dimanche 4 décembre 2011

En quête de connaissance...

Pardon pour le manque d'originalité du titre, mais le meilleur ("le nom de la gnose") a déjà été utilisé par un magazine. Alors, on se contentera de ce titre qui n'en dévoile pas trop sur l'histoire du nouveau roman de Henri Loevenbruck, "l'Apothicaire", publié chez Flammarion. Le 13ème roman de Loevenbruck qui a choisi de le situer... en 1313 ! Pas superstitieux, ce garçon... Une lecture qui devrait surprendre les habitués de cet auteur, tant on est loin de ses précédents thrillers (malgré quelques traits communs).


Couverture L'Apothicaire


En 1313, donc, Philippe le Bel règne d'une poigne de fer sur le Royaume de France. Il a fait démanteler 6 ans plus tôt l'ordre des Templiers, mais Jacques de Molay n'a pas encore été brûlé et n'a pas encore proféré sa malédiction (car, tout cela, c'est un autre livre...). A Paris, rue Saint-Denis, vit Andreas Saint-Loup, un apothicaire connu et reconnu pour sa compétence, qui va bien au-delà de celle d'un simple apothicaire. A tel point que certains voient d'un mauvais oeil ses conseils qui relèvent plus de la médecine, discipline qu'il n'a pas le droit de pratiquer.

Au-delà de ça, Saint-Loup est un personnage mystérieux : orphelin abandonné à la porte d'une église, il a été élevé par l'abbé Bourcel mais, vers 20 ans, il a tout quitté pour partir sur les routes dans un voyage dont on ne sait pas grand chose, sinon qu'il l'a mené à Saint-Jacques de Compostelle, que c'est là que Saint-Loup a fait son apprentissage d'apothicaire et qu'il y a exercé quelques années avant de revenir à Paris.

Un matin comme les autres  de janvier, alors qu'il déambule dans sa maison, Saint-Loup découvre une porte qu'il ne souvient pas avoir jamais vue. Etrange, quand même... Ses serviteurs ne sont pas plus capables que lui de lui dire ce qu'il y a derrière cette porte, ni pourquoi elle semble avoir apparue d'un seul coup...

Saint-Loup; peu porté sur la religion, est un matérialiste. Un cartésien avant l'heure, si l'on peut dire. Un homme qui a soif de connaissance scientifique, qui cherche à comprendre et expliquer le monde qui l'entoure grâce à la science et non à la théologie. Et le voilà confronté à un phénomène qu'il ne peut pas expliquer.

D'autres indices viennent rendre cette situation plus mystérieuse encore et Saint-Loup entend bien comprendre rationnellement ce qui lui arrive et remettre au jour des pans de sa propre existence qui semble avoir été comme effacés de sa mémoire, mais pas seulement de la sienne...

Seulement, l'Apothicaire n'est pas le seul à se poser des questions qui le concernent. Au sommet même du pouvoir, où les rivalités sont exacerbées, on a Saint-Loup dans le collimateur. Ces puissants soupçonnent que l'Apothicaire pourrait savoir ou découvrir des faits compromettants et ils décident de tout mettre en oeuvre pour le faire disparaître avant que ces histoires ne les éclaboussent.

Saint-Loup va donc goûter de la prison puis, une fois libéré grâce aux relations de l'Abbé Bourcel, son parrain, la pression va s'accentuer et changer de nature puisque, plutôt que de vouloir le faire parler, on va décider de le faire taire. Sentant ce danger se rapprocher, Saint-Loup, accompagné de son jeune apprenti, va quitter Paris. Et comme il pressent que c'est dans son propre passé qu'il peut espérer trouver des réponses non seulement aux questions qu'il se pose mais aussi aux raisons pour lesquelles on le persécute, c'est sur les routes du pèlerinage de Compostelle qu'il fuit.

A ses trousses, puisque religion et politique sont étroitement liées à cette époque, on lance le grand Inquisiteur de France, celui-là même qui a torturé et massacré les Templiers quelques années plus tôt. Car, en ces temps troublés où la religion a parfois bon dos et sert volontiers à camoufler des affaires bien moins avouables, quoi de plus facile que de déclarer Saint-Loup hérétique ? Mais ce fou furieux d'inquisiteur n'est pas le seul à vouloir rattraper l'Apothicaire, qui, décidément, a beaucoup d'ennemis sans même savoir pourquoi...

Commence alors une fuite, loin des rythmes effrénés actuels, au long de ces chemins et de ces villes qui ne mènent pas à Rome, mais à Saint-Jacques. A chaque halte, des indices supplémentaires, de nouvelles questions et un danger croissant pour Saint-Loup.

Mais c'est aussi le début d'une véritable quête spirituelle et philosophique sur la piste d'un courant philosophico-religieux très particulier : la gnose.

Ceux qui s'attendront à un thriller pur et dur seront déçus, car, contrairement aux précédents livres de Henri Loevenbruck, "l'Apothicaire" est avant tout un roman historique et une quête initiatique. Un excellent roman historique, devrais-je dire, très bien documenté, qui nous donne une description passionnante de ce début de XVIème siècle, de la vie à Paris, à Saint-Jacques de Compostelle et jusqu'au Mont Sinaï où l'histoire va se dénouer.

