mercredi 30 octobre 2013

"Inséparables, oui mais... séparés..." (Arthur H).

J'aime beaucoup cette chanson d'Arthur H et en lisant notre roman du jour, j'y ai immédiatement pensé. Mais, revenons à la véritable genèse de cette lecture : un titre. Oui, lorsqu'on regarde ce qui sort, ici ou là, au milieu de la masse des livres publiés, il y a des titres qui font tilter le cerveau du lecteur que je suis... Une ampoule s'allume, branchée direct sur la curiosité et là, si la quatrième de couverture ou quelques remarques intéressante de l'éditeur viennent renforcer la première impression, il arrive souvent que le livre et son titre qui marque finisse entre mes mains. C'est le cas de "Tartes aux pommes et fin du monde", court (à peine 130 pages) premier roman de Guillaume Siaudeau, publié par une maison d"éditions que je vous recommande de surveiller attentivement, Alma Editeur. Un thème assez classique, la rupture, mais une manière de le traiter que j'ai trouvée originale, une réflexion sur la douleur pleine de force, mais aussi d'humour. Un livre qui donne envie de se pelotonner sur un canapé, contre un être cher, une part de tarte aux pommes à portée de mains. En souhaitant ne jamais, au grand jamais, connaître les affres traversées par le narrateur...





Un jeune homme raconte son histoire, sa vie, à la première personne du singulier. La vie d'un garçon qui n'a jamais vraiment été heureux et qui ignore même ce que cela peut vouloir dire... Avec sa soeur, il s'est retrouvé très jeune à la charge de leur père, quitté brusquement par leur mère. Une rupture terrible dont l'homme ne se remettra jamais, plongeant dans l'alcool pour noyer son chagrin... Et quand il avait un peu abuser de la dive bouteille, le père pouvait avoir la main lourde...

Voilà donc le modèle familial hautement imparfait dans lequel a grandi notre narrateur. Ca donne un adolescent timide, introverti, et un jeune adulte pas vraiment dégrossi, replié sur lui-même. Un garçon qui n'aurait comme seule image (d'Epinal) du bonheur, un couple d'inséparables, deux jolis oiseaux en cages qui mourront en très peu de temps s'ils ne sont plus ensemble...

Et puis, un jour, alors que rien ne l'y prédisposait, alors qu'il ne s'y attendait pas le moins du monde, il va faire LA rencontre qui va changer sa vie. Oui, une femme, une femme qui fait palpiter son coeur, une femme qui lui est sympathique au premier regard et qui semble tout autant l'apprécier en retour... Un coup de foudre ? Oui, vous et moi dirions sans doute cela, pas lui, non... Sans doute ne connaît-il pas cette expression...

Leur rencontre n'est pas banale : tous les deux se suivaient dans la file d'attente d'une caisse de supermarché... Elle, elle s'appelle Alice, au fait, se trouvait devant lui. Mais, lorsque son tour arrive, voilà que la caissière, pas finaude, mais il lui sera pardonné au centuple, s'emmêle les crayons, et le lecteur optique, incapable de trouver le code-barres d'une boîte de maquereaux au vin blanc...

S'ensuit un interminable cafouillage qui va profiter au deux jeunes gens pour faire plus ample connaissance. Suivra un rendez-vous, autour d'un verre et, de fil en aiguille, je ne vous fais pas un dessin, un joli couple se constitue. Elle est bibliothécaire, il décharge des cartons de gros camions... Leur épanouissement, c'est l'un avec l'autre qu'ils le trouvent.

Ils partagent les bons comme les mauvais moments... Les bons, ce seraient la rencontre chaleureuse avec les parents d'Alice ; les mauvais, la dépression et le suicide d'Arny, le collègue et meilleur ami du narrateur... Tout ce qui contribue à les sortir de leur routine grisâtre, c'est ce qu'ils font ensemble. Oh, n'allez pas imaginer une vie de palace ou de débauche. Non, une vie simple, comme ces deux-là, et heureuse.

Des inséparables... oui, mais... séparés...

