James, Elise et Jorg peinent à trouver le plan parfait qui permettra à l'elfe de remplir sa part du contrat passé avec Astur et de ne pas finir éparpillé façon puzzle quand le bracelet explosera. Rien n'y fait, pas moyen de se débarrasser de ce truc et ça n'aide pas à la concentration...

Oh, je ne pense pas révéler grand-chose en disant que, évidemment, le coeur (non, pas le rein, c'est autre chose le rein, enfin, si le Rein est un peu le coeur, aussi, mais juste pour ce livre, pas en vrai, capisce ?) de ce roman est l'élaboration et la réalisation du plan parfait qui va permettre à James et ses acolytes de mettre la main sur le "Rein d'Isis".

Un objet sur lequel on a peu d'éléments, finalement. Vous allez me dire que je suis un mec méfiant, mais m'embringuer dans une telle histoire sans vraiment savoir où on met exactement les pieds, j'aurais eu du mal. James, attiré par l'idée d'une importante récompense, ne cherche pas à en savoir plus sur ces "vertus thérapeutiques"...

L'univers que met en place Damien Snyers est un univers où la magie est quelque chose d'ordinaire, de normal. Ce qui est amusant, c'est que James, dans son arsenal de trucs et astuces, dispose de qualités de prestidigitateur et d'illusionniste qui, comparé aux pouvoirs en vigueurs dans ce monde-là, devraient faire pâle figure, mais conservent tout leur pouvoir de fascination et de surprise sur les gens.

James est un malin, un roublard. Un stratège capable d'élaborer des plans simples ou bien plus complexes afin d'arriver à ses fins. Mais il sait aussi qu'un plan ne doit pas être trop rigide, q'il faut aussi posséder des qualité d'improvisation, sinon, on va droit dans le mur. Mais, à malin, malin et demi. Et les malins et demi sont souvent particulièrement dangereux.

On pense naturellement, en lisant "la stratégie des as", à des films comme "Ocean's eleven", même si, dans la bande de James, on compte moins de 11 membres. Mais à l'inverse du plan concocté par Clooney, Pitt, Damon, Cheadle et les autres, quelques grains de sable vont se glisser dans la belle mécanique...

Et l'on suit ces aventures avec plaisir. Oh, je vais tout de même être franc, j'aurais bien aimé que Damien Snyers engraisse un peu son roman. Qu'on y découvre un peu plus l'univers, qu'on le comprenne mieux, aussi, car on manque un peu de repères, je trouve. Et parce que j'aurais eu plaisir à le voir étoffer et son intrigue et son cadre narratif.

Comme je le disais en préambule, on a un univers de fantasy, avec des elfes, des trolls, des métisses (surtout mi-elfes, mi humains, le gabarit des trolls expliquant sans doute en grande partie cela), de la magie, mais aussi quelques éléments steampunk, comme les calèches que les classes les plus aisées utilisent pour se déplacer, et même quelques éléments, comme cette Nouvelle-Pologne, où se déroule l'action, qui laissent penser qu'on est dans un univers de dystopie.

Mais plus que le décor, Damien Snyers s'intéressent aux relations sociales entre les personnages. D'emblée, on sait que ce sont les humains qui dominent ce monde et que les autres espèces de créatures ne sont, au mieux, que des faire-valoir. Les métisses sont encore moins bien considérés, quant aux trolls, ils sont carrément mis au ban.

D'autres différences apparaissent au fil du livre, comme l'homosexualité d'un personnage dont nous n'avons pas parlé ici, et là encore, on sent bien que ce n'est pas très bien vu... D'ailleurs, les femmes en général semblent avoir fort à faire dans une société que je qualifierais de machiste. On les aborde dans la rue, on les drague sans vergogne et sans leur demander leur avis, on les insulte si elle refuse les avances, etc.

A se demander si ce monde est vraiment un autre que celui dans lequel nous vivons... Tout cet aspect-là joue un grand rôle dans "la stratégie des as", car, finalement, James et ses amis, s'ils ne sont pas à proprement des révoltés ou des Robin des Bois, sont tout de même mus par un sentiment d'injustice et dénoncent ce déterminisme social, voire racial, qui leur est imposé.

L'affaire du "Rein d'Isis" les place au coeur de l'élite de Novy-Krakow, la Nouvelle-Cracovie, où se déroule l'action. Et venir y semer la zizanie n'est pas pour leur déplaire, malgré les dangers encourus. Qui plus est, si, au final, ils en retirent une forte récompense, suffisante pour améliorer un peu les choses ou aller voir ailleurs si l'herbe est un peu plus verte.

On y voit aussi une certaine application d'un adage pas toujours vérifié qui montre qu'il vaut mieux être pauvre et en bonne santé que riche et malade. Pourquoi, si l'on est en bonne santé, ne pas aussi se débrouiller pour être riche et pouvoir en jouir ? Et, dans ce but, on peut alors utiliser tous les coups possibles et imaginables, parce que le jeu en vaut la chandelle.

Un dernier point. J'ai choisi dans ce billet, en tout cas jusqu'ici, d'occulter un personnage, celui de Mila. Je vais maintenant en parler, mais sans vraiment la contextualiser, il vous faudra lire le roman pour mieux l'appréhender. Mila fait irruption, si l'on peut dire, en cours de roman. Amie ou ennemi de James, Elise et Jorg ? Ah, ça, à vous de voir...

Comme Elise, c'est une métisse et son arrivée ainsi que son rôle dans l'histoire, s'ils ne choquent pas particulièrement, peuvent sembler un peu abrupts. Alors, excellente idée, et de l'auteur et de son éditeur, on a en fin d'ouvrage un dernier chapitre, qui est en fait une nouvelle retraçant le parcours de Mila, histoire d'en savoir un peu plus.

"La stratégie des as" a James pour narrateur, le roman est donc écrit à la première personne et il devenait difficile, sans passer par un style indirect pas très évident à gérer, de nous expliquer qui était Mila et comment elle est amenée à croiser la route de James et de ses amis. On avait déjà vu cette astuce chez ActuSF, dans "Royaume de vent et de colères", de Jean-Laurent del Socorro, qui s'achevait aussi sur une nouvelle mettant en valeur un personnage secondaire du roman.

Même si le roman est assez court, on a le temps de s'attacher à cette bande de joyeux pieds-nickelés. On voudrait même passer un peu plus de temps avec eux, les découvrir plus en détails, pourquoi pas les suivre dans de nouvelles aventures. Encore une fois, c'est un premier roman qui aurait, à mon goût, gagné à être un peu plus étoffé, mais j'y ai pris du plaisir.

"La stratégie des as" est plutôt une comédie, j'ai trouvé à James des faux airs de Sylvain Sylvo, autre elfe connu des amateurs de fantasy, dans une série de polars steampunk signée Raphaël Albert, mais ce n'est pas non plus un roman écrit pour enchaîner les gags et les clins d'oeil (même s'il y en a, surveillez les titres des chapitres, par exemple).

C'est un bon divertissement, le genre de lecture qui réchauffe lorsque l'après-midi est froid et gris et qu'on décide de rester lire au coin du feu, sous la couette ou le plaid. Une sympathique première expérience qui en appellera d'autres, dans cet univers ou dans d'autres. Mais je serais curieux de savoir ce que va devenir James...

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