lundi 5 octobre 2015

"Le torero qui ne connait pas sa bête est assuré de se faire encorner" (Fred Vargas).

Ces temps-ci, mes voyages littéraires m'emmènent vers des sujets qui fâchent, qui portent à polémique, qui divisent profondément. Je ne les choisis pas pour cela, mais il est aussi intéressant de s'y frotter. Voici un thriller qui tourne autour de la tauromachie, je pense que vous l'avez deviné avec notre citation-titre. Mais, cette discipline, tant décriée, je le précise d'emblée, n'est pas le seul aspect de cette histoire qui vient, en outre, s'inscrire dans la lignée d'un précédent roman du même auteur, et nous emmène au Pays Basque. Après le fantastique "Mascarades", Philippe Ward nous propose "Danse avec le taureau" (aux éditions Wartberg), une enquête garantie sans boisson à la taurine, mais qui, soyez-en assurés, place le puissant animal au coeur de son intrigue. Un court thriller (160 pages, tout au plus) qui semble proposer une voie à suivre évidente, avant de nous emmener vers une alternative, bien plus surprenante.



Au début du mois de juillet 2012, à quelques semaines des traditionnelles fêtes de Bayonne, la ville se prépare fébrilement à accueillir aficionados et touristes, mais aussi opposants à la tauromachie, sous toutes ses formes. Même si la discipline est en crise, menacée, peut-être, l'événement reste un moment fort de l'année à Bayonne.

Mais, un événement va faire grimper la tension, en tout cas parmi les forces de l'ordre : la découverte d'un cadavre. Les circonstances du décès ne laisse aucun doute : il s'agit d'un meurtre. Et un meurtre qui ressemble fort à un rituel en lien avec la tauromachie, car le crime a été savamment mis en scène, histoire de marquer les esprits... Ou de lancer un message.

L'hypothèse menant à la piste tauromachique est encore renforcée par l'identité de la victime : Alain Larrezabal, connu dans la ville et dans tout le Pays Basque comme un spécialiste de la tauromachie. Il a d'ailleurs créé et dirigeait encore le jour de sa mort, une revue entièrement consacrée à cette discipline. Et l'homme était connu pour égratigner régulièrement les différents acteurs de la filière taurine.

Deux jeunes flics, Vincent Jauréguy et Stéphane Lenoir, sont placés sur l'affaire, qui dépasse largement ce à quoi ils sont habituellement confrontés. Alors, à la demande de leur supérieur, et à leur grand dam, au moins au départ, va leur être adjointe le temps de l'enquête une personnalité qui, justement, goûtait quelques jours de congé dans sa région natale.

Amaia Aguerre est une Basque pur sucre. Mais, lorsqu'elle a choisi de faire carrière dans la police, elle a pris ses distances avec la région, sans doute pour éviter de se retrouver dans des positions délicates, lorsque les questions politiques risquent de revenir sur le tapis... Elle a donc pris un poste à Lille, à l'autre bout du pays.

Là-bas, elle est devenue l'une des premières personnes en France à occuper un poste de "profileur", pour reprendre la formulation américaine en vogue. Autrement dit, elle s'est spécialisée dans l'analyse des comportements humains, ce qui doit lui permettre de dégager des pistes de recherche lors d'enquêtes sensibles. Et cette affaire de crime rituel, c'en est une, sans aucun doute.

Mais, chaque fois qu'elle le peut, elle revient chez elle, auprès de ses parents, restaurateurs, et de sa jeune soeur. Histoire de prendre un bon bol d'air basque, de retrouver le goût des spécialités locales et la chaleur d'une famille unie, malgré les différences qui existent entre Amaia et Lucie, sa frangine. Indispensable avant de repartir dans le Noooooooord...

Parmi les différence entre les deux soeurs, il y a justement la tauromachie. Les deux filles ont connu très jeunes l'ambiance des arènes de Bayonne et de la région. Mais, si Lucie est devenue une aficionada, qui continue à se passionner pour tout ce qui touchent à la discipline, Amaia, elle, n'a pas supporté ce qu'elle a vu et, sans militer contre la tauromachie, elle en reste éloignée.

Pourtant, c'est bien dans ce domaine qu'elle va devoir prêter son expertise, d'autant qu'il devient rapidement certain qu'un serial-killer est à l'oeuvre dans la région, s'en prenant à des adeptes de la tauromachie et suivant un mode opératoire identique, à quelques détails près, laissant Amaia et ses nouveaux collègues perplexes...

Et pourtant, le temps presse, le tueur agit avec un certain empressement, laissant passer peu de jours entre ses crimes. Sans oublier les fêtes de Bayonne qui approchent à grands pas... Il faut rester discret, pour éviter l'affolement, mais aussi trouver très vite le coupable, de peur qu'il n'essaye de réaliser un coup d'éclat lors de la manifestation...

"Danse avec le taureau", c'est une trame classique d'enquête autour d'un serial-killer mettant en scène de façon spectaculaire et imagée ses crimes. L'occasion de passer un bon moment de lecture, un divertissement qui vaut aussi pour l'invitation au voyage qu'elle nous propose au Pays Basque. La tauromachie n'est pas, et de loin, la seule dimension de cette histoire (en particulier, on mange drôlement bien, dans ce livre...).

Alors, oui, je le dis, parce que, certainement, il y aura, parmi les lecteurs de ce billet, des lecteurs que l'évocation même de la tauromachie révolte, il y a une scène se déroulant dans une arène, au chapitre 2. Mais c'est la seule de tout le roman et il s'y déroule des faits qui sont capitaux pour la suite de l'histoire qui nous est racontée.

Comme je le précise toujours, ce blog parle de livres et de ce que j'y lis, il n'est pas destiné à ouvrir des débats de fond sur les sujets qui sont abordés. Ce sera encore le cas ici, le roman de Philippe Ward ne visant pas à départager les amateurs de corrida et ceux qui s'y opposent avec virulence. Qu'on se le dise, je ne descendrai pas dans cette arène !!

En revanche, le romancier va utiliser ce clivage pour nourrir son intrigue. Il y a, et je ne porte aucun jugement, je ne fais que constater, une source potentielle de violence dans cette opposition, de plus en plus marquée ces dernières années. La manière dont sont assassinées les victimes mènent directement à l'activité tauromachique.

Faut-il y voir l'action d'une personne à ce point passionnée de tauromachie qu'elle en aurait perdu la raison, ou suivant un plan tordu en lien avec la discipline ? Ou, au contraire, châtie-t-on avec la plus grande des violences des personnalités proches des milieux tauromachiques, afin de promouvoir la lutte anti-corrida dans un débordement spectaculaire de violence ?

Naturellement, ce sont ces pistes que les enquêteurs suivent d'emblée. Dans une région encore marquée par les séquelles de la guerre politique entre indépendantistes et autorités espagnoles et françaises, la violence n'est pas inhabituelle. Mais cette mise en scène... Le mobile serait certainement la clé de cette affaire, à condition de le déterminer au plus vite.

Alors que "Mascarades", qui mêlait carnaval, politique, indépendantisme et magie dans un thriller fantastique qui faisait froid dans le dos, ici, on est dans une trame bien plus classique, sans aspect paranormaux. Et pourtant, alors que l'enquête progresse à petits, tout petits pas, d'autres aspects vont faire leur apparition.

Je l'ai dit plus haut, "Danse avec le taureau" (titre qui semble nous renvoyer vers le film multi-oscarisé de Kevin Costner, "Danse avec les loups") met en avant la figure et la stature du taureau. Je sais que c'est peu pour en convaincre ceux qui seraient les plus sceptiques sur le sujet, mais en dire plus serait dévoiler une trop grande partie de l'intrigue.

J'avais même choisi un titre tiré du livre, mais, j'ai trouvé que cela en disait un peu trop, d'une certaine façon, sur l'intrigue. Alors, je me suis lancé dans une (fastidieuse) recherche de citations... Pas facile, tant le sujet aiguise les passions contraires, mais j'ai fini par découvrir la phrase de Fred Vargas, tirée de son roman "Sous les vents de Neptune".

Pour être franc, je suis assez ambivalent sur cette phrase. Elle ne me convient pas tout à fait, j'aurais préféré une phrase mettant le taureau plus en valeur, mais je n'ai pas trouvé quelque chose qui me convienne. Mais, d'un autre côté, pour qui connaît un peu l'histoire de ce roman de Fred Vargas, eh bien, finalement, ce n'est pas si mal...

Terminons, si vous le voulez bien, en évoquant le personnage central, Amaia, dont j'ai parlé, jusqu'ici, de façon essentiellement factuelle. C'est une jeune femme qui a su se faire une place en tant que profileur. Pourtant, on sent bien, et la réaction des flics bayonnais vient renforcer cette impression, que cette fonction, son sexe et son âge peuvent vite devenir des handicaps. D'où un petit manque de confiance en elle qui la freine...

Amaia peut apparaître assez réservée, mais on l'imagine aisément sur la défensive, vu l'accueil frisquet qui lui est proposé... Et puis, enquêter dans ce Pays Basque qu'elle n'a pas fui, mais soigneusement évité, qu'elle connaît tellement bien, ce qui pourrait restreindre son objectivité, au moment de mettre en place ses schémas...

Ca, c'est pour la partie professionnelle d'Amaia. Il faut aussi reconnaître que ces vacances, qui la plongent dans cette ambiance familière, sont franchement gâchées par les événements. Et, concilier le boulot et les proches, c'est nouveau pour elle, puisque c'est ce qu'elle a réussi à éviter en filant à un bon millier de kilomètres de là...

Qualifier Amaia de mystérieuse serait un peu exagéré, je pense. Pourtant, ce retour aux sources va révéler quelques fêlures chez la jeune femme, pouvant également expliquer le choix de faire carrière loin de sa terre natale. En cela, elle pourrait rappeler l'inspectrice Salazar, découverte dans "le gardien invisible", de Dolores Redondo. Une jeune femme flic, profileuse, basque... et prénommée Amaia !

La dimension basque est, à mes yeux, l'un des aspects principaux de "Danse avec le taureau". Je ne sais pas si c'est le point de départ d'une série où l'on verrait évoluer Amaia, mais ce pourrait être intéressant. Il y a certainement, dans cette affaire, de quoi la faire grandir, de quoi la faire mûrir, de quoi, aussi, renforcer sa réserve. Mais certainement pas son attachement à la région.

Je sais bien que je la question tauromachique sera problématique pour certains qui feront l'impasse. Je respecte ça, mais ce n'est qu'un roman, qu'un thriller, pas un manifeste... Je ne crois pas qu'on soit influencé par ce livre dans un sens ou dans un autre, parce que tout l'intérêt est ailleurs : nous offrir quelques heures de lecture menées tambour battant, avec, à la clé, une dimension inattendu apparaissant au fil des pages, je n'en dis pas plus.

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