vendredi 8 mars 2013

"Un peuple, c'est une bête qui se laisse mener par le nez, principalement les Parisiens" (Henri IV).

Je voudrais d'emblée confesser ma mauvaise foi concernant le titre de ce billet, qui n'a évidemment pas été choisi au hasard, vous le comprendrez vite. Mais, je trouvais qu'elle collait tellement bien à l'histoire du roman dont nous allons parler aujourd'hui qu'elle s'est imposée à moi, même si je n'ai pas vérifié le contexte dans lequel elle fut possiblement prononcée... Ce dont je suis certain, c'est qu'avec "Dans les griffes de la Ligue", de Jean d'Aillon, qui vient de paraître en grand format chez Flammarion, on a un roman difficile à étiqueter : voici un livre qui est à la fois un véritable roman historique, un roman d'aventures et un polar, même si le mot est un peu anachronique. Et si j'insiste sur l'aspect roman historique, c'est parce que Jean d'Aillon nous propose un passionnant éclairage sur une période que je connaissais mal, la période qui a vu Henri IV succéder à Henri III. Une succession qui s'avéra bien difficile, pour un monarque absolu de droit divin...


Couverture Dans les griffes de la Ligue


A l'été 1589, voilà plus d'un an que le roi de France Henri III a été chassé par le Duc de Guise de sa propre capitale, suite à la Journée des Barricades. Les guerres de religion, qui opposent depuis plusieurs décennies maintenant les catholiques et les protestants, continuent à diviser le royaume et le souverain n'est plus du tout populaire. Paris est aux mains de la famille de Guise, revancharde après l'assassinat du Duc, et de la Ligue, qui voue une haine féroce aux protestants mais aussi à Henri III, jugé trop tiède envers les Huguenots et leur chef, son cousin Henri de Navarre.

Voilà le contexte historique dans lequel s'ouvre "Dans les griffes de la Ligue" brièvement esquissé. En ce début août 1589, Henri III est à Saint-Cloud, hors de sa capitale, il a passé une alliance avec les armées protestantes de Henri de Navarre en vue d'assiéger Paris et de retrouver son trône. Une décision qui n'a pas renforcé sa cote auprès des Parisiens, qui ne jurent que par une foi catholique et romaine intransigeante.

Mais, ce début août va marquer un tournant terrible, lorsqu'un moine jacobin, Jacques Clément, manipulé par la Ligue, se rend à Saint-Cloud. Le frocard, comme on dit, se présente au château où siège le roi et prétend devoir le rencontrer pour lui montrer des lettres d'une importance capitale. Comme il est arrivé un peu tard, on lui propose de rencontrer le roi le lendemain, le 2 août, à la première heure.

D'ici là, il passera la nuit chez Jacques de la Guesle, procureur général du Parlement de Paris. Clément n'est pas le seul à loger chez le magistrat ; Gabrielle d'Estrées, jeune femme particulièrement ravissante, dit-on, a quitté sa Picardie natale pour retrouver auprès du Roi, son prétendant, le baron de Bellegarde, dont il est le Grand Ecuyer. Et comme elle ne peut passer la nuit ni à Saint-Cloud, ni rentrer à temps à Paris où elle pourrait loger chez une tante, elle aussi va prendre ses quartiers chez la Guesle.

La nuit passe et, le lendemain, Jacques Clément est introduit auprès de Henri III, il obtient même le droit de s'approcher du souverain. C'est alors qu'on entend un cri : "Méchant ! Tu m'as tué !". Les proches du roi interviennent, mais c'est trop tard, Clément a eu le temps de sortir un couteau et de le planter dans le ventre du Roi. Celui-ci a réagi en frappant son agresseur au visage et le blessant, avant que les chevaliers, entrés dans la pièce aux cris du Roi, châtient violemment le régicide.

