lundi 26 décembre 2011

Sarkozy reviendra-t-il de Saint-Trailouin ?

Mais qu'est-il arrivé à Patrick Senécal ? L'auteur de "Sur le seuil", "5150, rue des Ormes" ou de "les 7 jours du Talion" nous offre en cette fin d'année le premier volet d'un trilogie baptisée "Malphas", premier volet joliment intitulé "le cas des casiers carnassiers" (publié en grand format chez son fidèle éditeur Alire). Un nouveau roman qui devrait surprendre les inconditionnels du romancier québécois qui se lance dans un registre inhabituel jusque-là : le fantastique teinté de... comique. Et ça marche !


Couverture Malphas, tome 1 : Le cas des casiers carnassiers


Julien est professeur de français. Un professeur qui, pour avoir fauté, s'est retrouvé sans poste. Jusqu'à ce qu'un cégep (comprenez un collège d'enseignement général et professionnel) ne l'accepte. Cet établissement n'est pas situé dans une des grandes villes du Québec, ni même à Drummondville, là où se passent tant des romans de Senécal, mais dans une petite cité provinciale éloignée de tout : Saint-Trailouin.

Un nouveau départ pour Julien qui, outre ses écarts passés, doit faire avec un patronyme pas facile à porter : Sarkozy... Mais un nouveau départ dans un établissement où, très vite, Julien déchante : que ce soit les élèves, au niveau scolaire catastrophique, les professeurs, au passé aussi tumultueux que le sien, sans oublier les dirigeants, à la masse complet, tout le cégep Malphas (le nom de l'établissement, du nom d'un notable de la ville) semble reposer sur une déprimante médiocrité...

Julien adore enseigner, malgré ses défauts (un nette obsession sexuelle qui lui a coûté son mariage et l'a privé de son fils, une légère addiction à l'herbe, un humour au ras des pâquerettes, un certain dédain naturel pour son prochain, une impulsivité qui le met dans des situations parfois inconfortables et... un secret, dont on ne sait rien, à l'origine de son exil professionnel), mais là, il sent très vite qu'il va lui falloir un peu de temps avant d'apprivoiser son nouvel environnement...

C'est alors que, le jour même de la rentrée, se produit un évènement peu ordinaire : alors qu'une élève ouvre le cadenas qui lui a été donné pour verrouiller son casier métallique, de celui-ci s'écoule soudainement ce qui semble bien être... un corps réduit en bouillie. Le corps d'un autre élève, justement le petit ami de la demoiselle à qui appartient le casier...

De quoi faire planer dès le premier jour, une ambiance pleine de sérénité et de joie de vivre sur le cégep Malphas de Saint-Trailouin, n'est-ce pas ? D'autant que cette première semaine va confirmer son aspect particulièrement sanglant avec de nouvelles découvertes tout aussi macabres.

Pourtant, le cégep ne ferme pas ses portes et Julien n'y sent pas de véritable choc, de véritables émotions après ces drames qui, partout ailleurs, entraîneraient certainement la fermeture immédiate de l'établissement. Ici, non. Car, apparemment, on en a vu d'autres, au cours des 30 années d'existence du cégep Malphas. Entre le passé nébuleux de ses collègues et ces vagues évènements qu'on évoque devant lui sans jamais être trop précis, il y a de quoi se poser des questions.

D'autres éléments concourent aussi à l'inquiétude qui commence à étreindre le nouveau prof, comme ces corbeaux dont les apparitions paraissent toujours tomber à point nommé (et jusque sur la couverture du livre...). Et rien dans cette ville, même en dehors du cégep, ne semble tout à fait normal.

Julien Sarkozy décide alors de mener sa propre enquête pour comprendre comment des élèves peuvent disparaître brutalement sans laisser de trace un soir pour réapparaître tout aussi soudainement et sous forme d'un épouvantable magma dans des casiers métalliques. Secondé par un élève un peu spécial, Simon Gracq, garçon complètement perché, au langage quelque peu approximatif et qui ambitionne de devenir journaliste (au point de passer plus de temps à peaufiner le journal interne du cégep qu'à tout autre chose), Julien va alors se lancer dans une aventure qui va dépasser son entendement.

Car, il se passe vraiment des choses étranges à Saint-Trailouin et autour de son cégep...

Nous proposant un univers bien déjanté et une galerie de portraits particulièrement savoureux, Senécal quitte donc son registre habituel du roman d'horreur pur et dur pour un roman fantastico-comique, flirtant avec le grotesque, drôle sans jamais délaisser le suspense de l'intrigue et les moments de tension.

Un des ressorts intéressants est de faire de Julien Sarkozy, personnage peu recommandable, horripilant à souhait, vulgaire et cynique, l'un des rares îlots de normalité dans le contexte grand-guignolesque de Saint-Trailouin. Largué là comme un cheveu sur la soupe, sa curiosité et son besoin d'obtenir des réponses vont l'obliger à s'enfoncer un peu plus à chacune de ses initiatives dans la folie ambiante, comme lorsque l'on se débat dans des sables mouvants.

Fidèle à ses références, Senécal plante petit à petit le décor de sa trilogie et sème dès les premières pages les indices nous indiquant qu'on ne sera pas dans un thriller traditionnel mais qu'on va bien vite franchir les frontières du fantastique. Avis aux amateurs, qui repéreront ces indices au fur et à mesure.

Sans oublier, mais c'est une impression purement personnelle que démentiront peut-être d'autres lecteurs plus connaisseurs que je ne le suis, quelques pics envers une célèbre série romanesque ayant pour cadre un établissement scolaire d'une toute autre tenue et d'un tout autre standing que le désolant cégep Malphas... A bon entendeur !

Comme le lecteur, malgré sa bonne volonté et son intuition, Julien est plus spectateur des évènements, toujours un temps en retard chute qu'à la chute finale, hilarante, qui vient couronner un roman construit presque comme un Midnight Movie, ces fameux films d'horreur de série Z qu'on va voir le samedi soir et devant lesquels on rigole en mangeant du pop-corn, en un peu moins gore, toutefois...

Quelques réflexions émises par les personnages (dont Julien lui-même, en tant qu'auteurs de deux romans publiés, étrillés par la critique et ignorés par le public) peuvent laisser penser qu'avec "Malphas", Senécal règle quelques comptes avec des journalistes indélicats. Quitte à aller dans la caricature, autant le faire moi-même, semble-t-il nous dire et il nous sert ce roman en forme de farce (si j'ose dire, vu l'état des malheureuses victimes...).

Mais la parodie fonctionne bien et l'on passe un très bon moment en rigolant aux répliques des uns et des autres, aux situations rocambolesques auxquelles se retrouve confronté Julien et à l'effarement de ce garçon qui, en débarquant à Saint-Trailouin, s'attendait à tout sauf à ça.

Un seul avertissement, en guise de bémol, et encore, si vous êtes un aficionado de Senécal, vous risquez d'être dérouté par le ton et peut-être dérangé par la profondeur moindre du récit par rapport à ses précédents romans. Vous voilà prévenus !

Moi, j'ai pris énormément de plaisir à cette lecture. La fin (et non la chute, petite nuance) de ce premier tome nous laisse entrevoir que tout le microcosme du cégep Malphas en général et Julien Sarkozy en particulier, se prépare à des jours sombres. Car, ce qui se trame vraiment dans ce coin perdu de la Belle Province reste encore dans une ombre vénéneuse et qui s'étend...

Vivement la suite !

2 commentaires:

  1. Encore un Sénécal qui va rejoindre bientôt ma bibliothèque !!!

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  2. J'attendrais ton avis, car je pense que tu seras forcément surprise voire déroutée par ce nouveau projet (puisque c'est une trilogie). Tiens-moi au courant !

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