jeudi 1 juin 2017

"Je crois que j'en ai par-dessus la tête d'entendre ce qui est et ce qui n'est pas permis. A quoi sert Féérie si tout ce qui est beau est interdit, comme dans le monde réel ?"

Il y a un an, je me trouvais dans le public lors de la cérémonie de remise des prix Imaginales et, lorsque le livre à qui était décerné le prix dans la catégorie jeunesse, je me souviens m'être dit : mais qu'est-ce que c'est que ce truc-là ? Il faut dire que le titre à rallonge de ce roman avait de quoi surprendre... Un an plus tard, son auteure a été invitée aux Imaginales et j'ai eu l'occasion de la rencontrer et d'animer deux cafés littéraires avec elle. J'ai donc lu ce fameux livre et j'ai compris pourquoi ce jury, dont je ne faisais pas encore partie, l'avait choisi... "Le fille qui navigua autour de Féérie dans un bateau construit de ses propres mains" est le premier tome d'une série de cinq romans signés Catherynne M. Valente (en grand format aux éditions Balivernes, dans la traduction de Laurent Philibert-Caillat). Une série qui fait un carton, récoltant prix sur prix (la liste s'allongera dimanche prochain avec un Grand Prix de l'Imaginaire) et qui mérite vraiment le détour, qu'on soit un jeune lecteur (la série s'adresse aux 10-14 ans) ou qu'on soit plus chevronné, car ce texte fourmille de références très différentes et très habilement utilisées...



Septembre est une fillette de 12 ans au caractère bien affirmée qui s'ennuie dans sa vie quotidienne bien monotone. Tous les jours, il faut faire les mêmes choses dans la même ambiance, dans le même coin un peu perdu d'Amérique. De quoi énerver Septembre qui rêve d'ailleurs, d'un ailleurs où la vie, à défaut d'être plus belle, serait au moins plus mouvementée, plus surprenante.

Passant par là, le Vent Vert remarque cette enfant bien grincheuse et décide de l'inviter à un grand voyage dans le monde merveilleux de Féérie. Enfin, merveilleux, ça reste à voir... Peu importe, cette visite est l'aubaine qu'attendait Septembre. Pas une seconde elle n'hésite à suivre le Vent Vert et à prendre la direction de ce mystérieux endroit entouré d'un grand océan...

Et là voilà sur le dos du Léopard des Petites Brises, superbe animal qui accompagne le Vent Vert et galope vers Féérie. Septembre a perdu une chaussure au moment où elle a quitté sa maison, mais quelle importance, ce n'est qu'un simple désagrément mineur face à la perspective de découvrir Féérie et ses habitants...

Mais, avant même d'arriver à Féérie, Septembre voit son enthousiasme un peu refroidi : le Vent Vert lui apprend en effet qu'une Marquise un tantinet tyrannique dirige Féérie d'une poigne de fer. Conséquence : il existe tout un tas de règlements qu'il faudra que Septembre applique à la lettre, sous peine de terribles sanctions...

Septembre promet de faire très attention et de se montrer respectueuse des règles en vigueur une fois qu'elle sera à Féérie, car le Vent Vert n'y est pas le bienvenu et il ne pourra pas rester à ses côtés au-delà des frontières de Féérie. Une fois qu'il aura déposé Septembre, son voyage pourra vraiment commencer et elle partira à la découverte de ce monde très particulier comparé au nôtre.

Un monde où vivent de nombreux personnages tous plus bizarres et surprenants les uns que les autres. Si Septembre ne connaît personne là-bas, elle va vite faire des rencontres importantes. A commencer par le Vouivre A-à-L, c'est ainsi que ce dragon veut qu'on l'appelle, parce qu'il est le fils d'une vouivre et d'une bibliothèque.

Drôle de créature aux ailes entravées qui possède un savoir illimité sur tout ce qui possède un nom commençant par une lettre allant de A à L. Le reste est allé à son frère et à sa soeur, eux qui n'ont pourtant pas la même vocation que lui : reprendre le flambeau paternel. Bien vite, Septembre et lui deviennent inséparables.

Ils seront bientôt rejoint par un autre personnage très spécial : il s'appelle Samedi et se présente comme un Marid. Autrement dit, un génie des eaux, ce qui n'a rien de surprenant, puisque Féérie est entourée d'un océan. Si l'on excepte la couleur bleue de sa peau, Samedi ressemble presque à n'importe quel petit garçon. Mais il est timide et tenaillé par la peur...