Si le souverain va agoniser longuement, Clément périt sous les coups et son corps est défenestré... Même mort, il subira ensuite la sentence des régicides : l'écartèlement par les chevaux... En attendant, son corps a atterri sur un tas d'ordures, dans la cour du château. C'est là que tous vont voir celui qui a tué le Roi, celui dont on ne doute pas une seconde qu'il a été envoyé par la Ligue pour accomplir sa sinistre besogne, celui qui vient de plonger le royaume dans une incroyable crise de succession...

Tous, sauf deux personnes. Gabrielle d'Estrées et Olivier Hauteville, proche du Roi, malgré ses origines roturières. Il a su gagner la confiance de la cour par sa vaillance au combat et ses qualités d'enquêteur. Il a de plus, eu sérieusement maille à partir avec la Ligue et l'on sait pertinemment qu'il fera tout pour causer sa perte... Gabrielle et Olivier ont vu Jacques Clément, elle, la veille au soir, lui, quelques temps plus tôt, lorsqu'il le surveillait, quand la rumeur en faisant un régicide potentiel était arrivée aux oreilles de Henri III.

Chacun leur tour, sans se consulter, ils ne se connaissent d'ailleurs pas, Gabrielle et Olivier vont voir la dépouille défigurée et sanglante du moine et tous les deux vont être frappés par une évidence : ce corps n'est pas celui du moine Jacques Clément, en tout cas, pas celui de l'homme qu'on leur avait présenté comme étant le moine Jacques Clément. Mais, dans la pagaille qui s'est emparé des lieux à l'annonce de l'attentat dont a été victime le Roi, aucun des deux n'a vraiment prêté attention à cette impression, ni ne l'a partagée avec quiconque.

Et cette pagaille va devenir bien plus grande encore quand il va s'agir de sacrer un nouveau roi... Car, selon la loi salique en vigueur en France, le plus proche parent apte à régner de Henri III, décédé sans descendance mâle, s'appelle... Henri, roi de Navarre ! Un Huguenot... A Paris, le clan Guise, mené la Duchesse de Montpensier et son frère, le Duc de Mayenne, et la Ligue refusent tout net cette succession, pourtant légitime, et souhaiteraient voir sacré le cardinal Charles de Bourbon, propre oncle de Henri de Navarre, portant détenu dans les geôles du défunt souverain...

Les Parisiens sont également soutenus par l'Espagne, pays au combien catholique, qui voit évidemment d'un très mauvais oeil la possible accession au trône de France d'un parpaillot à la morale plus que douteuse, un jouisseur qui ne respecte pas grand chose, dit-on... Les Ligueurs et leurs alliés espèrent du voisin ibère une aide qui les aidera à rétablir une monarchie catholique en France, assez forte pour reprendre les territoires laissés aux Protestants, pas la force, si besoin... Mais le roi d'Espagne, lui, voit là une occasion rêvée d'annexer la France, ni plus, ni moins, et son ambassadeur à Paris, Mendoza, doit se charger de cette besogne, sans qu'aucun Français ne se doute de rien...

Le camp royal n'est pas plus uni... La mort de Henri III a changé la donne. Certes, il y a ceux qui sont fidèles à la monarchie légitime incarnée par le futur Henri IV, il y a les tolérants qui ne s'inquiètent pas de voir possiblement un protestant sur le trône et sont certains qu'il finira par se convertir. Mais il y en a aussi qui, bien que rejetant la Ligue et ses abus et considérant les Guise comme des traîtres, ne sont pas non plus prêts à prêter allégeance à un huguenot... Bref, Henri IV, qui aurait pourtant besoin de toutes ses forces vives, voit son armée sérieusement amputée et sa légitimité vaciller, alors qu'il devient impératif de reprendre Paris pour asseoir son pouvoir.

Reste un acteur à présenter... Et pas des moindres. Une étrange assemblée clandestine, dont les membres ne se connaissent pas entre eux et qui se regroupent masqués et déguisés, s'appelant par des noms d'archange. Ils s'appellent les Gardiens de la Foi, espèrent un pouvoir catholique fort s'étendant à Paris et au la France. Mais un pouvoir affranchi de toute dynastie, de toute coterie, un pouvoir dont Enoch, le chef de ce groupuscule, entend bien exercer seul les prérogatives...

