mercredi 31 mai 2017

Cheveux rouges et barbe bleue...

Il y a quelques mois, une mystérieuse et rutilante couverture, apparaissait sur l'encart de une de Livres Hebdo, le magazine professionnel de référence (bon, en même temps, il n'y en a pas d'autre) de la chaîne du livre. Quelques semaines passent et je découvre que l'auteure de ce roman sera présente aux Imaginales. Et qu'elle participera à une des tables rondes que j'aurai à animer... Voilà comment je me suis retrouvé avec, entre les mains, "Le projet Starpoint, tome 1 : la fille aux cheveux rouges", de Marie-Lorna Vaconsin (en grand format sous le label "la Belle Colère" des éditions Anne Carrière). J'étais curieux de découvrir ce qui pouvait se cacher derrière cette couverture qu'on remarque forcément, je m'y suis donc plongé sans a priori, en faisant fi des doutes que je ressens toujours lorsqu'il s'agit de littérature jeunesse. Et j'ai plongé dans l'angle mort pour découvrir un monde tout à fait étrange et quelque peu dangereux...



A 15 ans, Pythagore est un adolescent ordinaire (si l'on excepte qu'il pratique le saut à la perche). Fils d'une prof de maths (qui sera d'ailleurs sa prof cette année pour la première fois) et d'un scientifique, tombé dans le coma trois ans plus tôt après avoir été tabassé par des inconnus. Une vilaine gastro l'a privé des deux premières semaines de cours, il débarque donc dans la classe bien après tout le monde.

Pythagore retrouve doucement ses marques. Jordanie, la camarade de classe qu'il a embrassée quelques mois plus tôt, à la fin de la précédente année scolaire, lui préfère manifestement Maxence, le gros dur de la classe. Bon... L'autre mauvaise surprise, c'est l'absence de sa meilleure amie, Louise. Bizarre, puisqu'elle est la fille du concierge de l'établissement et habite donc dans le bâtiment...

D'autant plus bizarre que Louise n'a jamais raté un cours, encore moins séché... La voilà qui arrive, en retard, flanquée d'une autre élève que Pythagore n'a encore jamais vue. Une nouvelle, sans doute. Il a entendu son nom, lors de l'appel : Foresta Erivan. Mais, ce qui frappe tout le monde quand Foresta entre en classe, c'est sa chevelure, d'un rouge qu'on ne peut pas ne pas remarquer.

Et la nouvelle venue va vite marquer son territoire : lorsque Maxence se moque de Louise, elle le soufflette, pas une, mais deux fois, et lui ferme son claquem... euh, pardonnez-moi, son caquet de la plus brillante des façons. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle a réussi son entrée dans la classe et qu'on ne devrait plus lui chercher noise, et à Louise non plus...

En à peine deux semaines, Louise et la fille aux cheveux rouges sont donc devenues inséparables. Pythagore est un peu dépassé, il ne voit plus Louise aussi souvent que d'habitude, car, dès qu'elle le peut, la jeune fille disparaît avec Foresta. Que font-elles exactement ? Pythagore n'en a pas la moindre idée, mais il les trouve très affairées.

Et puis, un soir, après la fête du Carnaval des Pêcheurs, une vieille tradition à Loiret-en-Retz, alors que Pythagore se remet de ses émotions (on lui avait confié les platines, il a mixé toute la soirée), Foresta vient le trouver. Elle lui annonce que Louise a disparu et lui demande son aide pour la retrouver.

Secoué, Pythagore accepte aussitôt : Louise reste sa meilleure amie, il ne va pas la laisser tomber si elle est en danger. Mais, il ne comprend pas trop ce qui s'est passé, où et dans quelles circonstances Louise a disparu. Il suit Foresta qui l'emmène dans un coin de la cour, lui demande d'avaler un morceau de quelque chose de bizarre et de regarder dans les vitres du bâtiment.