Car, un "beau" jour, sans signe avant-coureur, sans que le narrateur ait rien vu venir, sans aucune explication ni appel, voilà notre jeune homme plaqué... Une rupture dans les plus atroces règles de l'art, quand l'autre ne veut plus entendre parler de vous, d'un seul coup, qu'elle vous fait mettre à la porte sans ménagement et que vous vous retrouvez seul, terriblement seul...

Plus dure est la chute de son nuage rose. Le narrateur a l'exemple de son père, dévasté par le départ brutal de sa propre épouse, mais l'alcoolisme ne l'emballe pas plus que ça. Non, lui se dit d'emblée, une fois la rupture acceptée, qu'il va vite falloir combler le gouffre qui s'est ouvert dans sa vie avec la fin de cette liaison qui lui a permis de tutoyer le bonheur, le vrai.

Trouver une nouvelle compagne ? Non, c'est impossible. On comprend vite que personne ne pourra remplacer Alice dans le coeur et l'esprit du jeune homme, qu'aucune femme n'arrivera jamais à la cheville de l'aimée envolée, qu'aucune relation amoureuse ne saura, comme cette première expérience, le porter à l'extase, l'emmener au septième ciel.

C'est donc une autre quête qui commence pour notre narrateur, dont l'objectif est de trouver le substitut idéal à ses amours mortes. Oh, ça ne va pas prendre des jours entiers pour y parvenir. Non, le profil du substitut est clairement défini dans la tête du jeune homme. Oui, instinctivement, il sait très vite, peut-être tout de suite après avoir encaissé la rupture, s'être résigné à ce retour à la case Solitude, quel sera l'objet idéal appelé à le suivre partout désormais...

J'ai bien dit un objet. Une espèce d'objet transitionnel, quelque chose qui incarne une présence rassurante, un doudou, quoi... Euh, non, oubliez ce que je viens de dire, car l'objet choisi par le narrateur ne ressemble pas du tout à ça. Rien de rassurant, bien au contraire. Et pourtant, il va s'imposer dans le vie du narrateur à chaque instant, semblant presque le narguer, lui murmurer le fameux refrain de Kaa, "Trust in me", dans une macabre parade nuptiale...

Car, je peux le dire, puisque c'est écrit sur la quatrième de couverture, ce substitut qu'a choisi le narrateur pour oublier Alice, c'est un revolver...

Je m'arrête ici, pour ce qui concerne l'histoire. Et, je le redis encore et toujours, même si ce résumé peut vous sembler long, surtout eu égard à la brièveté du livre, croyez-moi, j'ai survolé les faits. Et puis, surtout, je n'ai encore rien dit du style de ce jeune primo-romancier, comme on dit, Guillaume Siaudeau. Car, c'est là le grand intérêt du livre : la manière d'amener les choses et de les raconter.

La rupture amoureuse et la dépression qui la suit sont des thèmes très classiques de la littérature, on flirte vite avec le déjà vu. Mais là, justement, la façon d"écrire, aussi bien dans les mots employés, le ton pour les mettre en ordre et les situations que choisit de raconter l'auteur, on est dans tout, sauf de l'ordinaire. Enfin, plus exactement, c'est tout l'inverse, on est dans l'ordinaire le plus absolu et cela donne un effet tout à fait intéressant.

Le ton sur lequel le narrateur nous raconte sa vie, ses malheurs, son bonheur et le terrible retour sur terre, a quelque chose de faussement naïf. Comme si nous suivions un roman picaresque, une vraie quête initiatique, alors qu'on a jamais sous les yeux que la vie somme toute assez banale d'un garçon qui n'a pas eu la chance de grandir au sein d'une famille heureuse. Cette manière de raconter les événements en y mettant un minimum d'affect est redoutablement efficace, car elle renforce l'impression lunaire qu'on peut avoir du narrateur.

Cela s'accompagne d'une ironie bien plus féroce qu'il n'y paraît, un humour à froid lui aussi très efficace. En témoigne la scène-clé du roman, la rencontre entre le narrateur et Alice, à la caisse de ce supermarché, devant cette pauvre fille perdue dans son encaissement d'une malheureuse boîte de maquereaux. Tout l'absurde de nos tristes routines quotidiennes est là, renforçant ainsi le scintillant de l'amour naissant.

