Cette citation est l'amer constat fait par Eytan Morgenstern, alias Morg, à la fin de sa deuxième aventure, dont nous allons parler quelques instants. Car revoici notre colosse découvert il y a un an dans "le projet Bleiberg" (aux éditions Critic et désormais disponible en poche chez 10/18), reparti en guerre contre les grands criminels de ce monde (et, notez-le bien, un troisième volet est déjà annoncé !!). Après les dérives nazies, David S. Khara envoie son héros sur la trace d'autres crimes de guerre impunis aux conséquences terrifiantes dans "le projet Shiro" (aux éditions Critic).
Alors que Morg compte bien se reposer un peu, histoire aussi de soigner quelques blessures contractées à la fin de sa précédente aventure, il va vite déchanter... A peine a-t-il eu le temps de remettre Elena, la seule autre personne survivante, à part lui-même, à avoir reçu le traitement de Bleiberg, aux mains du Mossad... La jeune femme, qui semble être son parfait négatif, sur le plan du caractère et des convictions, lui a donné bien du fil à retordre et n'a cesse de clamer son envie de le tuer...
Mais pas de repos pour le guerrier. Tout juste rentré chez lui, il apprend la disparition d'Eli, son supérieur et son ami. Celui-ci a été enlevé par le mystérieux consortium, dont Morg a démantelé une des principales installations à la fin du "projet Bleiberg". Mais, à la grande surprise du colosse, ce qu'on lui propose en échange de la libération de son ami ne ressemble pas vraiment aux habituelles orientations (pas franchement philanthropiques) du consortium.
A lui de retrouver ceux qui ont volé, dans un laboratoire ultra-secret, et censément ultra-protégé, une arme bactériologique terrible, arme qui vient de faire ses preuves dans le métro de Moscou et dans un village de République Tchèque décimé jusqu'au dernier de ses habitants. Toutefois, Morg devra dans cette mission aussi spéciale que personnelle, composer avec une condition supplémentaire : faire équipe avec Elena, qui servira, une fois tout rentré dans l'ordre, de monnaie d'échange pour récupérer Eli sain et sauf.
Voilà donc notre improbable duo de tueurs implacables et légèrement surhumains, qui se détestent cordialement l'un l'autre, obligés de s'allier pour enquêter sur ces attentats meurtriers. De la République Tchèque au Japon, ils vont remonter la piste d'une vengeance qui prend sa source plus d'un demi-siècle plus tôt.
Difficile de vous en dire plus sur l'enquête en elle-même car l'intrigue est assez "ramassée" et il faut vous laisser lire "le projet Shiro". Mais, sachez que Morg va tout de même se retrouver dans son élément : lui, l'impitoyable chasseur de nazis, va de nouveau côtoyer "l'oeuvre" morbide de criminels de guerre sans remords.
"Le projet Bleiberg" avait remporté un vrai succès, poussé par certains acteurs médiatiques, et, s'il avait été pour moi une découverte, il n'était pas le coup de coeur vanté haut et fort par beaucoup. Pas mal de petits défauts ne m'avaient permis de voir dans cette première aventure autre chose qu'un début très prometteur. J'avais été bien plus emballé par l'autre roman, plus gothique, de David S. Khara, "les Vestiges de l'Aube" (dont j'attends également la suite avec impatience...).
Mais, avec "le projet Shiro", là, je suis comblé. Ca va à toute vitesse, les fioritures inutiles du premier opus ont été gommées, la partie historique vient s'intégrer au poil dans l'histoire, malgré des époques et des lieux différents, les scènes d'action sont efficaces et plutôt de facture originale grâce à quelques idées intéressantes qui évitent d'avoir en main un énième thriller synonyme de boucherie. On a beau être assassin, on peu avoir de l'éthique ! Et c'est le cas de Morg, ce qui en fait un personnage à part, je trouve, et terriblement attachant (sans doute aussi du fait de son histoire personnelle si... étrange).
Le duo entre le géant débonnaire mais coriace et la jeune femme, superbe mais teigneuse et impitoyable, fonctionne parfaitement. Ils sont si différents, leur animosité est si palpable que l'on prend plaisir à les voir mettre leurs propres différends de côté pour s'allier le temps d'empêcher un nouveau massacre de se produire. Et, bien sûr, on s'attend à voir cette relation évoluer, mais là encore, Khara sait ménager ses effets (et, sans doute, préparer le troisième volet de sa série...).
Et puisqu'on évoque les personnages de ce roman, mention spéciale à Branislav, ce journaliste tchèque, témoin accidentel de l'attentat perpétré dans son pays. Il va devenir un allié aussi utile que naïf et maladroit de Morg et Elena. Garçon timide et introverti, plus spécialiste de foot que de terrorisme international et profondément gentil, il se retrouve embarqué dans cette galère qui le dépasse complètement... Mais, j'ai trouvé qu'il apportait une touche de fraîcheur dans une première partie à l'atmosphère très lourde et chargée de menaces diverses. Un vrai second rôle, pas absolument essentiel dans l'histoire (quoi que...) mais dont on se souvient.
Venons-en au coeur de l'histoire, aux questions morales et politiques qui sous-tendent ce roman, qui, comme "le projet Bleiberg", mêle épisodes historique et action contemporaine. Bleiberg évoquait la démence des médecins nazis et de leurs expérimentations. Avec Shiro, on reste dans la question scientifique et de l'expérimentation humaine. Mais dans un cadre et des objectifs somme toute assez différents.
Autres différences avec Bleiberg : le théâtre des opérations, qui quitte l'Europe pour l'Asie, et les horreurs commises là-bas par les Japonais, mais aussi la question du traitement réservé aux criminels de guerre à partir de 1945. Ou comment les Nations vainqueurs, et surtout les deux superpuissances américaine et soviétique, se sont partagées les dépouilles des pays de l'Axe, récupérant les forces vives qui pouvaient leur être utiles sans s'embarrasser de questions de justice ou d'éthique.
Bien sûr, on connaît les procès fleuves de Nuremberg ou de Tokyo, mais combien de scientifiques, tout aussi coupables de crimes de guerre monstrueux que les dirigeants et officiers qui furent condamnés lors de ces évènements soigneusement mis en scène, ont-ils échappé à toute sanction pour intégrer des laboratoires américains ou soviétiques afin d'y dispenser leur précieux savoir ?
Voilà ce que Khara met en avant dans ce "projet Shiro", où les effets néfastes de la "realpolitik" qui suivit la chute de l'Axe se font ressentir de nos jours. En tout cas, pour ce qui concerne la partie historique. Une époque où la folie de certains hommes a engendré le désespoir d'un immense nombre d'autres hommes...
Mais le constat que Khara fait de nos sociétés contemporaines, n'est guère plus reluisant... Une société droguée à l'image et à l'émotion instantanée, mais à la mémoire très courte et aux capacités de concentration quasiment nulles. A tel point que, lorsque l'on veut à tout prix faire parler de soit, il faut savoir se montrer prêt à tout, y compris au pire. Même lorsque l'on défend une cause juste.
Et voilà comment le désespoir engendre la folie...
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