Je vous laisse découvrir les circonstances des rencontres de Septembre avec ceux qui vont devenir ses compagnons de voyage dans Féérie. Non, pardon, ce sont plus que des compagnons de voyage, ils vont devenir au fil du temps des amis inséparables pouvant compter les uns sur les autres quand des difficultés se présenteront.

Et le voyage n'aura rien de simple. Surtout quand Septembre va prendre conscience qu'il y a quelque chose de pourri au royaume de Féérie et que la responsable de tout cela, c'est cette méchante Marquise dont tout le monde parle avec une immense crainte... Alors, Septembre, demoiselle pleine de fougue, de caractère et qui n'a pas envie qu'on lui gâche son séjour à Féérie, décide d'agir...

Ce voyage, je vous invite vraiment à le faire aux côtés de Septembre et de ses amis. Je vous invite à rencontrer à ses côtés les drôles d'habitants de Féérie, drôles, mais parfois pas très commodes, voire carrément menaçant. Deux me viennent spontanément à l'esprit : la pauvre Lessive, taillable et corvéable à merci, et la Mort, oui, la Mort en personne...

Avouez qu'avec ce rapide aperçu des habitants de Féérie, vous avez déjà envie de vous accrocher vous aussi à l'encolure du Léopard des Petites Brises pour rejoindre, poussé par le Vent Vert, les rivages de Féérie. Je ne peux que vous y encourager tant j'ai passé un agréable moment de lecture avec ce livre.

Bien sûr, on pense très vite à quelques classiques de la littérature jeunesse : "Alice au pays des Merveilles", "Le Magicien d'Oz" et "le Monde de Narnia", au premier chef. Mais, Catherynne M. Valente a choisi de s'appuyer sur ces récits universellement connus pour mieux les mettre en pièces et les reconstruire à sa manière.

Il faut dire que Septembre n'est pas une héroïne tout à fait comme les autres : elle n'a rien d'une petite fille candide et emporté dans un tourbillon déstabilisant d'événements. Non, Septembre sait ce qu'elle veut. Le Vent Vert la qualifie de "grincheuse et irascible", lorsqu'il lui adresse la parole pour la première fois.

Ces qualificatifs peuvent paraître négatifs, mais en fait, ils montrent surtout que Septembre ne se laissera impressionner par personne et qu'elle saura remonter les manches quand il le faudra et prendre des initiatives. Braver des dangers, également, et il y en aura pas mal. Enfin, construire un bateau de ses propres mains pour naviguer autour de Féérie, comme nous l'indique le titre.

Ce premier tome multiplie les références et les clins d'oeil, parfois très surprenants ou inattendus. Oh, rassurez-vous, j'en ai forcément manqué plein, et ce n'a pas d'importance. Ecouter Catherynne M. Valente à Epinal m'a d'ailleurs permis d'enrichir la liste des références évoquées dans ce premier tome et qui m'étaient passées au-dessus de la tête...

Alors, ne vous inquiétez pas avec cela, laissez-vous simplement porter par ce récit d'une immense richesse, à la fois drôle et tendre, captivant et profond. L'imaginaire de Catherynne M. Valente est foisonnant, passionnant, toujours surprenant et plein de créativité. Et, par ricochet, c'est tout l'univers dans lequel évolue Septembre qui hérite de ces qualités, idéales pour dissiper l'ennui...

L'auteure américaine, dont je vous invite à lire l'étonnante biographie sur son site (oui, je sais, c'est en anglais), réussit à être à la fois respectueuse des oeuvres dont elle s'inspire, mais en y insufflant une irrévérence salutaire et rafraîchissante, qui offre à ses lecteurs plusieurs niveaux de lecture. Il y a, je crois, avec cette série, un bon moyen de rassembler différentes générations de lecteurs et susciter de l'échange en famille.

Septembre, nous dit-on, est, à tout juste 12 ans, déjà une très grande lectrice, et cela se ressent : Féérie mêle furieusement tous les univers livresques qu'elle a traversés depuis qu'elle sait lire, mais sans doute pas seulement. Ce qu'elle a pu voir dans cette culture collective qui est la nôtre et qui passe aussi par Disney.

