vendredi 11 octobre 2013

"Dire non à Dieu pour dire oui à Satan, c'est seulement changer de maître".

Oh, le titre qui sent le soufre !! Mais oui, nous sommes au coeur de notre sujet, vous le verrez encore mieux quand je vous aurai donné le titre de notre roman de ce jour. Deuxième volet d'une série de romans historiques (je le signale, car il me semble qu'il vaut mieux lire en premier "Casanova et la femme sans visage"), notre roman du jour assoit un peu plus son atmosphère sombre et froide, le paradoxe entre siècle des Lumières et omniprésence des superstitions en tous genres et son duo d'enquêteurs, aussi mystérieux que complémentaires... Ce soir, je vous convie à... une "Messe noire", c'est le titre de cette deuxième enquête du Chevalier de Volnay, commissaire aux morts étranges, et de son acolyte, le moine hérétique dont on ne prononce jamais le nom... Olivier Barde-Cabuçon, avec ce deuxième roman publié chez Actes Sud, dans la collection Actes Noirs, nous emmène en 1759, dans une époque trouble et mouvementée, où l'on se demande s'il y a vraiment un pilote à la tête du royaume de France.



En ce mois de décembre 1759, l'hiver est glaciale. Pas vraiment un temps à mettre le nez dehors la nuit. Pourtant, Volnay et le moine sont de sortie. Et pas dans l'endroit le plus accueillant de la capitale, puisque c'est dans un cimetière qu'on les retrouve. On a découvert le corps du gardien des lieux, raide, un visage empreint de terreur... Se pourrait-il qu'il soit mort de peur ?

Une possibilité qui gagne en crédibilité quand nos deux enquêteurs découvrent près d'une tombe tout l'attirail utilisé par les Satanistes, mouvance en vogue à l'époque, pour célébrer une messe noire... Les cierges noirs, les hosties triangulaires, tout est là... Y compris l'autel sur lequel l'office satanique aurait dû être célébré sans l'intervention inopinée de l'infortuné gardien...

Et cette autre découverte pose un nouveau problème, peut-être plus grave encore que la mort brutale, mais apparemment accidentelle, du gardien. Car, l'autel de cette possible messe noire est un corps. Celui d'une fillette, elle ne doit pas avoir plus de 12 ans. Elle a été abandonnée là par les participants à la messe noire qui ont dû fuir en vitesse quand on les a découvert, entièrement nue et, selon les premières constatations, étranglée...

Ce sont donc deux corps dont doivent s'occuper le Commissaire aux morts étranges et son mystérieux acolyte à robe de bure. Et, comme l'hypothèse de la messe noire ayant mal tourné semble la plus plausible, cela promet d'autres ennuis, venus d'en haut... En effet, ces questions liés au culte du diable, à la sorcellerie et autres histoires de ce genre ont vite fait de rappeler des événements passés dont le souvenir reste bien ancré dans nombre d'esprits...

Ces événements, c'est l'affaire des poisons, qui a fait trembler toute la Cour de Louis XIV, 80 ans auparavant. Ne risque-t-on pas de voir une nouvelle affaire de cette ampleur éclabousser du beau monde, y compris dans l'aristocratie, qui s'ennuie tant alors que Versailles n'en finit plus de perdre de son aura dans le sillage d'un monarque, Louis XV, qui ne semble plus s'intéresser qu'à deux choses : la chasse et les femmes, très jeunes, si possible ?

Aussitôt, Sartine, lieutenant général de police, le supérieur de Volnay, décide de garder un oeil sur cette histoire. Et pour cela, il missionne auprès de Volnay et du moine une jeune femme, sobrement présentée sous l'identité d'Hélène de Troie. Pour le commissaire aux morts étranges, qui n'a pas oublié l'ambiguë Chiara, cette arrivée est un affront, la preuve du manque de confiance de Satrine. Le moine, lui, semble bien moins inquiet et surtout, semble trouver la nouvelle arrivante fort à son goût...

Mais, foin de tout cela, il y a une enquête à mener ! Identifier les participants à la messe noire fatale et surtout la jeune victime afin de faire condamner les responsables de tout cela au plus vite. Il va falloir à Volnay et au moine des trésors de perspicacité pour y parvenir, car ils partent d'une scène de crimes pas évidente et disposent d'un minimum d'indices...

Or, voilà que le moine, victime de froid, tombe malade, que Volnay peine à remonter les pistes qu'il parvient difficilement à mettre en évidence, les suspects ont une fâcheuse tendance à mourir avant d'avoir été interrogés, Hélène est un fil à la patte au service de Sartine et se rapproche toujours un peu plus d'un moine qui semble envoûté...

