vendredi 16 décembre 2011

Pétoche sur la basoche...

Chaque année, la fin du mois de novembre ne marque pas que l'arrivée du Beaujolais nouveau, mais aussi l'annonce du Prix du Quai des Orfèvres. Désigné par un jury composé de policiers, magistrats et journalistes, le polar récompensé doit répondre à des critères de sélection drastiques, comme l'exactitude matérielle des détails et le degré de réalisme avec lequel est décrit le fonctionnement de la police et de la justice. Pour 2012, ce prix revient à Pierre Borromée, pour le roman "l'hermine était pourpre", publié par Fayard, éditeur attitré du Prix du Quai des Orfèvres. De ce Pierre Borromée, on ne sait pas grand chose, si ce n'est que, sous ce pseudonyme, se cache "un auteur quadragénaire issu du monde judiciaire"... Minces indices, dirait-on si nous devions nous-mêmes mener une enquête, mais suffisants pour être certains que ce polar va nous emmener au coeur de ce monde plutôt clos des gens de jutice. Ce que l'on appelle encore "la basoche".



Couverture L'hermine était pourpre


Dans un village, proche d'une ville importante de province (sans doute en Bourgogne), un crime atroce est commis. La femme de ménage des Robin découvre la maîtresse de maison sauvagement assassinée dans sa chambre. Les Robin sont un couple de notables. Elle était expert-comptable, lui, est avocat. La jeune femme a été étranglée et torturée, dans des conditions aussi horribles qu'inhabituelles dans cette région si calme.

Aussitôt, certains voient l'oeuvre d'un psychopathe, soit de passage, soit tout près de recommencer ; d'autres, plus modérés, se disent que le mari pourrait bien avoir quelque chose à voir là-dedans... Rapidement, la machine légale se met en marche : la police, menée par le truculent commissaire Baudry, enquête, tandis que les magistrats attendent qu'on leur amène un coupable à mettre en examen...

Et puisqu'il faut un coupable, alors, pour ses propres collègues, ce sera Me Robin, époux de la victime. Reste à prouver que c'est bien lui le tueur, puisque la seule certitude de sa culpabilité ne suffira pas devant les Assises...

Pourtant, Baudry, mais aussi Me Dornier, le bâtonnier local qui s'est immédiatement saisi du dossier afin de défendre son collègue, ne croient pas à cette culpabilité trop évidente pour être vraie. Trop d'invraisemblances, trop de correspondances impossibles (à l'heure du crime, Robin était en route pour Nancy où il a plaidé le matin du drame), trop de pistes laissées de côté, trop de précipitation...

Cette enquête hors-norme, eu égard à la gravité du crime, pourrait aussi servir les ambitions des uns et des autres, d'où la nécessité de boucler ce dossier rapidement, coûte que coûte. D'autant que si cette affaire traîne trop en longueur, politiques et médias pourraient bien s'en mêler, des ingérences que des magistrats, pris en flagrant délit d'impasse, ne peuvent voir que d'un mauvais oeil.

Alors, tant pis pour Robin. Tant pis aussi pour Johnny, ce jeune homme, issu de la communauté des gens du voyage. Délinquent, oui, mais assassin, sûrement pas. Pourtant, pour avoir été au mauvais endroit au mauvais moment, Johnny, autre cible facile, va se retrouver emporté par le tourbillon d'une justice décidément aveugle, et surtout trop pressée pour bien faire.

Mais les évidences ont bon dos, dans cette histoire... La vérité exige des investigations plus poussées, du temps pour confronter les témoignages, les éléments matériels et les mobiles. Alors, Baudry, insatisfait des coupables qu'on lui impose, continue à bosser et Dornier, persuadé que seule la découverte du véritable meurtrier pourra innocenter son client, s'entête.

A eux deux, le flics et l'avocat, complices autour de la table de la brasserie locale, vont mettre en branle leurs petites cellules grises afin de laisser de côté les évidences, les trompe-l'oeil et les affabulations qui créent un écran de fumée autour de cette affaire. La seule chose qui leur semble de plus en plus sûre, c'est que la solution se trouve au sein même de la basoche.

Borromée, mêlant fiction et évènements réels ayant défrayé la chronique, nous emmène au coeur du microcosme judiciaire, montrant le travail des avocats et des magistrats, mais aussi les défauts de la cuirasse de cette institution si importante dans notre société. Un procureur ambitieux mais peu aguerri au jeu médiatique, un juge d'instruction individualiste, plein de certitudes et qui, n'ayant personne à qui rendre compte, instruit bien plus à charge qu'à décharge, des avocats bien peu solidaires entre eux quand l'un des leurs est dans l'oeil du cyclone...

A l'arrivée, l'image d'une institution bien peu humaine, fidèle à sa représentation yeux bandés et balance à la main, mais qui se soucie bien peu de vérité, finalement... Une institution fragilisée par ses propres membres, dont la probité, tant intellectuelle que matérielle, n'est pas toujours la principale qualité.

Mais aussi une institution qui souffre de son manque de moyens. Des dossiers toujours plus nombreux que les magistrats et les avocats se doivent de régler de plus en plus vite... Quadrature du cercle... Et, si cela ne suffisait pas, les politiques puis les médias, dans cet ordre ou dans l'autre, se font une joie, si j'ose dire, de venir rappeler bien souvent à cette basoche débordée, qu'un peu plus de rapidité dans ses actions ne serait pas un luxe...

Et, là encore, c'est un piège sans issue qui se referme sur les magistrats : agissez vite, ou l'on vous montrera du doigt, trompez-vous (chose plus que probable quand on doit se précipiter) et l'on vous clouera au pilori pour incompétence notoire...

On sent "Pierre Borromée" malheureux de l'état de cette justice qu'il entend défendre. On se doute aussi, à la lecture de son roman, qu'il penche plus du côté de la défense que de celui de l'accusation, le juge d'instruction et le procureur étant gentiment égratignés. Mais on voit aussi à quel point la justice gagnerait à voir police et magistrature mieux collaborer au lieu de se mettre des bâtons dans les roues.

"L''hermine était pourpre" est un plaidoyer en faveur de cette justice que nous critiquons souvent mais dont nous ne pouvons nous passer, une institution aussi imparfaite qu'indispensable fondement de notre démocratie. Mais c'est aussi un roman bien ficelé, bien construit, qu'on a envie de lire d'une traite pour savoir qui est le coupable...

Un polar qui lorgne vers les romans d'Agatha Christie dans sa partie dénouement et une solution qui devrait vous surprendre, pas tant par l'identité du coupable (après tout, les possibilités finissent vite par se restreindre) mais par le mobile de ce meurtre...

Un bon cru, pour le Prix du Quai des Orfèvres, dont les livres lauréats valent autant par le contexte qu'ils nous présentent que par l'intrigue elle-même... C'est encore le cas ici.

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