mercredi 11 décembre 2013

"Il n'y a que devant l'authenticité de l'oeuvre originale que la lumière apparaît".

Si je vous dis "alchimie", beaucoup, sans doute, vont songer à une pratique médiévale, à la pierre philosophale, au plomb changé en or, etc. Mais l'alchimie a toujours été d'actualité, ou presque, y compris dans une époque assez récente, au tournant des XIXème et XXème siècles, lorsque ésotérisme et spiritisme ont connu une mode. Voilà la période que Henri Loevenbruck a choisi de faire étudier à l'un de ses personnages fétiches, Ari Mackenzie, dans sa nouvelle enquête, "le mystère Fulcanelli" (en grand format chez Flammarion). Un thriller classique mais qui mérite la lecture pour la fascinante enquête parallèle qu'il propose, pour essayer de dissiper un mystère vieux de presque un siècle...





Voilà quatre années que Ari Mackenzie a quitté son poste de commandant à la DCRI pour vivre sa vie de solitaire blasé dans son coin. Un coin qui ressemble comme deux gouttes... de whisky, à un bistrot parisien où Ari a ses habitudes quotidiennes désormais... Comprenez qu'il s'y arsouille copieusement, dépensant l'essentiel de ses économies pour assouvir cette addiction et accentuer une pente qui pourrait, à ce rythme, se révéler fatale...

Jusqu'au jour où débarque dans l'estaminet montmartrois une vieille connaissance d'Ari : le brigadier-chef Cédric Radenac, de la Brigade des Enquêtes d'Initiative. L'homme voudrait l'avis d'Ari sur une de ses affaires, un cambriolage. On a apparemment volé un manuscrit d'une grande rareté chez un grand galeriste parisien, Giacomo Mazzoleni. Ce dernier, nonagénaire, a si mal vécu l'irruption chez lui qu'on l'a trouvé mort, sans doute d'un arrêt cardiaque...

C'est la fille du galeriste, Gabriella, qui a prévenu la police et a informé les enquêteurs de la disparition du carnet. Un simple carnet tout bête, sans valeur apparente, surtout au regard des nombreux ouvrages anciens, la plupart inestimable, qui garnissent la riche bibliothèque de l'appartement des Mazzoleni...

Pourtant, Gabriella insiste, elle est certaine que ce carnet a disparu, que son père ne s'en serait jamais séparé et qu'il faut que les policiers le retrouvent... Cette insistance est justifiée par l'identité de l'auteur des quelques lignes, tracées dans le carnet car on dit qu'elles seraient de la main d'un énigmatique personnage au nom étrange : Fulcanelli.

C'est ce nom qui a poussé Radenac a venir consulter Ari (tout à fait officieusement, car sa réputation auprès de son ancienne hiérarchie en fait un pestiféré...), dont il connaît la passion pour l'ésotérisme et son érudition pour tout ce qui touche à ce domaine... Bingo ! Sous ses airs cyniques et désabusés, Ari est ferré, le nom Fulcanelli a fait son effet...

Bien sûr, il ne croit pas une seconde que le carnet ait été écrit par Fulcanelli, mais il serait assez curieux de savoir ce qu'il contient, comme ça, pour voir... Alors, il va aider son ami, dans un premier temps, en tout cas, en l'aiguillant dans ses recherches... Et puis, il va carrément se lancer dans sa propre enquête, en parallèle de celle, officielle, menée par Radenac... Quant au partage des informations entre eux, eh bien, disons que le mot "aléatoire" les qualifie parfaitement...

Si Ari, ce grand sceptique, a ainsi décidé de sortir de sa retraite et de remiser la bouteille pour un temps, c'est d'abord parce qu'il n'a plus un sou vaillant et que Gabriella Mazzoleni lui a proposé une somme confortable pour retrouver la trace du carnet. Mais aussi parce que, quoi qu'il en dise, il est fichtrement curieux d'en savoir plus sur la provenance du carnet et son contenu...

Enfin, parce qu'il va apprendre dans le journal la mort d'un homme à Séville. La nature du crime, le timing des événements et surtout le lieu particulier dans lequel le crime s'est déroulé, une église, vont faire tilter l'ancien flic, que des années d'alcool et de désenchantement n'ont pas fait disparaître complètement...

Commence alors pour Ari une enquête aux allures de course poursuite jalonnées de cadavres, autant qu'une chasse au trésor. Et si Ari et Radenac ont du retard sur le possesseur du carnet, ils se disent que bien des réponses doivent se trouver dans l'oeuvre et dans la vie du mystérieux Fulcanelli, dont le nom pourrait faire penser à un mage, au sens le plus bizarre du terme...

Qui est Fulcanelli, alors ? Eh bien, on en sait rien ! Ou presque... On lui doit deux ouvrages, "le mystère des cathédrales" et "les demeures philosophales", tous les deux publiés à la fin des années 20 et traitant d'alchimie... Mais Fulcanelli est-il une personne de chair et de sang, un pseudonyme, un canular ? Toutes les pistes sont envisageables...

D'autant que ceux qui peuvent parler de Fulcanelli sont très peu nombreux, dont son préfacier et disciple autoproclamé, Eugène Canseliet, et son illustrateur, Julien Champagne... Et, concernant sa biographie, on connaît des dates de naissance, 1839, et de décès, autour de 1925, mais là encore, les éléments disponibles sont bien rares et sujets à caution, comme l'affirmation de Canseliet qu'il a croisé Fulcanelli à Séville dans les années 1950, alors que l'alchimiste aurait eu plus de 110 ans !

Comment croire dans ces conditions que Fulcanelli n'est pas un coup éditorial monté de toutes pièces, par exemple par le duo Canseliet/Champagne, pour faire parler des deux livres qu'ils ont respectivement préfacés et illustrés ? Depuis le dernier quart du XIXème siècle, l'occultisme, l'ésotérisme et l'alchimie étaient des activités en vogue, en particulier auprès des écrivains, les artistes et même certains scientifiques, comme Camille Flammarion, par exemple.

Pourtant, savoir avec certitude quelle est la nature de Fulcanelli, homme se cachant ou non derrière un pseudonyme ou invention sortie de l'imagination d'un ou plusieurs amateurs de pratiques alchimiques pourraient sans doute faire avancer l'enquête qui, près de 90 ans après sa mort présumée, le remet sur le devant de l'actualité...

C'est donc pour cela que Radenac va essayer de percer le mystère Fulcanelli, à partir des maigres renseignements que Ari a pu lui confier et de l'abondante documentation que cette énigme n'a pas manqué d'engendrer. A travers cela, commence une seconde enquête qui va nous transporter dans la IIIème République, auprès d'un certain nombre de personnages, connus voire très connus, envisagés exactement comme les suspects d'une enquête de police. Objectif : trouver celui qui serait le plus susceptible de s'être caché sous le pseudonyme de Fulcanelli...

C'est peut-être la vraie question que je me pose après la lecture du "Mystère Fulcanelli" : pourquoi ne pas avoir carrément écrit un roman à la Gaston Leroux dans lequel un Rouletabille revisité par Loevenbruck aurait cherché à identifier Fulcanelli ? Je crois qu'il y avait là matière à ce genre d'exercice de style...

Cela ne veut pas dire que je n'ai pas aimé cette enquête d'Ari Mackenzie, la partie thriller est très bien faite, mouvementée, pleines de rebondissements et avec une intrigue efficace. Mais j'ai été un peu frustré parce que je crois vraiment que le contexte historique global et la vie elle-même de celui qui pourrait avoir été Fulcanelli ont quelque chose d'incroyablement romanesque...

Je chipote, parce que je me suis bien amusé à retrouver ce personnage aussi agaçant qu'attachant, Ari Mackenzie... Et même, allez, j'ose le dire, il est le personnage central de ce livre, mais pas seulement parce qu'il mène l'enquête, mais parce qu'elle va s'avérer une quête initiatique à plus d'un niveau. Essayons d'expliquer cela sans trop en dire...