Foresta recherche ce qu'elle appelle l'angle mort. Il apparaît lorsqu'on met deux miroirs en vis-à-vis pour qu'ils se reflètent l'un dans l'autre. Ca marche aussi avec les vitres. Et, lorsqu'il suit la fille aux cheveux rouges dans cet angle mort, il se retrouve soudain... ailleurs... Dans un monde bien différent qu'il va lui falloir découvrir, car c'est dans ce monde-là que Louise a été enlevée...

Pythagore... Le pauvre, je le plains... Le cancre en maths que je fus, qui mit si longtemps à digérer ce théorème, son triangle rectangle, son carré de l'hypoténuse, tout ce saint-frusquin qui me semblait inaccessible, a soudain revécu ses cauchemars adolescents dans lesquels flottaient, ricanants et sardoniques, des zéros pointés...

Heureusement pour lui, le jeune personnage central du "Projet Starpoint" vit mieux cela que moi. Et, s'il ne devait pas se rendre dans une impersonnelle chambre d'hôpital pour voir son père, s'il ne devait pas s'adresser à lui sans savoir s'il l'entend, s'il le comprend, alors, oui, il serait un ado très ordinaire, ayant les préoccupations de tous les jeunes gens de son âge.

Et puis, voilà que l'arrivée de Foresta chamboule son quotidien bien tranquille. Louise sèche, se fait plus rare, lui cache des choses... Et puis, elle disparaît dans un monde parallèle dans lequel elle a suivi une mystérieuse fille à la chevelure de feu... Elle est en danger, un danger mortel, comme va vite s'en rendre compte Pythagore.

Car, dans ce monde qu'il découvre, il s'en passe de belles : cela ne ressemble en rien à celui dans lequel a grandi Pythagore. Les couleurs, les lieux, les personnes, certaines valeurs et centre d'intérêt, même la physique, tout est différent dans ce monde-là. Et le jeune garçon, à l'instar de Louise, pourrait bien y être considéré comme un intrus s'il n'y prend pas garde. Mais le temps presse...

Je ne vais pas trop en dire sur cet univers assez déroutant que Marie-Lorna Vaconsin nous propose. Il vous faut le découvrir et vous interroger, comme ce fut mon cas. Oui, ce premier tome pose bien des questions. Dont une est très évidente : mais qu'est-ce donc que le projet Starpoint, qui donne son nom à ce qui sera une trilogie ?

Eh bien... Vous vous doutez que je ne vais pas vous répondre. Le voudrais-je, que je ne pourrais de toute façon pas, moi aussi, après ce premier tome, je me pose encore plein de questions sur ce sujet. Il apparaît, fugacement dans un premier temps. Puis, quelques révélations nous sont faites dans la dernière partie. Mais rien sur sa raison d'être. Rien sur ce qu'est vraiment le Projet Starpoint.

En revanche, on fait pas mal d'allers-retours entre les deux mondes situés de chaque côté de l'angle mort. Le nôtre, ça va, on le connaît, je passe vite ; l'autre, on commence à le découvrir un peu plus en profondeur et on comprend qu'il s'y passe des choses pas jolies-jolies... On est plus proche de la série "Fringe" que des livres de Lewis Carroll, auxquels on pourrait penser en passant de l'autre côté de l'angle mort.

A Pythagore de se montrer débrouillard et téméraire pour affronter ce mystérieux univers et les dangers constants qui menacent. A lui de sortir de son confort d'adolescent tranquille et effacé pour prendre les choses en main. En cela, ce premier tome entre parfaitement dans le côté initiatique qu'on retrouve souvent dans la littérature jeunesse, et plus encore lorsqu'il s'agit d'imaginaire.

Pythagore, incontestablement, franchit déjà un pas, quitte l'enfance dans ce premier tome. Il n'est pas encore adulte lorsqu'on le laisse, mais il sera très intéressant, lorsque les trois tomes seront parus, de mesurer l'évolution du personnage. Il y aura forcément gagné en maturité, en confiance en lui, aussi, et ça a déjà commencé, dans les deux mondes, d'ailleurs.