Ah, tiens, parlons-en, du moine et de Sartine... Cette affaire a l'air de leur faire un effet bizarre... Comme s'ils savaient quelque chose que Volnay ignore... Mais ils ne disent rien, s'agitent beaucoup, comme gêné aux entournures... A tel point que le commissaire en finit par douter de l'efficacité du moine et de l'honnêteté de Sartine... Pourrait-il connaître les Satanistes ? Pire, en être ?

Et, pour couronner le tout, la jeune victime réapparaît soudainement... Une messe noire et maintenant, un fantôme ? Dans quel guêpier le Chevalier s'est-il fourré avec cette histoire ? Lui qui n'est déjà pas d'un naturel confiant, ce qui lui confère sans doute en grande partie la raideur, l'austérité qui émanent de sa personne, se sent bien seul et ne sait plus vraiment à qui se fier... Même la Pompadour, qu'il croyait être de son côté, semble se défier de lui...

Entre Paris, véritable coupe-gorge verglacé et Versailles, palais en plein déclin, sorte de mausolée dans lequel vit tant bien que mal un roi solitaire et aigri, Volnay doit mener son enquête des bas-fonds de la société monarchique jusqu'à son sommet. Et il doit braver de nombreux dangers car ses adversaires sont déterminés à se débarrasser de lui et du moine...

Dans une ambiance glacée et sombre, nocturne, même, il va falloir des trésors de sagacité mais aussi une détermination à toute épreuve. Oh, la détermination, ne vous en faites pas pour lui, ce n'est pas ce qui manque au Commissaire aux morts étranges. Il en a en tout cas plus que Sartine n'a de patience... Le supérieur de Volnay veut des résultats rapides et les hésitations de cette enquête l'insupportent au point de menacer de lui retirer l'enquête pour la confier à un magistrat qui se verrait bien revenir au temps de la Sainte Inquisition pour appliquer la justice... Voilà qui promet !

Mais, c'est vrai que l'une des grandes interrogations de cette deuxième enquête, c'est cette mystérieuse Hélène, parachutée entre Volnay et le moine comme un chien dans un jeu de quilles. On sait à quel point Sartine aime les mouches, ces indicateurs qui travaillent pour lui partout dans la capitale et sont ses yeux et ses oreilles à chaque coin de rue. Cependant, si Hélène doit renseigner le lieutenant général de police, pourquoi agir aussi peu discrètement ?

En outre, la demoiselle va jouer un rôle tout autre qu'une simple enquêtrice.... Certes, elle a son autonomie et cache sans doute bien des choses à Volnay et au moine, mais elle fait aussi tout, dirait-on, pour semer la zizanie entre les deux hommes... Zizanie, ou jalousie ? En tout cas, son rapprochement avec le moine, pourtant bien plus âgé qu'elle est évident et ce jeu de séduction va vite agacer un Volnay dont on se demande si, lui aussi, ne serait pas prêt à se laisser charmer...

Pourtant, si Volnay est un policier hors pair, il faut reconnaître qu'avec les femmes, le garçon a du mal à se lâcher... Hélène, c'est comme un caillou dans sa chaussure, un poil à gratter... Evidemment, on peut se dire que ce sont le rôle de la jeune femme auprès de Sartine et un possible risque de trahison qui l'agacent. A moins que ce soit la facilité du moine à séduire la belle, quand lui s'en sent incapable... C'est auprès d'une autre femme que Volnay trouvera un apaisement certain, je n'en dis pas plus, mes mouches personnelles m'ont fait savoir qu'on devrait reparler de cette jeune personne capable de rendre son calme et même le sourire à Volnay...

Autre aspect intéressant de ce second roman mettant en scène le commissaire aux morts étranges : l'irruption du fantastique. Oh, n'allez pas imaginer que, d'un seul coup, il se passe des tas de choses inexplicables, que des démons surgissent à l'appel de satanistes possédant des pouvoirs extraordinaires, que Volnay va devoir se muer en Van Helsing... Non, c'est évidemment bien plus subtil que cela.

J'ai évoqué le fantôme de la jeune victime, je n'y reviens pas. Mais, Olivier Barde-Cabuçon, dans une autre scène impliquant Volnay et une des connaissances du moine, laisse planer un doute certain... Le lecteur est témoin de faits qu'il a bien du mal à interpréter autrement que comme... paranormaux, dirions-nous avec notre langage contemporain. Ca ne dure pas longtemps, mais la scène a une influence certaine sur la suite...

Il est intéressant de mettre cet aspect en exergue, car Volnay semble plutôt nourri d'un certain rationalisme, tandis que le moine, s'il est ouvert à tous types de connaissances, est surtout un homme de sciences curieux de tout qui, comme il l'explique à Sartine, cherche d'abord à comprendre les phénomènes, même les plus étranges, plutôt que d'y croire, comme d'autres, aveuglément.

Tous les deux sont donc peu suspects d'accointance avec quelque forme de sorcellerie, dans une époque où certains verraient volontiers les bûchers se rallumer et d'autres, verraient bien la religion catholique, en perte de vitesse, remplacée par d'autres cultes plus réjouissants (j'allais écrire "fun", n'exagérons pas...). Mais, c'est vrai que l'ambiance que parvient à installer l'auteur est propice à tout cela... Il flotte comme un climat fantastique, on peut s'attendre à ce que tout se produise... Ou pas, comme on le découvrira lors du dénouement, preuve que toute croyance n'est pas synonyme d'omnipotence...

Mais, puisque j'insiste beaucoup sur cette atmosphère hivernale depuis le début du billet, creusons-là un peu... Attention, métaphore ! N'assisterions-nous pas, à travers cet hiver 1759 à l'hiver d'une monarchie, de plus en plus fragile et qui commence à vaciller sur ses bases ? Louis XV, pourtant surnommé le Bien-Aimé, est alors haï par le pays tout entier.

Oui, la Révolution n'éclatera que 30 ans plus tard, et pourtant, on est là dans un moment critique, face à un royaume en pleine décrépitude, vaincu partout, sombrant dans la misère, en crise sociale, morale et politique. Il est assez frappant de noter l'absence quasi totale de gouvernement dans ce roman. Sartine prend directement ses ordres d'un roi qui se désintéresse de tout et qui, par ricochet, se voit abandonner dans sa tour d'ivoire versaillaise, par une cour qui préfère s'amuser à Paris ou se lancer dans les expérimentations diverses et variées qu'on croise dans "Casanova et la femme sans visage" et "Messe noire"...

La monarchie pourrit sur pieds, comme empoisonnée par ses vices et ses errances, sa totale ignorance du peuple et de ses problèmes... J'ai évoqué l'affaire des poisons, qui est citée en exemple au début du roman, où l'on complotait pour le pouvoir. Ici, le pouvoir semble n'intéresser personne... Les motivations de chacun sont bien éloignées de ce pouvoir temporel et l'explication finale ne fera que renforcer cette impression.

Ca sent la gangrène, au sommet de l'Etat, c'est tout le corps national qui est gagné par la maladie, l'amputation finira par être inévitable, on le sent bien. Reste encore à définir les modalités de l'opération et les praticiens qui l'exécuteront... Une seule certitude : ça ne pourra plus fonctionner ainsi longtemps, et pas sûr qu'un possible pacte avec Satan suffise à revigorer tout cela...

Cette série s'installe, ce deuxième volet confirme tout l'intérêt qu'on peut lui porter. Son atmosphère en noir et blanc, le noir de la nuit, le blanc de la glace, la violence diffuse qui l'imprègne tout entier, les brumes qui entourent chaque élément de l'enquête et la rendent plus complexe, plus dangereuse, tout cela fait de "Messe noire" un remarquable polar historique.

Le duo composé par Volnay et le moine s'affine et s'affirme. Leur relation, qui était un vrai mystère au début du premier tome, reste constellée de zones d'ombre, mais on en sait un petit peu plus, suffisamment pour savoir sur quel pied danser quand ils sont, parfois, en désaccord. Ils sont les revers d'une même médaille, le sérieux et la rigidité de Volnay contrebalançant parfaitement l'humour et la décontraction du moine.

Dans cette enquête, pourtant, on sent parfois poindre quelques désaccords profonds. Pas seulement parce que le moine a un côté libertin que réprouve Volnay, dont la rigueur morale sied mal avec ce genre d'activité... Mais, les divergences de point du vue qui apparaissent au cours de cette deuxième enquête m'ont semblé un peu plus profondes...

Bien sûr, il y a Hélène, élément perturbateur, mais, ce n'est pas la seule chose qui coince entre eux. Sans jeux de mots, ils n'ont pas la même philosophie de vie. Bien sûr, chacun des deux verrait d'un bon oeil le régime corrompu s'effondrer, même s'ils le servent. Mais leurs motivations me paraissent très différentes. On cerne mal encore le passé des deux hommes, malgré quelques indices. Je ne doute pas qu'on continuera, peu à peu, à en apprendre sur eux et que ce passé nourrira les enquêtes à venir...

Tenez, puisqu'on en parle, la troisième enquête du Chevalier de Volnay, commissaire aux morts étranges, et de son adjoint, le moine hérétique dont on ne prononce pas le nom, elle sortira en principe au début 2014. Je dois dire que j'ai hâte de découvrir quelle sera cette nouvelle mort étrange qui mettra sur les dents les deux policiers pas comme les autres et vers quelles nouvelles sombres parties de l'âme humaine cela les entraînera.

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