L'hiver est bien doux, cette année, alors, pour retrouver quelques sensations de saison, pour frissonner, entendre crisser la neige sous ses pas mais surtout découvrir des paysages magiques et une ambiance propice à une histoire très noire et pleine de rancoeurs tenaces, en route pour les Pyrénées, cadre d'un premier roman qui se laisse agréablement lire... Un roman sobrement intitulé "Glacé" et signé par Bernard Minier (en grand format chez XO), un auteur qui connaît bien ces montagnes pour être lui-même originaire des Pyrénées...
En ce froid hiver 2008, à quelques jour de Noël, la paisible ville de Saint-Martin-de-Comminges va connaître un drame peu ordinaire... Alors qu'ils montent par le téléphérique jusqu'à la centrale hydroélectrique située dans la montagne, à plus de 2000 mètres d'altitude, des ouvriers découvrent, stupéfaits, un corps suspendus au portique du téléphérique. Pas le corps d'un homme, celui d'un cheval...
L'émotion est grande devant la barbarie avec laquelle l'animal a été tué, mais justifie-t-elle pour autant qu'on fasse appel à la criminelle ? Voilà ce que se demande le commandant Servaz, à qui cette enquête inédite a été confiée. Alors qu'il enquête sur l'assassinat d'un SDF probablement par des adolescents, le voilà obligé de courir après un tueur de cheval...
Mais, une fois sur place, Servaz va mieux comprendre l'empressement de ses supérieurs à l'envoyer au pied des montagnes pyrénéennes pour résoudre ce "crime" : le cheval appartient à Eric Lombard, descendant d'une famille de notable de Saint-Martin et devenu un homme puissant à la tête d'un groupe industriel multinational.
Mais, ce qui va frapper Servaz, à peine arrivé, c'est la tension qui règne dans cette vallée encaissée, surplombée par ces montagnes aussi majestueuses que potentiellement hostiles. Que dis-je, la tension ? La peur. Mais peur de quoi ? Est-ce la présence voisine d'un établissement psychiatrique unique en Europe qui explique une telle inquiétude ? Car, derrière ces murs, dans ce bâtiment peu accueillant, sont détenus certains des criminels les plus dangereux du moment...
Un établissement où tout est loin d'être aussi irréprochable que ses responsables voudraient le faire croire à l'extérieur. C'est ce que va découvrir très vite une nouvelle psy, originaire de Suisse, Diane Berg. Une jeune femme qui a bien du mal à s'habituer à ses nouvelles conditions de vie et de travail dans un lieu où le personnel lui paraît presque aussi bizarre que les détenus... Elle aussi, sans lien avec ce qui se passe à l'extérieur, va mener sa petite enquête pour essayer de mieux comprendre où elle a mis les pieds.
Bien sûr, eu égard aux conditions terribles du meurtre du pur-sang, Servaz et tous ceux qui ont eu accès à son cadavre, ne peuvent s'empêcher de songer à l'acte d'un de ces fous furieux, enfermés là-haut. Mais, Servaz, malgré son jeune âge (il va fêter prochainement ses 40 ans) est un flic à l'ancienne. Hypocondriaque, un poil trouillard, disons-le, en tout cas plus porté sur l'intuition que sur l'action, Servaz entend bien explorer toutes les pistes avant de conclure peut-être trop vite à l'acte d'un criminel déjà connu...
Epaulé par Irène Ziegler, jeune capitaine de gendarmerie, et par son adjoint, Esperandieu, le joliment nommé, Servaz va entamer une enquête qui va le plonger tête la première dans cette froide région de montagne, accueillante aux touristes, mais repliée sur elle-même, terreau fertile aux secrets de familles, aux rumeurs, aux rancunes de longue durée, aux jalousies...
Et, même si Servaz veut se donner du temps pour mener ses investigations dans différentes directions, bientôt, c'est justement le temps qui va lui manquer. Car le nouveau corps qui est découvert, lui aussi pendu en pleine montagne, est celui d'un homme. Voilà qui change considérablement la donne...
Voilà donc un premier polar, car je me suis vraiment senti dans un roman à la Simenon, avec cette province étouffante et étouffée, cette météo qui rend la nature environnante hostile et les lieux peu accueillants et ces notables au bras longs, aux relations remontant à la cour d'école et qui, derrière leur statut social, ont bien souvent beaucoup à cacher...