Mais, malgré son intelligence, sa curiosité, son caractère, Septembre reste une fille de 12 ans, pleine de naïveté. Pour elle, tout problème a sa solution, surtout dans un monde comme Féérie où tout est possible, même les choses les plus abracadabrantesques. Bien sûr, il y a des règles, mais, comme le montre le titre de ce billet, cela semble bien curieux à Septembre qu'il faille ainsi se plier aux ordres d'une Marquise dans un monde qui devrait être idéal...

Ce premier tome (je ne vous remets pas le titre, pardon, titre français qui n'est pas une lubie du traducteur mais bien la traduction du titre original, je précise) est une magnifique plongée dans l'imaginaire d'une jeune fille pré-adolescente qui entre dans cette période de la vie tumultueuse et turbulente.

Il y a de la rébellion dans la volonté de Septembre de quitter son home, sweet home et ses parents qui lui semblent bien tristes et ennuyeux. Il y a aussi l'envie de commencer à voler de ses propres ailes, de gagner en indépendance. Allez, résumons tout cela en un seul mot : grandir ! Septembre grandit et veut commencer à construire sa propre existence suivant ses propres codes.

Son voyage en Féérie va l'amener à réfléchir sur ces questions, sur la vie qu'elle mène, comme tant d'autres à son âge, chrysalide cherchant à percer son cocon pour pouvoir étendre ses magnifiques ailes de papillon. Oui, Septembre est grincheuse et irascible, enfin, c'est ce qu'on peut croire, mais elle est sans doute surtout mal dans sa peau.

Septembre a tout du monde imaginaire que l'on se fabrique pour s'y réfugier lorsque la vie ne tourne pas tout à fait comme on voudrait. Mais qui suis-je pour dire que Féérie n'est que le fruit de l'imagination fertile d'une petite fille en mal de sensations fortes ? A chaque lecteur sa vision de cet univers fabuleux, dans tous les sens du terme. Une vision qu'il faudra se forger une fois la dernière ligne du roman lue, et pas avant.

Catherynne M. Valente dépoussière le conte de fée, lui donne une incroyable modernité, pleine de vie, d'envie, d'espoir et de vigueur. Elle renouvelle le genre en lui donnant un indéniable coup de fouet. C'est à la fois drôle, émouvant et plein de pistes de réflexion à prolonger bien après la lecture. Oui, c'est une vraie découverte et un vrai bonheur de lecture.

Deux tomes sont traduits pour le moment, les éditions Balivernes annoncent la sortie prochaine, avant la fin de cette année, je crois, du tome 3. Mais n'attendez pas que les 5 tomes soient disponibles pour vous lancer, suivez Septembre et filez en Féérie, pour un prendre un sacré bol d'air et d'imagination. Cela requinque sérieusement !

On ne peut pas finir ce billet sans évoquer Ana Juan. Cette illustratrice espagnole signe les couvertures de cette série, mais aussi les dessins que l'on trouve dans les pages intérieures, en tête de chapitre. C'est un vrai plus, je les trouve très belles, très fidèles au texte et c'est un vrai enrichissement que de les avoir.

Anecdote amusante : Catherynne M. Valente et Ana Juan ne se sont jamais rencontrées. Elles n'ont eu que quelques conversations à distance, puisqu'elles ne vivent pas dans le même pays. Et pourtant, à quelques détails infimes près (il y a eu quelques désaccords sur des questions de coiffure...), leurs univers ont su parfaitement se marier pour donner un résultat magnifique, très original.

Vous en avez eu un exemple plus haut avec la couverture, sur laquelle Septembre est en compagnie du Vouivriothèque. Mais, les illustrations intérieures, en noir et blanc, méritent également d'être mises en valeur. Alors, en voilà un exemple, c'est l'illustration du premier chapitre, je ne révèle donc rien de plus que ce qui a déjà été dit...



Enfin, pour être le plus complet possible, je vous propose d'écouter Catherynne M. Valente, c'était il y a quelques jours à Epinal, lors des Imaginales (Jean-Luc Rivera à la modération et Morgane Saysana à la traduction). L'occasion de découvrir son univers littéraire très riche et très varié :
http://www.actusf.com/spip/Imaginales-2017-Entretien-avec,24736.html

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