Non, il ne s'agit pas d'une fable méconnue de Jean de la Fontaine. En fait, il ne s'agit pas d'une fable du tout. Plutôt d'un cauchemar dont nous ne sommes pas forcément très loin. Ce cauchemar (mais en est-ce vraiment un ? Ca me semble un peu plus complexe, on y revient), ce cauchemar, donc, que j'ai résumé par ce titre lapidaire, est au coeur du nouveau roman de Jérôme Leroy, "le Bloc", sa première publication dans la mythique Série Noire (Gallimard).
En France, dans un futur proche, très proche, à quelques mois d'élections présidentielles décisives. Le pays a sombré dans le chaos, des émeutes aussi violentes que meurtrières se multiplient sur tout le territoire, les policiers n'hésitant plus à riposter de façon radicale.
Et voilà que, dans ce contexte plus que tendu, alors que les chaînes d'information continue affichent en permanence le décompte des victimes des émeutes, le président en place décide de proposer des négociations au "Bloc Patriotique", le principal parti d'extrême-droite : son soutien contre des portefeuilles ministériels.
Pour les dirigeants du parti, c'est une aubaine, l'occasion de mettre le pied dans la porte et de ne plus la laisser se refermer. Un accès direct au pouvoir que le Bloc entend faire fructifier : d'abord en obtenant une dizaine de ministères, dont certains régaliens, commencer à mettre en place une politique de fermeté (doux euphémisme...) qui séduira le peuple et montrera ses aptitudes à gouverner face à ceux qui déstabilisent le pays et, dans l'élan, conquérir la présidence lors du scrutin à venir.
Voilà pour le décor sinistre de ce roman noir.
Un roman qui met en scène deux personnages, deux amis que rien n'aurait pu rapprocher sauf une idéologie radicale comme celle du Bloc. D'un côté, Antoine Meynard, professeur, intello, cultivé, amoureux de littérature, issu d'une ville bourgeoise, Rouen, avec un grand-père résistant devenu communiste à la Libération ; de l'autre, Stéphane Stankowiak, dit Stanko, originaire du nord, d'un milieu ouvrier, celui de la sidérurgie, où le communisme se transmettait de génération en génération, un garçon qui a quitté l'école très tôt et est toujours resté en marge.
Deux points communs principaux leur ont permis de se rencontrer, de se lier d'amitié et de devenir quasiment inséparables : un goût prononcé pour la violence et un rejet de leur modèle familial. Pendant que Antoine a inculqué un certain savoir à Stanko, l'autre a permis à son ami de participer à des actions violentes pour canaliser ce besoin de violence.
Aujourd'hui, tous les deux occupent des fonctions importantes au sein du Bloc. Stanko est le patron du service d'ordre du parti, en tout cas pour son poste officiel ; car, sa fonction concerne également les actions clandestines musclées et les basses oeuvres du parti... Antoine est la plume du parti, celui qui trouve les formules qui font mouche, les slogans qui convainquent les nouveaux adhérents. Mais il est aussi et surtout le mari d'Agnès Dorgelles, la nouvelle présidente du Bloc, à la tête duquel elle a succédé à son père, le charismatique mais vieillissant Roland Dorgelles.
Mais voilà, aujourd'hui, alors que les négociations avancent entre le Bloc et le gouvernement, les chemins de Stanko et Antoine vont diverger. L'un va accéder au pouvoir et l'autre va mourir... Tous les deux connaissent cette situation, tous deux s'y résignent car c'est l'avenir du Bloc qui en dépend.
Cette journée pénible est l'occasion pour les deux hommes de tirer le bilan de leur vie d'homme qui se confond avec leur vie de militant d'extrême-droite, partis du bas de l'échelle pour arriver au sommet de la hiérarchie bloquiste.
Leroy nous propose un roman façon générique de la série "Amicalement Vôtre", avec les vies de ces deux hommes en parallèle, Stanko racontant son passé jusqu'à ce jour funeste et, petite subtilité, les chapitres consacrés à Antoine sont, eux, narrés à la deuxième personne (une particularité qui m'a rappelé un autre roman, "Tigre en papier", d'Olivier Rolin, dans lequel un ancien maoïste voyait sa vie de militant gauchiste racontée par un narrateur utilisant le tutoiement ; curieux parallèle, non ?). Un chapitre pour Antoine, un chapitre pour Stanko et ces parcours convergents et pourtant si différents se dessinent sous nos yeux de lecteurs.
