vendredi 23 décembre 2011

La nécessité d'une île.

Intéressons-nous à un premier roman, qui explore un genre loin d'être évident, le thriller d'anticipation, et en donne une vision originale, dans son fond comme dans sa forme et qui, malgré des défauts, tient en haleine sur plus de 500 pages. Vous êtes d'un naturel optimiste, vous regardez l'avenir d'un oeil serein, vous croyez que, uni, on peut se sortir de la crise et aller vers plus d'humanisme et de solidarité ? Alors, pas sûr que "Genèse de l'enfer", d'Yves Corvair, disponible en grand format aux éditions "les nouveaux auteurs", soit un livre pour vous...


Couverture Genèse de l'enfer


En juin 2027, Ibiza est le théâtre d'un épouvantable attentat terroriste qui fait un grand nombre de victimes au sein de la jeunesse dorée européenne. Déjà inquiètes de la violence croissante sévissant en Europe et ailleurs, les élites politiques et économiques ont entamé des mutations dans les sociétés dont ils ont la charge : les villes ont été isolées de leur banlieue, laissées aux mains de clans plus ou moins affiliés aux pouvoirs en place. Mais ces zones sont devenues des zones de non-droit où violence et pauvreté règnent, tandis que les plus riches sont retranchées dans les coeurs des villes.

Mais, suite à l'attentat d'Ibiza, décision est prise de trouver des abris plus sûrs encore pour ces élites possiblement menacées par la révolte des sans-grades, victimes de la famine et de la déchéance matérielle. Une vaste opération d'exode des plus riches familles vers les îles du monde entier où elles pourront vivre dans le luxe sans risque d'être confrontées aux velléités de révolte et aux risque de voir leur statut remis en cause (et avec lui, leur richesse et leur pouvoir).

C'est dans ce contexte plus que tendu que, début 2028, Stéphane Larrieux, patron d'une entreprise privée de sécurité, secteur en pleine expansion en ces temps incertains, est contacté par la famille Dupont-Raynal, dont le fils, William, trader prometteur, a soudainement disparu. Alors que Stéphane commence tout juste à se pencher sur cette enquête, se produisent des faits divers retentissants (ou qui le seraient si l'information n'étaient pas si étroitement contrôlée, désormais...).

Un banquier puis quelques jeunes loups de la finance et encore d'autres nantis sont assassinés de façon spectaculaire, des crimes à la forte portée symbolique, d'autant plus marquée que les indices laissent penser à l'action d'un groupe révolutionnaire...

La commissaire divisionnaire Estelle de Jong, qui travaille au sein de la section antiterroriste d'Europol, la nouvelle police européenne, se retrouve chargée de cette enquête, un cadeau empoisonné tant la pression politique s'annonce forte sur ce dossier...

Bien vite, les enquêtes de Stéphane et d'Estelle vont se rejoindre et les deux anciens époux (ils ont divorcé 4 ans plus tôt, restent chacun très discrets sur cette union, inconnue des collègues d'Estelle, par exemple...) vont unir leurs forces et leurs moyens pour enrayer cette vague de meurtres.

Malgré des objectifs et des motivations très différentes au départ, l'ampleur de l'enquête va vite les rapprocher. Mais peuvent-ils se douter alors que cette série de meurtres n'est peut-être que la partie émergée d'un iceberg bien plus complexe et effrayant qu'il n'y paraît...

Surtout que, cette fois, le Titanic pourrait bien être le monde tel qu'on le connaît...

Certes, on comprends d'emblée que, si Yves Corver choisit le roman d'anticipation à court terme, c'est pour dénoncer les abus actuels et non maîtrisés d'un ultra-libéralisme débridé. Mais pas incontrôlable, comme on pourrait le croire au moment où j'écris ces lignes, car, dans "Genèse de l'enfer, c'est une véritable caste qui s'est installée au sommet de la société européenne.

L'écart entre riche est pauvre n'est plus un fossé mais un gouffre absolument impossible à combler, les politiques sont soumis aux puissances financières, commerciales et industrielles et l'objectif est bel et bien de perpétuer ad vitam aeternam ce modèle sociétal. L'ascenseur social n'est plus en panne, il a carrément été démonté et sa cage, rebouchée...

La séparation entre une oligarchie omnipotente et soucieuse de son confort et un population affamée, appauvrie, désespérée et en forte ébullition, est officialisée, matérialisée, même, dans une société non plus à deux vitesses mais à deux voies parallèles (et donc, dans l'impossibilité de se rejoindre un jour...).