Et, jusque dans le mode narratif, il choisit de nous entraîner dans cette époque lointaine, ce Moyen-Age aussi obscur qu'il peut être brillant. Car tout ce récit nous est conté à la manière des troubadours qui officiaient en ces temps-là et l'on pourrait s'imaginer au coin du feu, spectateur de ces chansons de geste qui agrémentaient les veillées.

Mais, le fil conducteur de ce récit, c'est avant tout la quête philosophique qu'entreprend Saint-Loup pour trouver des explications à l'étrange apparition d'une pièce dans sa boutique et aux autres zones d'ombre qui semblent marquer sa vie. En choisissant un personnage rationnel à l'extrême, un homme de science pour qui on ne peut expliquer et comprendre le monde qui nous entoure que par l'expérience et l'observation, Loevenbruck nous présente un personnage en décalage avec son époque et les pensées dominantes.

Rejetant foi et religion, Saint-Loup n'en appelle qu'à la raison, ce qui en fait un personnage en avance sur son temps. Mais les évènements auxquels il se retrouve confronté viennent mettre à mal cette vision du monde : et si un phénomène n'avait pas d'explication scientifique et rationnelle ? Et si la vérité se trouvait ailleurs, pour reprendre un formule célèbre ?

Mais dans sa quête de connaissance, il laisse son orgueil démesuré l'emporter et va jusqu'à s'oublier lui-même. Et Loevenbruck de poser une question fondamentale : peut-on connaître et comprendre le monde qui nous entoure sans commencer par se comprendre et se connaître soi-même ? Or, la gnose repose sur la connaissance de soi. Ce sont donc les repères de Saint-Loup dans leur ensemble que cette quête va remettre en cause au fur et à mesure de son avancée.

Mais, au-delà de Saint-Loup, deux autres personnages vont connaître un cheminement proche mais sensiblement différent de celui de Saint-Loup. Ces personnages, ce sont Robin, l'apprenti de l'Apothicaire, et Aalis, une jeune fille que les vicissitudes de l'existence ont poussé à l'errance.

Robin, fils de paysan, affiche des dispositions intellectuelles particulières que, sans la perspicacité de Saint-Loup, il n'aurait sans doute jamais eu l'occasion d'exprimer. Il aurait dû se contenter d'une vie aux champs ou de service pour lequel il n'a ni goût ni don. La rencontre avec Saint-Loup va lui ouvrir de nouvelles perspectives mais sans l'aventure dans laquelle il va choisir de s'élancer corps et âme à la suite de son maître, peut-être n'aurait-il jamais découvert sa voie, ou en tout cas, dans un temps bien plus long.

Aalis, elle, doit fuir sa vie de fille de drapiers à Béziers. Oh, elle rêvait de quitter cette vie qui ne lui plaisait pas, c'est vrai, mais les circonstances vont la forcer à quitter sa ville natale et la jeter dans une grande précarité. Son seul moteur, à cet instant, est le but qu'elle s'est fixée. Ce but, c'est sa rédemption, son unique moyen de prendre un nouveau départ et de laisser derrière elle sa culpabilité. Sauf que ce but, elle ne pourra l'atteindre... Sans doute cet échec aurait-il sonné le glas de l'existence d'Aalis, sans la rencontre avec Saint-Loup et Robin. Là encore, l'Apothicaire va lui redonner des perspectives et cette nouvelle vie qu'elle n'espérait plus.

Dans la foulée de Saint-Loup, ces deux-là vont s'accomplir, s'ouvrir une existence à laquelle ils ne pouvaient même rêver quelques semaines ou mois plus tôt.

Saint-Loup, lui, va devoir modifier considérablement sa vision du monde car chaque étape de son odyssée va affaiblir les certitudes de cet homme si sûr de lui qui va découvrir non plus le doute physique mais le doute métaphysique.

Loevenbruck replace l'individu au centre de tout, au-delà du divin et du matériel. Son récit se déroule certes en 1313, mais ses problématiques sont très actuelles et c'est aussi de nous qu'il parle dans ce roman. Car, en notre siècle aussi, intégrismes et progrès débridé nous guettent toujours...

Les parallèles et les clins d'oeil à l'Histoire plus contemporaine sont nombreux, avec, à chaque fois une réflexion à la clef. En cela, "l'Apothicaire" est un vrai et bon roman historique, puisqu'en nous parlant du passé, c'est notre présent qu'il éclaire.

Et le facétieux Henri n'oublie pas de glisser par-ci, par-là quelques références à l'une de ses idoles : Georges Brassens, des références bien amenées et bien placées dans le récit. Sans doute, sur le chemin de Béziers a-t-il fait un détour par Sète pour lui rendre visite...

Un dernier mot pour vous rassurer, amis lecteurs que les mots ésotérisme, philosophie, théologie pourraient effrayer. Evidemment, on doit se familiariser avec les concepts et les courants d'idées qui traversent cette histoire. Mais il n'y a rien d'incompréhensible ou d'hermétique dans tout cela. Jusqu'à l'arrivée à Compostelle, ce roman est d'abord une course-poursuite avant de devenir un véritable roman à clés par la suite jusqu'à une découverte finale qui devrait en surprendre plus d'un...

2 commentaires:

  1. référence à George Brassens ? je n'ai rien vu !!!!

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  2. Eh bien, il faut le relire, alors ;-)

    J'en ai repérées 3, mais je ne les ai peut-être pas toutes vues...

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