Il faut dire qu'à côté de la fulminante et flamboyante Foresta, Pythagore fait petit garçon, dans la première partie du livre. Il m'a rappelé un garçon de 15 ans que j'ai bien connu, en fait. Ni le plus populaire de la classe, ni le paria, le mec dans la moyenne en tout, le genre d'élève qui gagnerait à s'affirmer, surtout face à un Maxence et à son assurance de grosse brute.

En fait, il faudrait qu'il suive l'exemple de Louise, que la rencontre avec Foresta a métamorphosé, semble-t-il. Au point de prendre un peu trop de risques... Et, peu à peu, on va le voir prendre des initiatives, des décisions importantes pour son avenir et celui de Louise, prendre des risques, aussi. Bref, oser, découvrir le goût de l'aventure...

Je me suis bien amusé à lire "la Fille aux cheveux rouges", c'est rythmé, plein de mystères et de rebondissements, d'idées rigolotes et bien foutues (si vous vous demandez pourquoi j'ai parlé du saut à la perche dès le début de ce billet, vous comprendrez pourquoi en le lisant). J'ai retrouvé un plaisir de gamin, le même que celui que j'avais quand je lisais "le Club des 5" ou d'autres romans dans ce genre.

Reste un thème à aborder, qui touche au titre de ce billet. Pour les cheveux rouges, je pense que c'est clair, et sauf daltonisme sévère, la couverture du livre parle d'elle-même. Mais la barbe bleue... Il y aurait plusieurs raisons d'évoquer ces questions pileuses, assez présentes dans le livre, mais vous le découvrirez là encore en lisant ce premier tome.

Il y a surtout une figure qui traverse le roman. Une double figure, même, à la fois historique et légendaire : celle de Gilles de Retz. Cette trilogie se déroule dans une commune (imaginaire, me semble-t-il) qui s'appelle Loiret-en-Retz et qu'on devine située en Loire-Atlantique, près de Nantes. On y trouve une sorte de musée, la Maison des Légendes qui, dit-on, aurait appartenu à Gilles de Retz.

Si vous ne connaissez pas ce personnage, penchez-vous sur son cas, il est... incroyable. Ancien compagnon de Jeanne d'Arc, l'un des plus fidèles et dévoués, il est, quelques années plus tard, condamnés pour les meurtres (et autres détails sordides) de plus de 140 enfants ! Condamné à être pendu puis brûlé, Gilles de Retz, ogre ou serial killer avant l'heure, est exécuté en 1440.

Voilà pour l'histoire, sur laquelle, je pense qu'on sera d'accord, planent beaucoup de questions qui ne seront sans doute jamais éclaircies. Et puis, au fil des siècles, cette figure est devenue légendaire. On a même fini par l'identifier au personnage de Barbe Bleue... Beaucoup de contes et de récits l'ont mis en scène, la version qu'on connaît le mieux est, comme souvent, celle de Perrault.

Pourtant, dans ce conte-là (auquel Marie-Lorna Vaconsin fait d'ailleurs ouvertement référence dans une des scènes de "la Fille aux cheveux rouges"), Barbe Bleue fait plus référence au roi d'Angleterre Henry VIII et à sa vie conjugale qu'à Gilles de Rais... Les légendes se croisent, s'entremêlent, se marient, se confondent, mais toujours se transmettent et c'est encore un bel exemple.

En revisitant cette histoire, Marie-Lorna Vaconsin contribuera certainement à faire découvrir ou redécouvrir cette double figure Rais/Barbe Bleue à ses jeunes lecteurs. Et ainsi se poursuivra la transmission, à travers une histoire fantastique captivante dont on attend désormais avec impatience la suite de cette trilogie pleine d'inventivité.

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