On retrouve aussi cela dans la dernière partie du livre, cette "relation", je mets des guillemets, car le mot est forcément inadéquat, mais je n'en vois pas d'autres, entre le narrateur et son arme. Il est bien sûr question de dépression, de dérive suicidaire, et pourtant, c'est raconté comme une nouvelle histoire d'amour qui commence, soldant la précédente, et tout le reste avec...

Je ne vais pas revenir sur le titre de ce billet, j'ai expliqué son pourquoi. Et ces inséparables clamsant à quelques jours d'intervalle sont une des plus grandes désillusions de la vie du narrateur. D'ailleurs, celle-ci sont souvent animalières, comme si le narrateur était plus capable de s'attacher aux animaux de compagnie et aux objets, même terriblement dangereux, qu'aux êtres humains...

A part Alice, évidemment...

Mais il y a un autre symbole qui traverse le roman sous différentes formes, ce sont les ailes... Qu'elles soient véritables, comme celles des inséparables (qui ne quittent pourtant pas leur cage...), ou figurées, on les trouve partout, jusque dans celles, mais là, c'est moi qui parle, qui poussent dans le dos du narrateur lorsque l'amour l'emporte dans son tourbillon euphorisant.

Mais, et là encore, sans entrer dans les détails, juste en parlant encore de ces inséparables, vous comprendrez que ces ailes sont toujours insuffisantes, ou alors absentes quand on désirerait ardemment en avoir. Outil de liberté, elles ne protègent de rien, surtout pas de la solitude ou de la mort, de l'inexorable, de la fin, de la séparation.

Or, la vie du narrateur n'est faite que de ça, de rupture, de séparation. Sa planche de salut, c'est Alice. Une fois que sa relation avec elle a commencé, il en est sûr, cela ne pourra jamais finir, car son amour, générateur d'ailes, sera plus fort que tout. Et surtout, jamais il ne reproduira ce dont il a été témoin depuis sa plus tendre enfance... Jamais il ne sera malheureux comme son père, muet et passif comme son beau-père, triste au point de se suicider comme son ami, etc.

Mais, crac ! Patatras ! Alice le raye de son existence en moins de temps qu'il ne m'en faut pour taper cette phrase... Cette fois, la chute, c'est SA chute. Le mouvement perpétuel qui lui a pourri la vie depuis toujours se poursuit, inéluctablement, sans qu'il puisse rien faire... Enfin, rien... Rien qui puisse corriger ce qui fait mal et l'effacer pour reprendre le cours de sa vie avec Alice comme s'il ne s'était rien passer.

Alors, ce sera une autre relation, sans conflit possible, dans laquelle il est aussi bien le maître que l'esclave. Maître de l'objet de mort, puisqu'il le tient dans sa main et décide, ou non, de le déclencher, mais aussi asservi par l'idée de ce que le déclencher pourrait faire. Et, puisqu'il est évident que ses ailes ont sérieusement pris du plomb, sur un plan métaphorique, son substitut pourrait l'aider à rendre cela plus réel encore...

On se laisse prendre par cette histoire touchante d'un jeune homme malheureux qui se débat entre repères familiaux flous ou négatifs et volonté de vivre et d'être heureux. La quête de ce bonheur, si loin, si proche, elle nous concerne tous, je pense. Mais, lorsqu'un coup de sort nous envoie au tapis, KO pour le compte, on a, comme le narrateur, du mal à se relever.

J'ai vraiment aimé le style de ce jeune écrivain, Guillaume Siaudeau, que je suis curieux de voir évoluer à l'avenir. Avec ce mélange de naïveté et d'humour noir, il donne un vrai relief à cette histoire ordinaire et c'est un vrai plaisir de lecture. Ah oui, je sais, vous vous demandez pourquoi ce roman s'intitule "tartes aux pommes et fin du monde" ?

Je vous répondrai par une citation : "pour que le monde tourne bien rond, il aurait peut-être tout simplement fallu que toutes les ruptures aient le goût sucré d'une tarte aux pommes"...

Bon appétit !


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