On comprend, dans ces conditions, que ça chauffe, et sévèrement, en ces années 2027-2028... Mais j'ai été  peu convaincu par le contexte installé par Yves Corver, que j'ai trouvé partial, simpliste et manichéen (mais ça reste mon avis, je ne suis pas un adepte des complots quels qu'ils soient)... Pour autant, l'histoire se développe bien dans cet univers incroyablement contrasté, entre oasis de richesse et champs de bataille urbains, malgré encore quelques ficelles un peu commodes (comme les liens qui unissent les deux principaux protagonistes...).

Plus que jamais, les ravages d'une spéculation (en l'occurrence, je devrais même dire de spéculations, au pluriel) dérégulées et visant à un profit maximal par tous les moyens, mènent la société européenne droit dans le mur. Stéphane lui-même a laissé bien loin derrière lui ses idéaux de jeunesse anti-capitalistes pour devenir un notable, très à l'aise matériellement, ne dédaignant pas spéculer lui aussi, et ne souhaitant pas une seconde renoncer à ce confort matériel, même s'il repose indirectement sur un socle d'injustice et sur une activité qui recourt souvent à la violence, et à la violence envers les plus faibles...

Cela ne l'empêche pas de rester plus sensible que la moyenne au monde qui l'entoure, dans une Europe qui a définitivement basculé dans le matérialisme extrême. Mais, la disparition de William Dupont-Raynal, conjuguée aux retrouvailles avec ses vies passées (pardon pour cette expression un peu vague, mais je ne veux pas en dire trop...), va modifier son optique, le rendre mon individualiste, mon égoïste, l'obliger à envisager un avenir à plus long terme.

Même si jamais il ne renie ni ce qu'il est devenu, ni le système dans lequel il évolue, cette enquête va profondément le changer, lui faire prendre conscience des responsabilités qui incombent à un être humain et pas à une vulgaire machine à engranger les millions.

Estelle, elle, est directement confrontée à l'horreur. Elle devrait y être habituée, mais cette série de meurtres-là, et tous les évènements qui y sont liés directement ou indirectement, vont l'ébranler. En tant que femme, en tant que mère. Bien que dépositaire de l'autorité (enfin de ce qu'il en reste), elle va sentir la peur s'insinuer dans son esprit. Pas celle de perdre son statut, car elle n'appartient pas elle-même à la classe des nantis, mais de perdre ceux qu'elle aime, de perdre sa vie, tout simplement, la chose la plus importante au monde.

Plus elle avance dans son enquête et plus le fil d'Ariane qu'elle remonte lui laisse envisager le pire et l'urgence de se mettre à l'abri... Mais elle ne maîtrise rien, ni de son enquête, qui peine à sortir de l'impasse, ni de sa mission, la violence alentour se répandant comme un traînée de poudre, ne de sa vie, finalement.

Tout autour d'eux pullulent les malhonnêtes, les intéressés, les cupides, recréant ailleurs les microcosmes viciés qui ont abouti à la catastrophe : on ne fait pas qu'exproprier sur les îles convoitées, on expatrie carrément les populations autochtones pour faire place propre aux migrants, on construit à tout va sans se soucier de détruire des littoraux magnifiques, on spécule sur ces chantiers, on exploite pour les faire avancer,  on se sert généreusement au passage... Argent et pouvoir étendent leur corruption aux paradis terrestres telle une rouille indélébile.

Mais, parmi les aspects originaux de "Genèse de l'enfer", il y a sa fin (que je ne vais pas vous racontez, rassurez-vous), une fin ouverte, où l'on découvre les véritables objectifs des élites, où les réponses sont assez elliptiques et où le sort des personnages que l'on a suivis tout au long du roman est remis entre nos mains de lecteurs...

Ou plutôt, à notre imagination...

Mais, une fin qui donne tout son sens au titre du livre.

4 commentaires:

  1. Pour information : L'auteur, Yves Corver, envisage d'écrire la suite de ce premier roman. C'est pourquoi cette fin s'avère ouverte.
    Amicalement.
    FXC

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  2. Merci pour cette information !

    Même sans suite annoncée, la fin et ce qu'elle suppose est réussie, juste histoire de bien nous mettre mal à l'aise.

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  3. Voire même de frôler le malaise ;)

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  4. Forcément, où serons-nous dans 15 ans ? Sur une île, prêts à y partir ou... coincé sur un continent à feu et à sang ;-)

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