Oui, je sais... Que voulez-vous, on a les références et les inspirations qu'on peut... Bon, au-delà de ce qu'on peut penser de la Compagnie Créole, et vous noterez que je n'ai pas exactement cité leur chanson, je suis bien obligé de dire que c'est cette idée qui m'est venu à l'esprit à la lecture de la novella qui donne son titre à notre livre du jour. Non, je ne pensais pas à la chanson, rhooooo, z'avez mauvais esprit, mais à l'oeuvre du peintre mayennais Henri Rousseau, surnommé le Douanier, nous y reviendront. En attendant, et même s'il se confirme que je ne suis décidément pas un lecteur de formats courts, voici un billet consacré au dernier recueil de Sylvie Lainé, "l'Opéra de Shaya", dans lequel les éditions Actu SF ont rassemblé quatre textes, une novella, donc, et trois nouvelles. Pour un voyage livresque tout à fait dépaysant, dans des univers, au sens propre comme au figuré, plein de mystères, de beauté et de poésie...
Prenons les choses dans l'ordre, puisqu'il n'y a pas de fil conducteur véritable entre ces textes, si ce n'est leur auteur. "L'opéra de Shaya" s'ouvre sur la novella éponyme, le plus long texte de ce recueil. So-Ann, a l'âme nomade, comme beaucoup d'humains de son époque. Elle voyage de planète en planète, restant quelques mois ou un peu plus, avant de repartir ailleurs, à la recherche... Mais sait-elle vraiment ce qu'elle recherche ?
A son arrivée sur Flog6, une planète qui possède des canons concernant la mode, vestimentaires ou en termes de coiffures, assez... particulier, dirons-nous simplement, elle fait la rencontre d'un autre groupe d'humains, comme elle, présents depuis plus longtemps sur cette planète et qui s'y intègre comme ils peuvent.
L'endroit ne plaît pas des masses à So-Ann qui n'a pas franchement l'intention d'y faire de vieux os, surtout si elle doit porter des robes à volants avec des ruchés et des cheveux bouclés en boule... En discutant avec ses nouveaux amis, elle apprend de la bouche d'un certain Fred qu'il existe une planète idéale, si l'on peut dire.
Un lieu encore vierge, où la vie, la société seraient encore à construire, selon des préceptes encore à définir pour en faire un monde parfait, ou plus exactement, le plus proche possible de la perfection. Cette planète, Fred y a vécu mais a dû en partir car ses habitants sont plutôt, explique-t-il, à la recherche d'une femme. Mais, elle doit conserver absolument ce secret et ne le révéler à personne.
Cette planète, c'est Shaya et, lorsque So-Ann entend les propos de Fred, elle pense aussitôt que cette planète est faire pour elle et qu'elle pourrait être la femme qu'attend cet endroit impatiemment. Sur les conseils du jeune homme, elle quitte donc, sans remords, ni regrets, la triste Flog6 et ses goûts douteux, et s'embarque pour Shaya.
Et, effectivement, c'est un véritable dépaysement, lorsqu'elle arrive sur Shaya. Une végétation luxuriante et riche, une faune surprenante, des paysages multicolores dans des tons vifs, presque joyeux et un accueil sympathique et joyeux. Avec, surprise, des êtres qui pourraient presque passer pour des humains tels que vous et moi, à quelques détails près...
Ce n'est que le début d'un séjour dépaysant au possible, dans une civilisation que So-Ann a bien du mal à cerner. Et pas seulement les, euh..., humains, mais aussi les plantes, les, euh..., animaux... Oui, j'hésite, mais vous comprendrez en lisant "l'Opéra de Shaya" que notre vocabulaire est en difficulté pour décrire ce qui vit sur cette planète.
Et, si l'expérience semble plaire à So-Ann, elle l'intrigue aussi. Au fil des jours, des semaines, des mois, elle constate quelques changements dans l'univers qu'elle fréquente, mais elle ne parvient pas à comprendre vraiment ce qu'on attend d'elle. Elle n'est pas au bout de ses surprises, mais dans ce paradis en trompe-l'oeil, elle va enfin trouver un sens à sa vie, une raison d'être. A Shaya, ou ailleurs...
Voilà donc le texte qui a fait naître en moi, mais c'est évidemment un ressenti personnel, des images que j'imaginais tout droit sorties de l'oeuvre du Douanier Rousseau. Sensiblement différentes, ces images, de la très belle couverture signée Gilles Francescano, mais que voulez-vous, l'imagination a repris le pouvoir au fil des pages.
Et puis, il y a quelque chose d'autre qui me plaît dans cette relation entre le texte de Sylvie Lainé et les toiles du peintre. Et c'est la naïveté. Je m'explique. Le Douanier Rousseau est le chef de file de ce qu'on appelle l'Art naïf et chez Sylvie Lainé aussi, il me semble que cette naïveté est omniprésente. Si cet adjectif avait un côté péjoratif pour qualifier l'oeuvre du Douanier, loin de moi cette idée, au contraire.
