jeudi 12 décembre 2013

"Pour attraper un sniper, il n'existe qu'un moyen : faire appel à un autre sniper".

Voilà un roman que j'ai dans ma bibliothèque depuis l'année dernière, que j'ai prévu de lire à plusieurs reprises et que j'ai repoussé autant de fois... Mais ça y est, je suis revenu vers Stephen Hunter, auteur américain de thriller, considéré chez lui comme l'un des meilleurs de sa génération et du genre qu'il a choisi... Pourtant, je ne crois pas qu'il soit chez nous le plus couru des auteurs de thrillers américains. Mais ses romans, mettant en scène des tireurs d'élite, une série dont le personnage central est Earl Swagger, l'autre série centré sur le fils de ce dernier, Bob Lee Swagger. Notre roman du jour, "le Sniper", en grand format aux éditions du Rocher, est une aventure du "fiston", si j'ose dire, Bob Lee, qui, une fois encore, va se retrouver seul contre tous à jouer les justiciers... Mais la solitude n'est-elle pas indissociable du boulot de sniper ?





C'est l'émoi, aux Etats-Unis ! Dans un laps de temps très réduit, des personnalités ont été abattues en pleine rue ou dans des lieux publics. Il y a la comédienne Joan Flanders (elle devrait vous rappeler quelqu'un, tout comme son époux, d'ailleurs), un couple d'universitaires, Mitzi Reilly et Jack Strong, et un auteur satirique, Mitch Greene.

Pas besoin d'être doué d'un don de divination pour repérer un lien entre ces 4 victimes : toutes ont été, dans les années 1970, des opposants radicaux à la guerre au Vietnam. Mais quarante ans ont passé, quasiment, et, si l'on sait que la vengeance est un plat qui se mange froid, on se demande qui a pu vouloir éliminer ces personnes, toujours très engagées à gauche, mais loin de la radicalité et de la subversion qui furent les leurs dans leur jeunesse...

Et puis, il y a le mode opératoire de l'assassin... Car, je l'ai dit, les meurtres ont eu lieu sans se soucier de laisser des témoins derrière soi. Et pour cause, l'assassin a agi à distance. Un sniper ! On se souvient de la panique créée à Washington par un tireur d'élite il y a une dizaine d'années, alors, même si les cibles semblent ne pas avoir été choisies au hasard, cela a de quoi réveiller de vieux démons...

Comme les assassinats ont eu lieu dans différents Etats, le FBI se saisit aussitôt de l'affaire et c'est Nick Memphis, lui-même ancien sniper, qui hérite de l'enquête. Une enquête rondement menée, car Monsieur Toutlemonde ne peut réussir un tel carton, il faut avoir une sacrée expérience de sniper pour tuer ainsi... Et c'est un tout petit monde...

Va apparaître très vite un nom : Carl Hitchcock. Il a été le sniper n°1 au Vietnam, un tueur redoutable de précision qui affiche près de 100 victimes reconnues au combat. Une star, dans son domaine, un héros comme les Etats-Unis sont capables de mettre sur un piédestal et de servir à toutes les sauces ou presque... Hitchcock, le héros des partisans de l'accès libre aux armes...

Mais voilà que le héros a été détrôné, un autre sniper, lui aussi vétéran du Vietnam, Chuck McKenzie, aurait en fait eu un tableau de chasse mieux garni... L'information vient de sortir et pourrait expliquer, avec son récent veuvage, que Hitchcock ait été frappé d'un coup de folie... Il aurait alors repris du service, abattu 4 anciens ennemis, à ses yeux, et repris son bien... Un mobile comme un autre pour un crime qui n'a rien de rationnel en apparence...

Carl Hitchcock, nouvel ennemi public, qui plus est d'une habileté diabolique pour envoyer son prochain ad patres... Alors, une fois le sniper localisé, on prend toutes les précautions pour intervenir en évitant un bain de sang et prendre Hitchcock vivant... En vain, Memphis et ses hommes le découvrent mort. Tout indique qu'il s'est suicidé, après avoir accompli sa sinistre besogne... Affaire classée...

Ou pas...

Memphis a des doutes, tout s'agence trop bien, se dit-il, et le mobile est faiblard. Alors, tandis qu'on le presse de boucler le dossier et donc d'affirmer officiellement que le sniper meurtrier est hors d'état de nuire, lui prend contact avec quelqu'un qu'il a souvent côtoyé ces dernières années, Bob Lee Swagger, autre sniper émérite, autre vétéran médaillé au Vietnam, autre connaisseur incollable de cette fonction si particulière.

A charge pour lui de reprendre les éléments de l'enquête avec son oeil de professionnel et de repérer d'éventuels indices oubliés ou de possibles incohérences qui pourraient ouvrir de nouvelles pistes avant que l'enquête ne soit close définitivement. Et Swagger, officieusement, va remarquer deux ou trois trucs, oh, des riens, des broutilles, mais qui le chiffonnent et le confortent dans son idée première : avec son sens de l'honneur, jamais un gars comme Carl Hitchcock n'aurait pu être l'assassin des quatre anciens militants anti-guerre...

Memphis est d'accord, mais il lui faut maintenant monter un dossier alternatif, quelque chose qui lui permette d'innocenter Hitchcock en trouvant une nouvelle piste sérieuse... Ce qui risque de prendre un peu de temps, même avec l'aide de Swagger, et du temps, Memphis n'en a pas, il se sait sur la sellette, sa hiérarchie, mais pas seulement, voudraient voir l'affaire du sniper close, et le plus vite possible...

Tandis que Swagger, qui a mis en évidence un indice capital, suit cette piste, Memphis se retrouve dans la tourmente. Manifestement, les pressions internes ne suffisaient pas, le voilà attaqué dans la presse, que dis-je, traîné dans la boue. Et si certains faits sont avérés (quoi que savamment détournés), d'autres ressemblent fort à une cabale parfaitement orchestrée...

Mais Swagger se fout de tout ça, il a toujours bossé en solitaire et rempli les missions qui lui ont été assignées. Il ne tire pas fierté de ce qu'il a fait, au contraire, mais dans la famille Swagger, ce don se transmet de génération en génération, ce qui n'a pas que des bons côtés et à valu aux Swagger leur comptant d'emm... euh, de soucis... Bob Lee en sait quelque chose...

Memphis paralysé par les polémiques, c'est Swagger qui doit reprendre l'enquête du début et se mettre à la place du véritable meurtrier afin de remonter sa trace. Une enquête dangereuse où il va falloir jouer serré, se montrer plus malin que l'autre. Une vraie partie d'échecs dans lequel le mat sera forcément fatal...

Je n'en dis pas plus sur l'histoire... Ok, certains aspects son assez prévisibles, mais le dénouement est magistral et, par rapport à ce que je viens de vous dire, il y a encore plein de rebondissements et de surprises, croyez-moi. Avec une manière de nous montrer la palette de compétences du sniper parfaitement intégrée à l'intrigue.

Et ce, pour une raison : tout repose sur un savoir-faire très particulier, que seule une longue expérience peut procurer. Car "le Sniper" est un roman, comme il y en a décidément beaucoup ces temps-ci aux Etats-Unis, sur le choc des générations, en particulier, ceux qui ont vécu cette décennie très mouvementée des seventies...

Une Amérique qui avait encore des idéaux, bons ou mauvais, peu importe, ce n'est pas à moi de juger, idéaux désormais disparus... Attention, ne soyons pas angéliques, la soif de pouvoir et d'argent étaient déjà là il y a 40 ans, mais ils ont désormais tout balayé, honneur, devoir, patriotisme, respect de la vie, etc.

Oui, Swagger a du sang sur les mains, il est un tueur, mais il en a conscience et le fait sans plaisir et sans autre but que des concepts aujourd'hui abstraits, voire obsolètes... Face à lui, rien de tout cela. Il doit combattre un adversaire sans foi, ni loi, si ce n'est celle du billet vert, et en très grande quantité...

Mais ce n'est pas le seul choc générationnel qui se manifeste dans ce roman. Et, pour évoquer cet aspect, je dois vous parler du, ou plutôt des titres. La VO et la VF. Commençons par la version française, "le Sniper". Au départ, je pensais qu'il s'agissait du sniper adverse, l'assassin. Et puis, de plus en plus, j'ai trouvé que le Sniper dont parlais le titre, c'était Swagger, parce que si l'autre n'est qu'un vulgaire assassin, Bob Lee donne une certaine noblesse ou éthique, je sais, ces mots sont délicats à employer en parlant d'une telle fonction, en tout cas il la pare désormais de justice...

Interprétation toute personnelle, attention. Mais renforcée par l'autre versant de ce thème : le titre en VO. En anglais, le roman de Stephen Hunter s'intitule "I, Sniper". Ce titre a deux sens, l'un que je ne peux vous expliquer, j'ai délibérément choisi de laisser sous silence cet aspect de l'histoire, mais qui joue sur les mots avec la formule littérale "Moi, le Sniper".

Dans cette seconde acception, on retrouve le même sens que celui du titre français, mais il introduit, dans la langue d'origine un nouvel aspect dont je vais essayer de vous parler maintenant avec précaution. Il s'agit de l'autre rupture entre Swagger et celui qu'il piste : la technologie. Entre l'époque de Swagger et la nôtre, la guerre et l'armement ont énormément changé, la technoogie ayant pris le pas sur l'humain...

Hunter (le bien nommé...) parle remarquablement de tous les aspects du métier de sniper. Evidemment, la relation à son arme est tout à fait fondamentale, ils doivent se fondre, l'arme doit devenir le prolongement de l'homme et être mue par son unique concentration, par laquelle le cerveau du tireur assimilera toute les données.

Swagger sait ajouter à la technique pure, à l'acquis, des qualités innées mais aussi une science du métier qui lui permet de connaître toutes les ficelles et de n'en négliger aucune au moment où il est indispensable d'avoir toutes les cartes en main, même celles qui relèvent, disons, d'un certain irrationnel... Appelons ça l'instinct, quelque chose d'animal, d'intrinsèque... Quelque chose qui en fait un meilleur tireur... Quelque chose qui lui permet de rester en vie...

Et quelque chose que la technologie ne maîtrisera jamais.

Mais, on peut aussi renverser le concept. Swagger, à sa façon, dans son côté soldat solitaire, déterminé, rendant la justice, perpétue le mythe du cowboy. On n'est plus au temps de l'impitoyable Far West, et pourtant, Swagger, et tous les snipers que l'on croise dans le cours du roman, ont ce côté-là. Oserais-je le dire ? Oui ! "Le Sniper" est un western moderne, voilà !

C'est quelque chose que l'on retrouve dans chacun des romans de Hunter que j'ai lus, y compris ceux mettant en scène Earl Swagger (un p'tit conseil lecture, au passage, du même auteur, "Sept contre Thèbes" est un très grand roman !). Mais un western mené au rythme du thriller, sans pour autant omettre la fin crépusculaire qui solde tous les comptes une bonne fois pour toutes...

Oui, voilà quelques années que je n'avais plus suivi les aventures d'un Swagger, père ou fils, voilà quelques mois que je repoussais la lecture de "le Sniper" pour diverses raisons, mais finalement je me félicite (un peu d'auto-congratulation ne fait jamais de mal) d'avoir franchi le pas. Bob Lee Swagger fait partie de ces personnages attachants alors qu'ils ne font rien pour l'être...

On a beau se dire que ce gars-là est l'un des tueurs les plus chevronnés qu'on puisse croiser, qu'il a des dizaines, peut-être des centaines de morts à son tableau de chasse, on le voit désormais agir pour la justice, sa vision de la justice, en tout cas, pour défendre un certain nombre de valeurs pour lesquelles il estime avoir risqué sa vie. Et peut-être, permettre ainsi à l'avenir, que d'autres ne se retrouvent pas dans sa position complexe...

Oh, je me doute que ce personnage ne plaira pas à tout le monde, pour ce qu'il a défendu et comment il l'a défendu. Mais, il fait partie de cette génération qui a connu l'enfer du Vietnam et en est ressorti marqué à vie... Avec les contradictions que cela implique aussi. Mais il faut prendre le roman de Stephen Hunter d'abord pour ce qu'il est, un thriller de qualité, sombre et violent, plein de questions aussi sur tout ce qui mine et fragilise la société américaine actuelle...

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