Dans l'ombre, ces mystérieux archanges, dont certaines identités nous apparaissent, mais pas toutes, loin de là, manipulent tout le monde à Paris, faisant croire que c'est pour le bien de la Ligue et des Guise, alors qu'ils sont bien décidé à jouer leurs propres cartes. Mais les Gardiens ont besoin que Paris résiste à Henri IV et alimentent les haines... Au coeur de Paris, ce n'est pas difficile, la simple religion du "nouveau roi" suffit à le faire détester. Mais les Gardiens ambitionnent aussi de semer la zizanie dans l'autre camp.

Et, pour cela, ils vont recourir... à la sorcellerie ! Ou plutôt, sur la peur morbide qu'elle suscite à cette époque. Un complot simple, fomenté en infiltrant un homme aux ordres de la Ligue au coeur des troupes royales pour y semer la mort et laisser croire que ces morts ont tout de diabolique... C'est ainsi que la véritable enquête menée par Olivier Hauteville va débuter : démasquer un assassin qui n'a rien d'un démon...

A partir de là, tandis que Henri IV va reconquérir, par la force là où c'est nécessaire, les villes de son futur royaume qui ne lui avaient pas encore fait allégeance, Olivier va devoir se jeter dans les griffes de la Ligue, pour essayer de trouver les commanditaires des meurtres mais aussi trouver les preuves que Clément n'a pas tué Henri III et qu'il vit peut-être encore... Car le régicide supposé pourrait devenir, sous le sobriquet de Capitaine Clément, un atout majeur dans le jeu des anti-Béarnais.

Hauteville risque sa vie. Il a eu des démêlés avec la Ligue par le passé, et s'il est reconnu, il finira à la potence avant d'avoir le temps de dire ouf. Pourtant, c'est bien à Paris que ce trouve bien des vérités qui pourraient faciliter à terme l'avènement de Henri IV, sans aucune contestation possible. Misant sur un siège proche et court, Hauteville n'hésite pas longtemps et, au péril de sa vie, va s'installer dans une capitale où règne l'hostilité envers tous ceux qui n'embrassent pas les idées de la Ligue ou se montrent trop tolérants vis-à-vis des Huguenots...

Aidé par un agent secret italien, Lorenzino Venetianelli, surnommé il Magnifichino, pour ses talents de comédien, ainsi que par la troupe de théâtre qui lui sert de couverture, Olivier va essayer de démasquer les coupables et de déstabiliser ceux qui gouvernent encore Paris. A la fois espion et policier. Mais, il a sous-estimé un élément. Et de taille... Le retard de Henri IV, d'abord, qui ne va pas arriver aussi rapidement que prévu aux portes de la capitale.

Ensuite, la durée du siège qui va s'ensuivre. Alors qu'on imaginait Paris tomber rapidement, le siège va s'éterniser de mai à septembre 1590, entraînant une terrible famine. Outre les dangers qu'il encourait déjà, Hauteville va donc se retrouver enfermé dans une capitale qui ne veut rien lâcher et subir les effroyables conséquences de l'entêtement de toutes les parties impliquées... On parle de 30 à 45000 morts dans Paris des suites de la faim, essentiellement...

Au-delà de l'enquête que mène Hauteville, malgré tout, parce que c'est son devoir, Jean d'Aillon nous offre une vision terrifiante de cette ville de Paris agonisante, où l'on mange tout ce qui est vivant, animaux d'élevage puis de compagnie, les rats, où l'on finit par s'adonner au cannibalisme, où l'on en vient à se nourrir, si tant est que ce mot ait encore un sens, de tout et n'importe quoi, jusqu'à concocter des soupes avec de la poudre d'os prélevés dans les cimetières... Une folie humaine sans borne, sorte d'apogée absurde de ces interminables guerre de religion.