Il se dégage, au premier abord, de l'univers de Shaya, une sorte de candeur presque édénique. Shaya, c'est presque un paradis terrestre biblique, même si on n'y trouve pas vraiment Adam, Eve, un pommier, des pommes ou des serpents. En tout cas, c'est un peu plus compliqué que cela. Mais, on s'y sent... bien. Paisible, à la fraîche, décontracté du... euh, non peut-être pas jusque-là, quand même !
So-Ann elle-même, est assez naïve. Aveuglée par son envie de découvrir la planète idéale, elle a peut-être un peu oublié de demander à Fred quelques détails avant de partir à l'aventure. En particulier, elle aurait peut-être dû se demander pourquoi le jeune homme lui avait dit qu'il n'avait plus sa place sur Shaya et qu'on y cherchait plutôt une femme...
Sans oublier que, malgré son expérience, malgré les nombreuses planètes sur lesquelles elle a bourlingué depuis des années, il est toujours possible de tomber sur des endroits inconnus, aux modes de vie particulier, loin finalement, de ce que nous appellerons de l'anthropocentrisme... Et, à travers So-Ann, Sylvie Lainé joue de façon très originale et amusante sur ce thème.
L'opéra de Shaya, c'est la rencontre lointaine, je parle sur le plan astronomique, de l'utopie et de la réalité, et de leur inévitable entrée en conflit... Enfin, quand je parle de conflit, j'y vais fort, c'est un des thèmes sur lesquels nous reviendrons en fin de billet, mais laissons So-Ann et Shaya, et intéressons-nous aux autres textes de ce recueil.
La première des trois nouvelles qui complètent ce recueil s'appelle "Grenade au bord du ciel". Une expédition spatiale décide d'explorer un satellite artificiel en orbite autour d'une lointaine planète, habitée par une civilisation primitive. Lorsque les astronautes essayent de savoir ce que cela peut bien être auprès des autochtones avec qui il est difficile de communiquer, ils ne comprennent qu'une seule chose : cette... chose porte malheur.
Peu importe l'avertissement, la curiosité scientifique est plus grande que le risque et, après avoir exploré l'objet, ils décident de le remorquer pour mieux l'étudier. Mais n'auraient-ils pas dû plus tenir compte des mots, même lapidaires, des habitants de la planète ? N'ont-ils pas tout simplement mis la main sur une espèce de boîte de Pandore ?
Dans une ambiance et un contexte très différent de "l'Opéra de Shaya", Sylvie Lainé suit pourtant une même voie. Pas de menace, pas de notions de bien et de mal aussi clairement définies, non, on est dans tout autre chose. La confrontation n'est pas dans la violence, mais dans la cohabitation de mode de vie et d'aspirations différentes.
Simplement, ces différences peuvent rendre la coexistence compliquée, sans doute pas impossible, mais en tout cas, pas toujours compatibles. Parce que les systèmes de valeurs, les cultures, les éducations ne sont pas les mêmes et les mêmes causes ne produisent pas toujours les mêmes effets. Alors, si les Praxiens rejettent cette... chose, pourrait-elle être bénéfique aux astronautes et au monde dont ils viennent ?
Le troisième texte, "Petits arrangements intergalactiques", change complètement de registre, dans le fond et dans la forme, aussi. Voici une nouvelle complètement loufoque, très drôle, parfaitement absurde en apparence, et pourtant, parfaitement dans la lignée des précédentes, si l'on veut chercher une ligne directrice.
Le narrateur, puisque cette nouvelle est à la première personne, est une sorte de routier de l'espace. Comprenez qu'il convoie des marchandises de planète en planète. Mais, lors de ce voyage, alors qu'il transporte une importante cargaison de myrtilles (vosgiennes, les myrtilles ?), son vaisseau est victime d'une importante avarie.
Pas question d'essayer d'aller plus loin, ce serait prendre trop de risques. Alors, le pilote doit atterrir d'urgence sur la planète la plus proche. Et cette perspective ne l'enchante pas, mais alors, pas du tout... Il faut dire que RX412A n'est pas le site le plus accueillant, puisque essentiellement peuplée de Groc : des espèces de bovidés d'un joli rose, entre le gnou et l'hippopotame (je ne suis pas sûr de ma description, mais ce qu'on boit sur ce caillou doit être costaud...).
Le pilote va devoir survivre comme il le peut en attendant qu'on vienne le sortir de là. Et, pendant ce séjour forcé, ce qu'il va découvrir va lui faire peu à peu oublier ses préjugés pour envisager la situation d'un oeil très différent et songer à des perspectives d'avenir... Mais, vous verrez que, pour en arriver là, il faut des trésors d'inventivité et même un certain sens du ridicule.
