jeudi 27 décembre 2012

"La mort va avec la guerre. La trahison va avec la vie".

J'aime beaucoup le roman de cape et d'épée, genre qui connaît ces dernières années un renouveau certain. Mais, le roman dont nous allons parler aujourd'hui, s'il pourrait parfaitement appartenir au genre de cape et d'épée, a toutefois une particularité qui en fait d'abord un roman de fantasy : l'irruption de dragons et d'un soupçon de magie dans un récit historique, rappelant furieusement les romans d'Alexandre Dumas. Avec "les Lames du Cardinal", premier volet d'une trilogie dont nous reparlerons bientôt, Pierre Pevel nous offre un savoureux cocktail qui fonctionne parfaitement et ne devrait effrayer ni les amateurs de romans historiques traditionnels, ni les aficionados des "Trois Mousquetaires, ni les fondus de fantasy.


Couverture Les Lames du Cardinal, tome 1 : Les lames du Cardinal


1633. La France vit sous le règne de Louis XIII, mais le Royaume est en réalité dirigé par le Cardinal de Richelieu. Et ce n'est pas une sinécure tant la France semble entourée d'ennemis prêts à tout pour faire chuter le pouvoir en place. Mais au-delà des monarchies voisines et des politiques en place, ce que Richelieu redoute par-dessus tout, c'est l'influence des dragons dans ces menaces... Car ceux-ci ont, semble-t-il, infiltrés la plupart des cours européennes et disposent d'un atout maître : la sorcellerie.

Certes, certaines espèces de dragons sont en vogue comme animaux de compagnie ou moyens de transport ailés. Mais d'autres, rongées d'ambitions et assoiffées de pouvoir, ont, grâce à la sorcellerie, pris forme humaine et, ayant ainsi rejoint les aristocraties européennes, ils tirent les ficelles, ne cessant jamais de renforcer ce pouvoir parallèle, en particulier au travers de la mystérieuse Griffe Noire.

Mais, pour arriver à leurs fins, les Dragons ne peuvent se contenter de ces manigances. Alors, ils usent et abusent des faiblesses humaines, en corrompant des personnages qui peuvent servir leur cause, soit en leur fournissant des informations en principe secrètes, soit parce qu'ils occupent des situations d'importance dans les milieux politiques, diplomatiques ou militaires.

Et il semble bien que la Griffe Noire, après avoir étendu son empire à travers l'Europe, ait jeté son dévolu sur le royaume de France, encore épargné jusque-là, sans doute grâce à la détermination de Richelieu de démanteler toutes les tentatives des dragons pour s'implanter à la cour de Louis XIII. Mais, cette fois, les nouvelles qui arrivent sur le bureau de l'homme fort du royaume deviennent alarmantes, au point que le Cardinal va devoir sortir de son ample manche un atout volontairement laissé de côté depuis 5 ans.

Cet atout, c'est le capitaine La Fargue, un officier blanchi sous le harnais, éprouvé par l'échec et la trahison endurés lors du siège de La Rochelle et resté en réserve des affaires de l'Etat depuis lors. A La Rochelle, La Frague était à la tête d'un petit groupe de combattants qui oeuvraient en secret au bon gré du Cardinal, pour accomplir des missions excessivement périlleuse. Leur qualité et leur habileté à réussir ces missions valut à leur petit groupe le nom de "Lames du Cardinal".

Mais voilà, lorsque La Fargue apprend que Richelieu veut reconstituer un groupe d'élite dissous depuis 5 ans, dans un contexte terrible, à propos duquel le lecteur ne saura que le minimum, il doute de parvenir à rassembler les Lames restantes, qui ont toutes repris une vie bien à elle et qui, marqués par les causes de la dissolution du groupe, risquent bien de refuser.

Pourtant, La Fargue va se montrer convaincant. Et, pour les plus récalcitrants, une lettre donnant ordre du Cardinal de rejoindre le capitaine sous peine de menus soucis, devrait suffire à les faire revenir à la raison. C'est donc relativement facilement que La Fargue parvient à reconstituer son groupe, malgré une certaine méfiance. Car, quel jeu joue Richelieu et qu'attend-il donc de ses Lames ?

J'entre maintenant dans la partie délicate des choses... En effet, Pevel s'amuse à brouiller les pistes, introduisant un nombre assez important de personnages dans son histoire sans nous dire d'emblée qui est qui. Autrement dit, il faut un certain temps pour découvrir qui est qui, qui appartient aux Lames et qui joue un autre rôle, qui est du côté du Cardinal et qui appointe auprès de la Griffe Noire. Certains semblent ne pas apprécier ce principe de narration, personnellement, je trouve que c'est l'une des plus grandes qualités du livre, car on doit se contenter d'hypothèses ou de présomptions et on est souvent surpris, en découvrant au final qui est qui.