Des parcours qui, par petites touches, font progressivement apparaître le panorama de 40 années d'évolution et de construction d'une mouvance d'extrême-droite, jusqu'à son "adoubement" comme parti de gouvernement. Leroy y mêle roman et évènements réels, légèrement modifiés, toutefois, et nous propose un roman à tiroirs où l'on voit que le Bloc est loin d'être un élément aussi monolithique que ne le laisse imaginer son nom. On a un parti gangrené par les courants, idéologiques et religieux, qui s'opposent parfois brutalement.
La force de Dorgelles fut de rassembler tous ces courants, mais l'âge venant, ainsi que quelques drames, le chef charismatique a perdu de l'influence, pris du recul et des fissures sont apparues... La marche sur l'Elysée ne s'est donc pas faite sans obstacle et, même en cette journée historique pour le Bloc, les dissensions et les guerres de clan menacent l'équilibre du parti.
A se demander comment il gouvernera, issue qui, sous la plume de Leroy, semble pourtant inéluctable (et sans gant de velours pour envelopper la poigne de fer...)... Mais c'est une autre histoire.
Voici le moment d'une première sur ce blog : mettre en lien un page biographique d'un auteur... En effet, Jérôme Leroy a un parcours assez complexe qui mérite qu'on s'y arrête, car il semblé, à mes yeux, influer sur ce récit...
A la fin de ma lecture, je ne savais pas trop quoi penser de ce livre. Roman noir d'anticipation ? Politique fiction ? Cauchemar ou fantasme macabre ? Ou encore alarmisme de bon aloi ? Je penchais tour à tour pour l'une ou l'autre de ces propositions.
Mais voilà, Leroy est né à Rouen et amoureux de littérature, comme son personnage d'Antoine. Il connaît bien le Nord, région d'origine de Stanko, pour y avoir enseigné, bref, j'ai eu le sentiment que l'auteur mettait beaucoup de lui dans ces personnages pour le moins antipathiques (à moins de partager leurs idées extrémistes...). D'autant que le paradoxe Leroy ne s'arrête pas là : ce communiste convaincu travaille pour des médias plutôt étiquetés à droite, se passionne pour les Hussards, auteurs de droite radicale, bref, brouille les pistes...
Attention, il n'y a aucune empathie pour l'extrême-droite et le parti que l'on reconnaît évidemment derrière le Bloc Patriotique. Mais, à travers ce roman, il me semble que Leroy essaye de comprendre comment tout un pan des classes populaires a migré ces dernières décennies du communisme vers l'autre extrémité de l'échiquier politique. Une forme de certitude que ce changement radical a suivi l'effondrement des valeurs traditionnelles qui constituaient la France éternelle et qu'on a foulées au pied, grosso modo, depuis l'après 68, quand, de la révolution avortée est née une société ultra-consumériste.
Je ne vais pas trop approfondir cette vision personnelle du livre, mais je pense que la clef du récit est là. Et surtout, je tire mon chapeau à Leroy car, même si on peut trouver qu'il force le trait parfois, il a le mérite de vouloir connaître son adversaire pour mieux le combattre au lieu de le diaboliser sans fin et de perdre en crédibilité. Je suis persuadé qu'on peut attaquer et déstabiliser l'extrême-droite sur le plan des idées, montrer que tout cela ne tient pas debout.
Du "Bloc", il ressort aussi que, pour un parti qui affirme se présenter au peuple "tête haute, mains propres", il cache bien des secrets, bien des côtés obscurs, bien des errances, parfois, et surtout bien des inimitiés en interne. Autant de choses qui, une fois le voile de la fiction levé, pourrait bien posséder un fond de vérité pas très reluisant et pas franchement rassurant...
Surtout à quelques mois de présidentielles où l'extrême-droite pourrait bien avoir un important rôle à jouer...
Sans le relier forcément à l'actualité, "Le Bloc" est un roman noir efficace, une descente macabre dans des bas fonds sur lesquels poussent des idées les plus dures, violentes, remplies de haine, autant de soi que des autres. Des idées qui meublent la paranoïa ou l'errance, qui permettent, en se regroupant, de se sentir moins seul face à un monde qu'on ne contrôle plus et qui exclut lui aussi à tour de bras.
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