Car, le point commun de tous ceux, qu'ils soient enquêteurs, témoins, suspects, qui gravitent dans cette enquête complexe où plusieurs histoires apparemment sans lien viennent s'entre-mêler, c'est le passé... Un passé marqué par des drames et qui influencent leur vie actuelle et les évènements violents qui se déroulent autour de Saint-Martin-de-Comminges. Difficile d'en dire plus sans dévoiler des éléments clefs de cette histoire... A part, évidemment, de ne pas trop vous fier aux apparences, car, comme Servaz, le lecteur est un étranger à ces lieux paradoxalement repliés sur eux-même alors qu'ils sont cernés par la nature et doit se faire aux us et coutumes de l'endroit.
Mais, et c'est aussi là que ce roman est intéressant, c'est qu'au parrainage de Simenon, il ajoute un clin d'oeil appuyé au "Silence des agneaux", avec la présence glaçante, c'est le cas de le dire, de Julian Hirtmann, ancien magistrat, arrêté dans un premier temps pour le meurtre de sa femme et de son amant. Au cours de cette enquête, on réalisera que derrière ce notable (encore !), se cachait en fait un tueur en série implacable et insaisissable.
Voilà comment il s'est retrouvé enfermé dans cet établissement pyrénéen, l'institut Wargnier, dont il est LE patient le plus célèbre... Et je dois dire qu'à la fois son rôle dans l'histoire et la nature de ses apparitions m'ont irrésistiblement fait penser au personnage d'Hannibal Lecter : raffinement, intelligence, culture, roublardise, perversité, sens stratégique... En tout cas, l'allusion fonctionne bien, ce personnage effrayant s'intègre parfaitement à l'histoire, offrant même aux enquêteurs (et à ceux qui voudraient voir cette affaire bouclée au plus vite) un coupable aussi idéal que commode.
Intéressant aussi de retrouver un enquêteur à l'ancienne, fonctionnant au flair et remontant les pistes grâce aux faits qu'on lui soumet ou qu'il découvre. On est loin des Experts en tous genres, leurs technologies aboutissant d'ailleurs à la découverte d'indices improbables et menant droit à des impasses.
Le lecteur, lui, se retrouve pris dans une espèce de jeu de Cluedo (sans colonel Moutarde, bibliothèque ou chandelier) où chacun pourrait bien avoir des raison de tuer et de réaliser ces macabres mises en scène. Et l'on se prend au jeu, on échafaude des scénarios possibles, on esquinte la présomption d'innocence en se disant soudain : "ça y est, je sais qui est le, qui sont les coupables !". Et on se trompe, forcément.
Car "Glacé" bénéficie d'une histoire bien menée, aux mécanismes implacables. Les différentes pistes mènent à des histoires différentes qui se rejoignent dans cette vallée, sorte de boîte de Pandore, ouverte une nuit d'hiver. Mais, ce qui fait le sel de ce livre, ce faisceau de pistes, devient aussi, à mes yeux, sa principale faiblesse lorsque l'heure du dénouement arrive.
Nous voici alors pris dans une avalanche de rebondissements, si je peux m'autoriser ce mot, qui me paraît adéquat étant donné le contexte pyrénéen. Quand il n'y en a plus, il y en a encore, car il faut bien trouver à chaque histoire sa chute, à chaque personnage la motivation de ses actes. Ca donne une fin "touffue", peut-être un peu trop, et un twist que j'ai trouvé un peu facile...
Pour autant, je ne vais pas bouder mon plaisir, j'ai lu sans m'ennuyer ces 550 pages et j'ai découvert, avec Servaz et ses acolytes, des personnages que j'ai envie de retrouver dans de nouvelles enquêtes (ce qui sera le cas je crois, et j'espère, avec le capitaine Ziegler aussi, s'il vous plaît, Monsieur Minier...), de les voir évoluer (d'autant que l'épilogue de "Glacé" nous laisse entrevoir des situations pas ordinaires à venir entre Servaz et Espérandieu) et de retrouver aussi ces montagnes, pourtant si belles, comme le chantait Ferrat, mais aussi effrayantes et propices aux intrigues.
"Glacé" est un premier roman, ne l'oublions pas. Nul doute que tout va s'affiner avec l'expérience et les retours de lecteurs qui, à l'image du mien, semblent en majorité favorables, avec quelques bémols bien pardonnables.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire