samedi 15 octobre 2011

"Un cannibale est un homme qui aime son prochain avec de la sauce" (Jean Rigaux)

J'essaye de varier mes plaisirs de lecture, de passer d'un genre à l'autre pour ne pas créer de routine et jouer sur les contrastes. Là, j'avais envie de me faire un peu peur, de me mettre sous tension, peut-être aussi de m'amuser avec un roman gore que je pourrais prendre au troisième ou quatrième degré. Pourquoi ne pas alors, me tourner vers un maître du genre horrifique, Mr Graham Masterton en personne. Son "Rituel de chair", paru en 1988 à l'origine, a été publié aux éditions Milady (donc en format de poche) en 2009, et je crois comprendre certaines des raisons qui ont pu pousser cette maison d'édition à proposer ce texte 20 ans après sa sortie.


Couverture Rituel de chair


Charlie McLean est un critique gastronomique consciencieux. Oh, pas un critique qu'on voit à la télé ou entend à la radio, pas un critique qui descend dans les palaces et les établissements étoilés. Lui, son domaine, c'est plutôt les endroits un peu miteux où s'arrêtent les représentants de commerce, dans des bleds paumés, au milieu de nulle part et d'une qualité souvent... aléatoire.

Pour cette tournée à travers la Nouvelle-Angleterre, en direction de Boston, Charlie à l'immense plaisir d'être accompagné par Martin, son fils de 15 ans. Père divorcé, Charlie a un peu délaissé le garçon et il se rend vite compte qu'ils se connaissent bien mal et que l'adolescent n'est guère motivé par ces retrouvailles.

Alors qu'ils ont fait halte dans un des restaurants que son père doit critiquer pour le magazine qui l'emploie (un repas bien médiocre...), la serveuse indique à Charlie un restaurant français qui serait, paraît-il, le meilleur de la région. Un endroit qui l'intrigue aussitôt car, malgré ses 15 ans d'expérience, il n'en a jamais entendu parler. Inexplicablement, son fils semble de plus en plus mal à l'aise mais Charlie est décidé, il doit absolument manger dans ce restaurant, même s'il ne s'adresse pas au public habituel de son magazine.

Et pour cause, il ne s'agit pas vraiment d'un restaurant mais d'une société gastronomique dont la majorité des riverains semblent, au mieux, ignorer l'existence, au pire, vouloir éviter à tout prix d'en parler. Une attitude qui ne fait que renforcer la détermination de Charlie, malgré l'angoisse croissante de Martin.

Mais voilà, n'entre pas qui veux au Reposoir, puisque tel est le nom de cet endroit macabre, qu'on croirait sorti de l'imagination d'Edgar Poe. Et, apparemment, Charlie n'a pas le profil pour rejoindre cette société bien mystérieuse.

Et pendant que Charlie s'entête, son fils s'éloigne imperceptiblement de lui. Jusqu'à ce que Martin disparaisse au cours d'une nuit. Pour Charlie, c'est évident, les responsables de cette disparition, ce sont ceux qui dirigent la société gastronomique. Mais dans quel but ?

Charlie doit alors tout mettre en oeuvre pour retrouver son fils et le tirer de là. Car, ce qu'il va bientôt découvrir ne peut que l'alarmer : derrière la façade du Reposoir et l'enseigne de cette société gastronomique, se cache en fait un culte terrifiant, dont le rituel repose sur un des pires tabous de nos sociétés occidentales : l'anthropophagie.

Mais comment faire, quand Martin semble être volontaire pour intégrer cette épouvantable secte, quand ni la loi, ni la force, ni la presse ne semble redouter, craindre ou s'inquiéter des activités de ce mouvement religieux ? Et, au final, l'obstination de Charlie ne va que lui attirer la haine des disciples et le mettre en danger. Une poursuite de plus en plus violente qui va obliger Charlie à quitter la Nouvelle-Angleterre.

Mais loin de renoncer, le père privé de la chair de sa chair, si j'ose dire vues les circonstances, va se lancer à corps perdu dans les moyens de sauver son fils. Et pour cela, il va se rendre en Louisiane, où se trouve le siège de la secte. Il n'imagine pas un instant que ce qu'il va trouver là-bas est encore pire que tout ce qu'il pouvait imaginer...

En ouvrant "Rituel de chair", je m'attendais à lire un roman "gorissime", peut-être grotesque, en tout cas très sanguinolent et à lire avec énormément de recul voire le sourire sardonique aux lèvres pour conjurer l'horreur. Mais, en fait, je me suis trouvé face à un thriller fantastique de facture assez classique, reposant sur le jeu de la proie et du chasseur et inversant les rôles sans arrêt.

Oui, il y a bien quelques scènes pour amateurs du genre, des scènes explicites d'anthropophagie, ce n'est donc quand même pas un roman à laisser entre toutes les mains. Mais, en dehors de la scène finale, je m'attendais à bien pire, eu égard à ce que je connaissais de Masterton. Je ne dirai pas que je suis resté sur ma faim, ça serait déplacé, mais on est loin du gore à la Tobe Hooper ou à la Evil Dead.

En revanche, je comprends pourquoi Milady a sorti ce roman 20 ans après sa publication : "Rituel de chair" évoque la montée en puissance d'un courant religieux fanatique et extrémiste capable de rester à l'abri des regards indiscrets, de "tenir" aussi bien les pouvoirs politiques, judiciaires que médiatiques, afin de poursuivre tranquillement son horrible "oeuvre", jusqu'au but ultime, censé redorer le blason de l'Amérique.

Au-delà de toute comparaison malvenue, étant donné l'activité principale de la secte imaginée par Masterton, on ne peut s'empêcher de penser à ces ultra-conservateurs arrivés au pouvoir avec l'administration Bush au début du XXIème siècle, dont les convictions extrêmes en matière religieuse ont eu de terribles conséquences sur le pays et sur toute une génération d'Américains. Dans la réalité, il est plus question de chair à canon que de garde-manger, mais le raisonnement de Masterton reste pertinent.

Car, on le voit au travers de Charlie et de son fils, Masterton nous décrit une société désenchantée, matérialiste, une société qui vit pour manger et non plus l'inverse, pour détourner cette fameuse réplique de l'Avare, une société qui s'est embourgeoisée au point de ne plus proposer d'avenir à ses jeunes générations.

Alors, ces "générations futures", que leur reste-t-il, si ce n'est le miroir aux alouettes d'une religion dévoyée, promettant un salut inespéré et capable d'imposer pour y arriver les rites et les préceptes les plus absurdes, voire dangereux ?

Un pouvoir de persuasion qui peut s'étendre aux notables, aux sphères de pouvoir, par des promesses de retombées inestimables. Naïveté et cupidité sont les deux mamelles de ce genre de mouvement, aux ambitions insatiables et aux leaders persuadés jusque dans leur folie, du bien-fondé de leurs actes.

D'un abîme à l'autre, on se laisse alors aisément mener, tels des moutons de Panurge destinés à l'abattoir, pour le coup... Et du désespoir provoqué par un avenir en forme d'impasse, on se retrouve propulsé vers un avenir apocalyptique, démentiel mais paré des beaux atours de l'espoir.

Et c'est ainsi qu'on déchante, quand on réalise, mais un pue tard, que sous un décorum grotesque qu'on croirait impossible à gober en temps ordinaires, les routes du paradis mènent droit en enfer...

La chair, humaine ou pas, ainsi rôtie aux feux de la Géhenne, devient alors bien moins appétissante...


3 commentaires:

  1. J'adore Masterton Graham un de mes auteurs favori. Je n'ai jamais lu ce livre mais dès que j'en aurais l'occasion.J'aime beaucoup Peter James et Dean Koontz.
    Bonne lecture
    straw

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  2. SI tu as l'occasion de te mettre "Rituel de chair" sous la dent, euh... sous les yeux, n'oublie pas de revenir ici en parler ;-)

    Et sois attentive, il y aura forcément, un jour ou l'autre, du Koontz et du James sur ce blog, car ce sont deux auteurs que j'apprécie aussi...

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  3. Sous la dent lool,sous les yeux oui plutôt ^^Je l'ai quelques part de ranger mais ej sais plus où ><.
    Je manquerais pas Koontz et James?
    En thriller j'aime beaucoup Ann Rule et Patricia MacDonald.
    Bonne lecture

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