mardi 15 août 2017

"L'Ether, c'est moi !"

En 2000, Johan Heliot entamait avec "La Lune seule le sait" sa trilogie de la Lune, dans laquelle il mêlait uchronie, science-fiction, steampunk, humour et clins d'oeil littéraire, en choisissant Jules Verne pour personnage central. En 2017, il reprend l'essentiel de cette recette pour ce qui sera une nouvelle trilogie uchronique, mais il change d'époque et de point de vue, également. "L'Académie de l'Ether", en grand format aux éditions Mnémos, est le premier tome de "Grand Siècle", une histoire qui s'installe au début du règne de Louis XIV, jeune homme qui aspire à gouverner par lui-même, mais se trouve encore sous la tutelle de Mazarin. Une histoire de pouvoir et de conquête, tout à fait surprenante. Car c'est bien vers le firmament que le regard de celui qui n'est pas encore le Roi Soleil se tourne. Vers cet infini espace qui surplombe nos têtes et qu'à l'époque, on appelle encore l'Ether...



Baptiste Rochet est lieutenant de frégate sur un navire baptisé la Superbe. Mais, il sait que ses origines roturières seront un frein à ses ambitions : jamais il ne pourra commander les plus importantes vaisseaux de la marine royale et devra se contenter de poste de second ou de commandements modestes.

Lorsqu'il est témoin, avec tout l'équipage de la Superbe d'un événement extraordinaire, il se dit qu'il y a peut-être là un tremplin pour ses ambitions. Un corps céleste s'est abattu tout près du navire, dans un bruit d'enfer et un sillage de feu, faisant trembler et craquer la coque comme si on l'attaquait. Mais aucun navire ennemi n'est en vue.

Et, plus surprenant encore, cette... disons météorite, faute de mieux, ne s'est pas enfoncée sous la surface de l'océan : elle flotte ! Et elle brille ! Surmontant leur frayeur et leurs interrogations, les marins remontent l'objet à bord. Baptiste Rochet, plus troublé encore que le reste de l'équipage, au point de frôler le malaise, sent en lui une confiance inédite.

Lors de l'escale suivante, à Brest, il déserte, emportant avec lui le mystérieux objet. C'est comme s'il suivait les recommandations de celui-ci... Direction Paris et la cour du Roi. Avec ce prodige, nul doute qu'on le laissera approcher le jeune Louis XIV et que cette révélation sera le début d'une nouvelle vie, pleine de gloire et d'honneurs...

Dans le même temps, la famille Caron doit quitter le Barrois, dont elle est originaire. La pauvreté, les récoltes de moins en moins abondantes, la famine qui menace... La situation est devenue intenable. A la mort soudaine de leur père, ses cinq enfants comprennent que leur destin n'est plus dans leur village natal.

Suivant les derniers conseils prodigués par leur défunt père, ils décident de se rendre à Paris, où vit le dernier membre de leur famille. Un oncle qu'ils n'ont jamais rencontré, imprimeur de profession. Est-il encore en vie ? Ils n'en savent rien, mais plus rien ne les retient en Lorraine, désormais, alors, ils prennent la route, le coeur gros, mais pleins d'espoir.

Pierre, l'aîné, est prêt à défendre ses frères et soeurs coûte que coûte. A ses côtés, Jeanne, qui remplit le rôle de mère depuis que la leur a disparu, et Estienne, tout feu, tout flamme, mais encore bien jeune. Et puis, Marie et Martin, les deux petits derniers, qui ne sont encore que des enfançons, bien fragiles pour un si long voyage...

A Paris, la vie des Caron va changer, et pas seulement parce qu'ils ne sont plus à la campagne, mais dans une ville immense. En fait, ils n'ont plus leur destin en main et il faut trouver comment subvenir aux besoins de cinq personnes, que l'oncle grincheux n'a ni envie ni les moyens de prendre en charge. Alors, aux trois aînés de se débrouiller. En suivant des voies bien différentes...

A la Cour, au grand dam de Mazarin, le jeune Louis XIV, âgé de 16 ans, semble comme envoûté depuis que Baptiste Rochet lui a présenté son drôle d'objet et ses mystérieux pouvoirs... Le nouvel arrivant est devenu une espèce d'éminence grise, à la fois discrète et omniprésente, et le souverain entend désormais gouverner seul.

Avec une nouvelle lubie en tête : en finir une bonne fois pour toutes avec les Frondeurs, qui menacent toujours la couronne, à l'image de Condé, rétablir la paix dans le Royaume et même en Europe, afin de se consacrer à un nouveau projet qui assiéra forcément son pouvoir et fera de lui plus encore qu'un monarque de droit divin : conquérir l'espace !

Car, l'Ether, c'est lui !

Vous aurez certainement reconnu la citation originale, habilement détournée pour les besoins de la cause uchronique. Elle plante assez bien le décor de ce qui s'annonce pour ce "Grand Siècle", c'est-à-dire le lancement, bien avant l'heure, de ce que nous appelons la conquête spatiale. Pour le coup, l'expression est bien anachronique, il s'agit d'abord de trouver le moyen de... s'envoler !

Pour autant, l'idée d'aller sur la lune n'est pas si bizarre qu'on pourrait le croire. Après tout, c'est à cette époque que vit Savinien de Cyrano de Bergerac, qui a la tête dans les étoiles et imagine "l'Histoire comique des Etats et Empires de la Lune et du Soleil" (ouvrage posthume, d'ailleurs, en tout cas, dans notre réalité...).