Mais, l'enquête de Hauteville lui réserve encore bien des aventures et des dangers, au-delà même de cette capitale exsangue. Au fur et à mesure que les jours passent et que les indices s'accumulent, l'affaire prend un tour de plus en plus personnel. Au final, c'est autant par devoir que pour régler ses comptes avec ses ennemis intimes que Hauteville va se démener corps et âme... Au mépris des dangers, pour l'honneur des siens et de son souverain, à l'image pourtant salement écornée par ce siège abominable...

Je pourrais encore parler de la recherche de Clément, du rôle de Gabrielle d'Estrées et de son protecteur, le riche financier Zamet... Des prétendants de tous les bords qui se bousculent à ses pieds, Bellegarde, bien sûr, déjà évoqué, ou encore le Duc d'Aumale, fer de lance de la Ligue... Des multiples rebondissements et péripéties qui émaillent un roman sans temps mort, riche et qui en apprend beaucoup. La preuve que même didactique, un roman historique n'est pas forcément barbant !

Quand j'insistais en introduction sur l'aspect historique du livre, c'est effectivement parce que cela tient une grande place et qu'on apprend énormément de choses sur une période qu'on connaît souvent assez mal ou qu'on résume à quelques clichés ou citations célèbres. D'Aillon a le chic et le talent pour nous exposer aussi bien les faits majeurs que les anecdotes les plus frappantes et pour intégrer à son roman historique, remarquablement documenté, une intrigue qui se tient et qui nous réserve des scènes de cape et d'épée aussi bien que des scènes de bataille ou des courses poursuites...

Il n'hésite pas aussi, en fonction des sources, à intégrer à son histoire des faits plus légendaires qu'avérés, comme les mémoires de Gabrielle d'Estrées, dont elle n'est très probablement pas l'auteure, ou encore de faits minimes qui viennent nourrir l'intrigue, comme ce graffiti au nom de Nicolas Poulain, un des personnages importants du roman, fils naturel du Cardinal de Bourbon et ancien prévôt, ami de Hauteville... Ce graffiti existe, est visible là où d'Aillon le situe mais n'a sans doute aucun rapport avec ce Nicolas Poulain-là... Mais, l'occasion est trop belle, et ça fonctionne...

Vous aimez les châteaux, les passages secrets, les souterrains oubliés qu'on redécouvre, les ambitions politiques qui mènent aux pires violence, les société secrètes qui complotent, les héros sans peur et sans reproche qui savent aussi bien se montrer cruels que magnanimes, impitoyables mais justes ? Alors, faites-moi confiance, "Dans les griffes de la Ligue" est fait pour vous.

Je précise tout de même que ce roman n'est pas le premier mettant en scène le personnage d'Olivier Hauteville. Certes, d'Aillon nous rappelle régulièrement ce qu'a déjà traversé son héros, mais, si vous en avez la possibilité, il est peut-être mieux de commencer par le début, ne serait-ce aussi que pour mieux appréhender le contexte historique, vous l'aurez compris, fondamental dans ces romans, et assez complexe, également.

Pour autant, je dois confesser que c'est le premier livre de Jean d'Aillon que je lis, mea culpa, mea maxima culpa, et s'il m'a fallu un peu de temps pour prendre la mesure de son histoire (comprenez de l'Histoire), s'il m'a fallu aller à l'encontre de ma conception habituelle du polar historique pour découvrir une intrigue très étroitement imbriquée dans la réalité des faits. La fiction et la réalité se marient harmonieusement et l'auteur a même la bonne idée de nous proposer une annexe (pas trop longue, je rassure les impatients) très instructive qui nous expliquent certains des "trucs", au sens prestidigitation du terme, dont il s'est servi pour élaborer sa fiction.

Pas de doute, j'ai trop tardé à découvrir Jean d'Aillon, mais j'y reviendrai, rapidement, c'est certain... A une autre époque, peut-être, mais en espérant y retrouver cet enrichissement intellectuel qu'il sait apporter efficacement sans pour autant négliger suspense et ressorts romanesques fort pour nous divertir et nous procurer des émotions.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire