vendredi 6 décembre 2013

"Une haie entre voisins préserve l'amitié" (proverbe français).

ATTENTION, CE BILLET CONCERNE LE DEUXIEME VOLET D'UN DIPTYQUE, IL EST PLUS QUE FORTEMENT CONSEILLE D'AVOIR LU "DERRIERE LA HAINE" AVANT CELUI-CI.

Souvent, en fermant un roman, on se demande ce que vont devenir les personnages qui viennent de nous accompagner pendant quelques jours, au fil de notre lecture. Sans doute certains auteurs ont-ils cette même nostalgie, parfois... Voici une suite, même si, souvent, ce mot est, à mes yeux, inadéquat, disons plutôt un roman qui reprend des personnages d'un livre précédent... Moi qui n'ai lu (mea culpa !) "Derrière la haine" que l'été dernier, je me suis précipité dès la sortie de "Après la fin" (en grand format au Fleuve Noir) pour voir ce que Barbara Abel avait réservé à la famille reconstituée dont elle nous avait fait vivre les drames... Pas facile de se renouveler dans ces conditions, mais pour moi, le pari est relevé avec brio, infirmant le proverbe, choisi avec malice, qui sert de titre à ce billet...





Huit années ont passé depuis les drames qui ont frappé les familles Brunelle et Géniot, voisins vivant dans deux pavillons mitoyens, simplement séparés par une haie. Désormais âgé de 15 ans, Milo Brunelle vit avec Tiphaine et Sylvain Géniot dans le pavillon où il a toujours vécu... Une famille presque comme les autres, sauf que l'enfant est au courant de ce qui s'est passé dans cette maison... Une vérité, pas la vérité...

La vérité vraie, si j'ose dire, ce sont les deux adultes qui vivent avec. Et cela pèse lourd... Voilà une vingtaine d'années que Tiphaine et Sylvain forment un couple uni. En apparence... La mort est venue bousculer le quotidien heureux de cette famille-là puis le conflit de voisinage s'est envenimé jusqu'à...

En obtenant la tutelle de Milo, peut-être ont-ils cru que le passé serait, si ce n'est effacé, au moins atténué. Or, ce passé les hante et la relation dans le couple s'est sérieusement dégradé sous l'effet de la culpabilité, comme le fer est altéré par la rouille. Le couple Géniot ne va pas bien, les tensions sont fortes entre ses deux membres...

Dans le pavillon d'à-côté, personne. La vieille dame qui a succédé aux Géniot quand ils ont choisi de s'installer dans l'ancienne demeure des Brunelle pour ne pas perturber plus encore Milo, vient de disparaître. On attend donc l'emménagement prochain de nouveaux occupants, juste derrière la haie, si loin, si proche...

C'est une femme en cours de divorce qui arrive, accompagnée de ses deux enfants, Inès, adolescente de 13 ans, et Nassim, 8 ans, dont elle a la garde alternée. Elle s'appelle Nora et elle s'est trouvé dans le pavillon voisin un havre de paix pour fuir un mariage en lambeaux... Reprendre sa vie en main, voilà ce que souhaite Nora plus que tout...

Difficile de s'ignorer quand on habite dans deux maisons aussi proches, les deux familles vont donc nouer des relations de bons voisinages, apprendre à faire connaissance, instaurer une certaine amitié, même... On suit ces découvertes réciproques, marquées, forcément, par la méfiance puis se réchauffant peu à peu...

Mais, je ne sais pas si ces pavillons mitoyens sont une espèce d'Overlook sorti droit d'un roman de Stephen King, s'il flotte sur eux comme une mystérieuse malédiction, s'ils ont été construit sur un ancien cimetière indien, non, je ne sais pas pourquoi ce lieu est voué à être le théâtre de drames... Difficile de vous en dire plus sur l'histoire elle-même, car il faut laisser découvrir les différents éléments qui vont venir obscurcir le ciel au-dessus de ce lieu et engendre de nouveaux drames...

J'avais été séché par "Derrière la haine" et ce dénouement complètement inattendu, mais aussi par la montée inexorable des tensions qui n'annonçait rien de bon... Pourtant, jamais je n'avais envisagé que cela finirait ainsi, avec ce côté très amoral, quelque part. En apprenant que Barbara Abel concoctait une suite, j'ai essayé de rester froid, neutre, impartial...

Je ne partais pas dans l'idée qu'une justice immanente allait frapper, que la foudre allait s'abattre sur ces pavillons maudits. Mais j'étais très curieux de voir comment la romancière allait goupiller son affaire pour reprendre le fil de son histoire. Première surprise : le temps a passé, huit années. Et, manifestement, il n'a pas tout effacé... Pire, la culpabilité, élément clé, déjà, du premier roman, a agi comme un acide, rongeant patiemment tout ce qui se trouvait à sa portée...

Deuxième surprise, la nouvelle famille qui s'installe. Dans sa composition, mais pas uniquement. Avec une donnée nouvelle à ne pas négliger : l'adolescence. Ce n'est pas une des thématiques majeures du roman, mais elle est un des liens qui va rapprocher les deux familles nouvellement voisines, avec des modalités différentes que les liens créés dans le premier roman...

En attaquant "Après la fin", je me suis fait la réflexion que le début du livre était très proche du début de "Derrière la haine". Mais, imperceptiblement, puis de plus en plus nettement, les situations divergent, tout simplement parce que Barbara Abel a instillé de nouveaux éléments ou des situations nouvelles intégrant des ingrédients déjà présents dans le premier roman.

Un exemple concret ? Oui, je ne vais pas vous parler de tous, car cela me forcerait à vous en dire trop sur l'intrigue. Alors, évoquons la culpabilité. Un de mes sujets fétiches, allez-vous finir par croire, tant je l'évoque à tour de bras dans nombre de billets... Mais pourtant, elle est là, cette culpabilité. D'emblée, puisqu'elle émane directement des événements relatés dans le premier roman.

Colère, paranoïa et jalousie ne sont jamais loin, prêtes à entrer dans le bal, par toutes les lézardes qui apparaissent dans les deux familles. La voilà, la véritable différence avec "Derrière la haine" : plus de familles heureuses et unies, c'est même le contraire. Chez les Géniot, les doutes affleurent, la question de Milo et le souvenir de ce qui s'est passé minent tout ; du côté de Nora, la relation conflictuelle avec son époux menace de dégénérer à chaque rencontre et l'on ne s'écoute plus...

L'harmonie, qui présidait au début du diptyque, tant dans chaque famille que dans la relation de voisinage, a bien du mal à reprendre le dessus. On la voit poindre un moment, parce que la politesse et une certaine sympathie la favorise, mais ensuite, elle est vite étouffée par les événements et par ce vilain hasard qui finit toujours par se mêler de tout, et surtout de ce qui ne le regarde pas...

Et ce hasard, il va avoir des conséquences précises sur la narration, avec un recours aux quiproquos... Autant, entre les Brunelle et les Géniot, tout était clairement établi et la guerre psychologique se déroulait en toutes connaissance de cause (ce qui ne veut pas dire qu'il n'y avait pas de malentendus ou de mauvaise foi), autant, cette fois, l'ignorance de Nora de la vie passée de ses voisins va conditionner beaucoup de choses... C'est redoutablement efficace...

Encore une fois, Barbara Abel parvient à faire monter la tension petit à petit, faisant franchir à ses personnages des points de non retour jusqu'à ce que l'étincelle soudaine mette le feu aux poudres... Ils sont plusieurs, en fait, ceux qui vont jouer avec les allumettes. Mais, c'est encore un duel entre deux femmes, deux mères, que met en place Barbara Abel.

Avec des contextes sensiblement différents de la dispute qui dégénéra entre Laetitia Brunelle et Yiphaine Géniot. Je ne peux toujours pas entrer dans les détails, encore une fois, mais il y a quelque chose d'instinctif, d'animal, chez ces deux femmes, pour protéger le clan, la meute, des intrusions extérieures, synonymes de danger potentiel...

Il y a aussi, chez l'une comme chez l'autre, une profonde tristesse et une grande solitude. Là encore, les contextes ne sont pas les mêmes, mais elles sont toutes les deux en grand questionnement à propos de leurs couples qui battent de l'aile. Et cela aussi, c'est fondamental dans tout ce qui va se passer par la suite.

Reste, et j'y reviens, inlassablement, la façon dont Tiphaine et Nora vont gérer leur culpabilité respective.Tiphaine est confite dans la sienne, huit ans qu'elle fait avec, bien loin du côté froidement calculateur découvert dans "Derrière la haine", et là, ça devient de plus en plus difficile à assumer, de plus en plus compliqué de faire comme si, de jouer à la famille parfaite qu'ils ne sont pas, de mentir ouvertement à Milo...

Nora, elle, va apprendre à la découvrir, sa culpabilité. Ce n'est pas de bon coeur qu'elle a franchi le pas et quitté son mari, mais on sent bien que cela risquait de partir en vrille... Alors, ce n'est pas idéal pour les enfants, c'est vrai, mais pour elle, c'était sans doute vital. C'est ensuite qu'elle va se sentir coupable, comme si ce départ et cet emménagement avait été le moteur d'un inexorable engrenage... Et Nora n'est pas préparée à ce qui va se produire dans ces pavillons, encore moins à en affronter les conséquences...

Bien sûr, le fait qu'on soit dans la suite d'un roman au final époustouflant atténue un peu l'effet de surprise de cette suite. Ben oui, à malin, malin et demi, le lecteur que je suis, a été plus que jamais sur ses gardes au long de cette lecture pour ne pas être une nouvelle fois pris au dépourvu ! On a son amour propre !

Alors, non, je n'ai pas vu venir la fin, mais elle m'a moins laissé comme deux ronds de flanc, cette fois-ci. Ce qui ne veut pas dire que le livre est moins bon, non, c'est l'état d'esprit du lecteur qui l'est, car, forcément, impossible de faire abstraction de ce que l'on sait de par la lecture du premier livre. Mais on retrouve cette ambiance qui se crispe, s'ennuage, comme un ciel par temps d'orage, s'obscurcit de plus en plus pour finir dans une profonde noirceur...

"Après la fin", c'est le titre... Mais comme ce fameux silence qui suit Mozart et qui en est encore, après la fin des événements, ceux-ci demeurent dans la mémoire, marquent les acteurs, parfois même malgré eux, comme Milo. Or, ce qui se déroule sous nos yeux dans ce roman va encore laisser des traces. Il y a une autre fin, il y aura un autre après, et encore des blessures...

Oui, là encore, je me demande ce qu'il va advenir des personnages, comment ils vont vivre ce dénouement, traverser ses conséquences, encaisser les drames... Je vois à la fois certains non-dits se dissiper, mais d'autres apparaître grandir, enfler, s'enkyster à nouveau... Les adultes me paraissent encore pris au piège et j'ai peur que les enfants trinquent encore...

Quel talent a Barbara Abel pour créer, à partir de situations simples, anodines, des drames terribles, inextricables, irréversibles ! Rien ne prédispose ces gens aux drames, si ce n'est d'habiter dans ces deux pavillons mitoyens... Moi qui ne vit pas en pavillon, qui n'ai pas de haie mais un palier pour me séparer de mes voisins, je sors de mon appartement en rasant les murs et, s'il m'arrive de les croiser, je regarde les autres habitants de l'immeuble avec une fort suspicion, obligé !

Plus sérieusement, je n'ai eu aucune déception, bien au contraire, à lire "Après la fin", qui plus est, assez peu de temps après "Derrière la haine". J'ai retrouvé les mêmes qualités et les agencements narratifs nécessaires pour nous ramener dans cette "twilight zone" composée de deux pavillons mitoyens, juste séparés d'une haie. Du bon, du très bon roman noir qui montre que le simple travail sur la psychologie des personnages peut s'avérer aussi efficace pour scotcher le lecteur à son siège que les grands effets les plus spectaculaires.

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