Je l'ai dit, si Ari n'est pas une épave au début du livre, il en prend sérieusement le chemin... Au pire, il va se retrouver à la rue, faute de rentrées financières, et le confort de son bistrot sera un lointain souvenir... C'est fraîchement qu'il accueille l'arrivée de Radenac lorsque celui-ci vient le voir. Mais celui-ci connaît le bonhomme et ses arguments vont faire vibrer la corde sensible d'Ari...

Le sésame Fulcanelli va remettre Ari sur les rails et son scepticisme, qui ne se dément pas pour autant, va peu à peu laisser place à une vraie curiosité... Sait-il d'emblée ce qu'il cherche ? Où et à quoi va le mener son enquête ? Je n'en suis pas certain, mais au final, c'est lui-même qu'il va trouver. La lumière va apparaître, pour reprendre la citation qui sert de titre à ce billet...

Je m'avance peut-être, mais cette enquête va faire sortir Ari de sa léthargie, lui rappeler qui il est et quelle est sa vocation... Certainement pas celle d'un pilier de bar vieilli avant l'heure et en voie de clochardisation... Mais celle d'un homme cultivé, curieux, passionné, épris d'une certaine forme de justice et avec aussi un côté voyou, disons-le...

Tout au long de ce roman, la goujaterie d'Ari est un plaisir de lecture, pardon Mesdames de dire ça... Sa gouaille, son sens de la repartie, son humour, mais aussi sa manière de piétiner les convenances et le politiquement correct sont une réussite, pourtant teintée d'une forte amertume... Mais les événements vont le remettre en présence de Lola, son ex, dont le rôle est assez important, et lézarder l'armure...

Mais, c'est bien Fulcanelli qui va lui montrer vraiment la voie à suivre qui, je pense, marquera le retour, lors d'une future enquête, d'un Ari requinqué. Pas encore au meilleur de sa forme, avec des cicatrices par complètement fermées, des faiblesses, un rejet des hiérarchies et de l'autorité, mais avec un nouvel élan... Je prends les paris, on verra bien !

Comment expliquer cette métamorphose, ou plutôt, cette transfiguration ? Par l'alchimie... Eh oui, cette pratique n'est pas qu'une variante de la chimie cherchant à réussir la transmutation des métaux vils en métaux précieux, par exemple, mais c'est aussi une philosophie qui, et évidemment, je me place dans l'optique de ses pratiquants, n'a pas pour principal objectif d'accéder au pouvoir, matériel, politique et au-delà encore, mais d'agir sur soi-même.

Je m'arrête là, mais j'ai été frappé par ce raisonnement en achevant le roman de Henri Loevenbruck, et plus particulièrement son épilogue... Oui, un thriller, forcément, c'est une intrigue, c'est de l'action, mais ce n'est pas que cela, et je trouve que de plus en plus de lecteurs oublient cela... Il y a du fond, et ce n'est pas à négliger : qu'essaye de nous dire cet auteur ? Rien n'est laissé au hasard et la mise en scène donne des indices au fil des pages...

De plus, et c'est également un petit jeu sympa à faire, Henri Loevenbruck a truffé son roman de références culturelles qui lui sont propres. On retrouve Georges Brassens, par exemple, habitué des livres de l'auteur, désormais... Mais il y en a d'autres, et je ne crois pas les avoir trouvées toutes, j'en suis même sûr, j'enrage, il me manque celle qui concerne Jack Mackenzie, le père d'Ari, autre personnage particulièrement haut en couleurs... Sans oublier un clin d'oeil appuyé aux libraires et aux librairies indépendantes...

Au final, la lecture du "mystère Fulcanelli" est divertissante sans être exempte de fond, bien au contraire. Et elle éveillera un peu plus la curiosité sur cet étrange bonhomme, quelle que soit son identité réelle, ce Fulcanelli, que je ne peux m'empêcher, complètement à tort, de visualiser comme un mage avec sa robe étoilée et son chapeau pointu... Oui, je suis parfois la proie des clichés les plus éculés...

J'ai honte...

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