Ajoutez à cela une propension générale à la trahison qui permet à des complots divers et variés de se fomenter, à des alliances de se nouer, parfois contre nature, à des rebondissements de se produire, à des périls de se profiler, etc. Pevel écrit d'ailleurs en substance que tout homme est loyal, du moins jusqu'à ce que les conditions de sa trahison soient réunies. Des conditions bien souvent sonnantes et trébuchantes, vous l'aurez compris...

Alors, difficile de vous parler de Marciac, de Leprat, de Malencontre, d'Almades, de Saint-Lucq, du Marquis de Gagnière, de Ballardieu, de Laincourt, de Savelda, sans oublier Agnès de Vaudreuil, la Vicomtesse de Malicorne ou Cécile Grimaux... Je risque d'en dévoiler trop, malgré l'envie qui me tenaille de vous dire un mot des traits remarquable de chacun d'entre eux... Et non, je ne parlerai pas, je suis incorruptible et la torture ne me fait pas peur !

Je me contenterai de vous dire qu'au milieu de cette énumération, se trouvent les Lames du Cardinal et les adversaires les plus farouches qu'ils seront amenés à combattre, au péril de leur vie, ainsi que certains acteurs clés de cette histoire, dont la religion, si j'ose dire, n'est pas tout à fait faite... Et, même si vous saviez qui se trouve de quel côté, cela serait-il suffisant ? Rien n'est moins certain, tant chacun a des zones d'ombre, des ambiguïtés. Tant le doute pèse sur la loyauté même de ceux qui paraissent être les plus probes...

Si je ne puis dire qu'une seule chose des Lames (sans les nommer, eeeeeeeh, non, toujours pas!), c'est qu'on y trouve des personnalités extrêmement différentes les unes des autres, tant sur le plan des caractères que des aptitudes et des talents. Ils n'ont en commun que leur courage et leur maniement exceptionnel de la rapière. Et, au final, on peut dire qu'à leur manière, ils illustrent parfaitement la fameuse devise : "Un pour tous et tous pour un", même s'ils ne sont pas forcément mousquetaires.

Un dernier mot sur les personnages (n'ont, n'insistez pas, vraiment... Lisez le roman !), c'est aussi à travers eux que Pevel rend hommage à Alexandre Dumas. Son Richelieu est délicieusement fourbe. Aucune de ses décisions n'est totalement désintéressée et, même s'il défend sans doute la cause de la couronne de France, on ne peut s'empêcher aussi de songer qu'il défend d'abord la position de Richelieu lui-même et du pouvoir qu'il a entre les mains. Ca vous rappelle quelque chose ? Sans oublier les "visites", parfois très courtes, de Rochefort, Terville et même d'Athos, qui créent un vrai lien avec "les trois Mousquetaires"

Oh, j'allais oublier Saint-Georges... Sur son rôle non plus, je ne m'étendrai pas, mais il est assez cocasse, dans une histoire où l'on se bat contre des dragons ou, au contraire, où l'on pactise avec eux, de retrouver un personnage portant un tel nom. Quand je vous dis que Pevel, en plus de brouiller les pistes, s'est bien amusé à élaborer cette histoire !

Même les missions des uns et des autres, sans même évoquer ce que Richelieu attend en définitive de ses Lames, gardent longtemps leur mystère. Un cavalier qui revient de Bruxelles et qu'on veut à tout prix empêcher d'arriver, un "sang-mêlé", comprenez un croisement entre un humain et un dragon, au regard étrange recherche un document dont on ne sait pas grand chose et, pour cela, doit faire libérer un homme des mains d'une bande de voyous, un chevalier espagnol venu se cacher en France semble poursuivi par un peu trop de monde pour que cette affaire soit honnête, etc.

Pevel innove surtout par l'irruption de la fantasy, mais joue volontairement avec tous les archétypes du roman de cape et d'épée, pas seulement signé Dumas, d'ailleurs. Les duels, le jeu, l'alcool aussi, sont présent, les traquenards, les héros sauvés in extremis par l'intervention bienheureuse du hasard, le tout agencé pour faire littéralement ressusciter un personnage qu'on croyait mort... Mention spéciale à deux éléments de fantasy qui m'ont bien plu : la ranse, maladie transmise à l'homme par les dragons et qui remplace avantageusement la petite vérole, et cette rapière toute blanche, taillée d'une pièce, de la pointe au pommeau, dans la dent d'un dragon et qui fait la réputation de son propriétaire où qu'il passe.