D'ailleurs, Cyrano fait une apparition dans "L'Académie de l'Ether", mais ce n'est pas vers lui que va se tourner Louis XIV pour mener à bien son projet démentiel. Non, le jeune roi n'a pas besoin d'un rêveur pour cela, mais d'un scientifique, d'une personnalité connue et reconnue pour ses compétences et qui saura comment faire pour gagner l'Ether.

Cette personne, Louis XIV n'a aucun doute sur son identité : le plus grand scientifique de son temps, le plus à même de concevoir les machines capables d'aller jusque dans l'Ether, c'est Blaise Pascal. Et il sait que, malgré ses nombreuses activités, il ne pourra pas dire non à son souverain. Le roi ne se trompe pas, un tel défi ne peut que convenir à un personnage comme l'inventeur de la Pascaline.

Un défi technologique, bien sûr, mais aussi philosophique : gagner l'Ether, c'est se rapprocher de Dieu, de la preuve de son existence. Ou de sa non-inexistence, d'ailleurs. Il y a dans ce projet a priori impossible la perspective de trouver la réponse parfaite au fameux pari de Pascal. Et peu importent les conséquences d'une telle découverte !

Ce premier tome permet de planter le décor, d'installer l'histoire et les personnages, qu'ils soient réels, comme Louis XIV, Pascal et Mazarin, ou totalement fictifs. On n'en est qu'aux prémisses de l'histoire et du projet incroyable qui est au coeur. Autour des recherches menées par Pascal (et, là encore, l'uchronie passe par-là), il se passe énormément de choses.

On pourrait qualifier ce livre de roman choral, car les points de vue narratifs sont nombreux et permettent d'aller dans différentes directions, de ménager rebondissements et surprises. A la fin de "l'Académie de l'Ether", on se retrouve bien frustré de ne pas en savoir plus et l'on voudrait pouvoir attaquer la suite. Découvrir ce que va réaliser Pascal, voir ce qu'il va advenir des uns et des autres.

Bien sûr, on est dans une uchronie et on a tendance à se focaliser sur ce qui sort de l'ordinaire, de l'histoire telle qu'on la connaît. Mais, c'est aussi un roman qui repose, forcément, par essence, sur un fond historique. Et il n'est pas anodin. Johan Heliot a enseigné l'histoire avant de se consacrer à l'écriture et il ne se gêne pas pour utiliser ce matériau dans ce roman.

Il y a la Fronde, déjà évoquée plus haut, qui, en ces années 1650, sévit encore, fragilisant le règne naissant de Louis XIV. Mais, plus largement, toute la société du milieu du XVIIe siècle qui n'est pas seulement un décor, mais une partie importante du récit, conditionnant le rôle des personnages fictifs, et en particulier des membres de la famille Caron.

Johan Heliot s'amuse également dans ce roman, j'ai évoqué le détournement de la phrase "l'Etat, c'est moi !", mais ce n'est pas le seul clin d'oeil que l'on repère. Alexandre Dumas aussi est présent, dans l'esprit comme dans la forme, et il le sera sans doute encore par la suite. Mais, pas tout à fait de la façon dont on l'attend, car l'auteur est facétieux, et même un brin provocateur.

D'autres fils narratifs, portés par d'autres personnages, dont je ne vais pas parler ici, complètent le récit. Je n'en parle pas pour ne pas tout révéler, mais aussi parce que, pour l'un d'entre eux en particulier, son rôle est encore loin d'être clair. Mais, on peut imaginer sans risque de se tromper que son influence ira croissant dans les prochains volets.

Je me suis énormément amusé à lire "l'Académie de l'Ether", roman plein de fantaisie et d'imagination, riche grâce à son contexte historique, à sa dimension uchronique et aux possibilités que tout cela offre. Pour autant, c'est aussi un roman qui possède des côtés bien plus sombres, certains personnages connaissant des destinées dramatiques.

C'est vivant, intrigant, inquiétant, par certains aspects, plein d'inventivité, comme souvent avec Johan Heliot. On se demande où va aller cette histoire et comment vont évoluer les différents personnages. Un mot, d'ailleurs, sur Louis XIV, qui est un des moteurs de ce premier volet. On le découvre encore jeune, loin de l'homme plein d'assurance et d'autorité que l'on connaît.

Sa première apparition est d'ailleurs loin d'être à son avantage, on a devant nous un enfant apeuré que la menace des Frondeurs terrifie jour et nuit. La métamorphose à laquelle nous allons assister n'en est que plus saisissante et bientôt, c'est un monarque déterminé et intraitable que l'on retrouve, comme guidé vers un absolu...

Ce Louis XIV-là n'est pas sans rappeler le Louis XIV de la série "Versailles", en tout cas pour ce qui est de l'homme de pouvoir. Il va bientôt détenir le pouvoir absolu dans ces mains et, lorsque se termine ce premier tome, on peut dire qu'il entre vraiment dans l'âge adulte, que son règne débute véritablement et qu'il n'écoutera désormais plus personne avant de décider.

Enfin, presque plus personne...

2 commentaires:

  1. je n'ai pas accroché à La lune... pas lu la suite, mais là tu me tentes, combien de tomes prévus histoire de ne pas trop patienter ? une trilogie ?

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  2. Oui, une trilogie.
    Dommage que tu n'aies pas accroché à la trilogie de la Lune, c'est par ces livres que j'avais découvert Johan Heliot et je la conseille encore volontiers.

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