Ne passions quand même pas sur l'influence des films de cape et d'épée des années 1950 qui m'a semblé réelle, tant dans les scènes de combat à l'épée que dans les poursuites à cheval. Mais la scène finale, particulièrement spectaculaire, est l'apothéose réussie de ce roman et va bien au-delà des films avec Jean Marais ou Gérard Philippe. Elle est la preuve parfaite que le mélange roman historique/cape et épée/fantasy fonctionne parfaitement.

Tout est question de dosage, et lorsque l'on manipule des faits historiques, des personnages réels, forcément, cela nécessite un savoir-faire pour ne pas risquer que le mélange soit indigeste. Après quelques expériences de lecture dans ce genre de la fantasy historique, je trouve que ces deux ingrédients peuvent parfaitement et harmonieusement s'allier pour donner des romans qui tiennent la route.

"Les Lames du Cardinal" est venu renforcer cette conviction, la dose de magie et de dragon n'étant pas trop forte pour manquer d'écraser la partie historique. Que Richelieu ait un dragonnet domestique sur son bureau passe alors comme une lettre à la poste, et la scène finale que j'évoquais plus haut est, outre un passage plein de suspense, de rebondissements et d'effets spectaculaires, mais aussi une source d'émerveillement.

Jusqu'aux dernières lignes, on en apprend sur les différents personnages, l'envie de découvrir le deuxième tome (et le troisième, je n'en doute pas une seconde) est ainsi assurée par ces nouveaux éléments qui ne peuvent qu'éveiller la curiosité du lecteur. Pevel se joue de lui depuis le début en lui montrant ce qu'il a envie de voir et, tel un Deus ex Machina, il le déroute en faisant s'effondrer les quelques certitudes qu'il croit avoir acquises.

Et ce n'est pas cet épilogue final qui va arranger ça, lui qui nous laisse sur une énième révélation, et quelle révélation !, que nous sommes bien incapable d'interpréter... Aaaaaaaaaah, la frustration du lecteur qui voit la page blanche qui suit cette ultime révélation... Là encore, cette fin qui n'en est pas une et qui annonce pour le prochain livre de nouvelles aventures pleines de suspense, d'incertitudes, de nouvelles trahisons, sans doute, est directement issue de la tradition du roman feuilleton, dont Dumas fut l'un des maîtres.

Ne jamais laisser se relâcher l'attention du lecteur, toujours relancer l'action de peur qu'un trop long temps mort ne l'ennuie. Dans le genre, Pevel se montre d'une redoutable efficacité. Ses "Lames du Cardinal", se lisent d'une traite ou presque...


6 commentaires:

  1. Eh bien quel billet! S'il était possible de siffler par écrit tu aurais entendu le long sifflement que j'ai produit en te lisant ^^
    Bref tout ça pour dire que je n'hésiterai pas à découvrir cet auteur. J'aimais les films de cape et d'épée étant petite et puis j'ai lu "Les trois mousquetaires" aussi. La fantasy je découvre de plus en plus. Maintenant il me reste à goûter à ce mélange et à apprécier :)

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  2. Merci, C'era ! Je n'ai pas d'information sur une éventuelle sortie en poche de cette trilogie, mais ça ne saurait tarder, j'espère !

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  3. Un excellent billet en effet, si je n'avais pas déjà lu la trilogie, tu me donnerai envie de m'y plonger aussitôt ! De toute façon, une seconde lecture n'est pas pour me déplaire.
    La sortie poche du 1er tome est prévue en janvier chez Folio SF.

    Comme ça en passant, tu connais Les lames du roi de Dave Duncan ? J'aimerai bien tenter...

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  4. Merci pour le compliment et pour l'info sur la sortie en poche, qui en intéressera pas mal, je pense ! Non, je ne connais pas "Les lames du roi", je vais aller jeter un oeil tout de suite.

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  5. Un magnifique billet!!!!
    Il vient de sortir en poche...j'ai envie de laisser tenter...
    Surtout quand , il est évoqué La Rochelle, je craque!!!

    merci Drille.

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  6. Gros coup de cœur pour moi aussi ! J'avais oublié les quelques mots de la fin mais ton billet me les a fait relire ! J'y interprète pas mal de choses, en ce qui me concerne, mais on verra dans les prochains tomes n'est-ce pas ;) Je n'en dis pas plus, pour ne pas gâcher le plaisir des malheureux qui n'ont pas encore lu le livre : hop hop hop !!!

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