Enfin, le recueil se conclut sur "Un amour de sable", la nouvelle qui, peut-être, laisse le plus perplexe après la lecture de "l'Opéra de Shaya". Parce qu'elle grattouille, elle démange, elle laisse vaguement mal à l'aise, sans qu'on sache si on a raison ou tort de penser ainsi. Mais, la chute de cette nouvelle fait passer un léger frisson le long de l'échine...
Des astronautes explorent une planète. Elle leur paraît stable, posséder une atmosphère susceptible de permettre la vie mais elle paraît faite entièrement de sables. Je mets le mot au pluriel, puisque, nous explique-t-on, il y a là des matières de différentes couleurs. Ce sol si particulier mérite une attention plus poussée, alors, on prélève des échantillons pour analyses.
Ce qu'ignorent les scientifiques, qui multiplient les expériences dans leurs laboratoires, c'est que ce sable est définitivement différent de celui qui couvre nos plages terrestres. Euh... Je m'avance peut-être, remarquez... Bref... Il semble que ce... "sable" ne soit pas seulement une matière minérale mais quelque chose de vivant...
Qu'est-ce donc ? Parallèlement, on suit le travail scientifique des humains et les... pensées du sable. Et c'est tout à fait surprenant, mais aussi, je le disais en préambule, un chouïa inquiétant... Parce que c'est l'inconnu, cet... être et que ce qui se produit au fil du récit, ce que formule le... "sable", tout cela pourrait parfaitement être lu de façon franchement menaçante... Alors ?
Voilà présentés ces quatre textes. Lisez aussi la préface très intéressante de Jean-Marc Ligny qui ouvre ce recueil, mais aussi, comme c'est la tradition chez Actu SF, l'interview de l'auteur qui le conclut. C'est d'ailleurs ce même Jean-Marc Ligny qui interroge Sylvie Lainé et l'échange, la confrontation de leurs points de vue est passionnant.
Comme je l'ai dit plus haut, Sylvie Lainé n'aborde pas la question du bien et du mal, son thème de référence, c'est complètement autre chose : la coexistence de cultures et de civilisations différentes. On ne s'assimile pas, on ne s'intègre pas (à l'image de So-Ann face aux exigences de Flag6, c'est vécu comme un enfermement), mais on se découvre.
Alors, tout n'est pas parfait, rien n'est facile, mais on comprend bien que le métissage vu par Sylvie Laîné tient plus de l'émulsion que du mélange lisse et sans grumeaux. C'est un peu Lavoisier appliqué à l'ethnologie : "rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme". En fait, au contact les uns des autres, les civilisations s'enrichissent, apprennent, retirent des enseignements, des forces, des atouts.
J'en ai appelé à Lavoisier, mais j'ai aussi songé, est-ce cette histoire de sable, allez savoir, au principe d'échange de Locard, que je détourne tout de même de sa mission première. Chaque échange entre ces peuples, ces civilisations, ces planètes se concrétise par quelque chose, par une évolution de chacune des parties prenantes à l'échange.
Rien de criminel, au contraire, mais une sorte de métissage pointilliste, décidément, c'est très pictural, ce billet, qui permet, par petites touches, d'apporter de petits plus aux différents acteurs. Des effets qui ne sont pas immédiats mais se feront un jour sentir. En bien. Les textes de Sylvie Lainé, c'est une oasis de douceur et d'humanisme, servie par une écriture et une narration de grande qualité.
Non, je ne suis pas amateur de textes courts, je suis sorti de ce recueil frustré, en particulier par la novella, parce que j'aurais eu envie de poursuivre l'aventure dans ces univers. Mais Sylvie Lainé est nouvelliste, je dois m'y faire ! Et je ne vais pas regretter cette lecture, bien au contraire, j'ai passé un excellent moment, dans des mondes pour le moins colorés qui ont stimulé mon imagination et pas seulement cela.
et oui c'est toujours comme ça avec les nouvelles, on en veut plus Monsieur Catsbury ! Moi c'est plutôt le genre qui me refroidit, pas sûre d'aimer ... En revanche le rappel aux oeuvres du Douanier Rousseau me plait bien et puis la découverte d'un auteur que je ne connais pas. Que signifie ta dernière phrase ? oh la curieuse !
RépondreSupprimerEuh, la dernière phrase veut juste dire que ça m'a fait aussi un peu réfléchir, rien de plus, pas de malice ni de double sens...
SupprimerQuant au genre, pour moi, j'en fais abstraction. Les thématiques sont universelles, les genres ne sont qu'un outil. Ici, la SF est vraiment un décor et un moyen de raconter quelque chose. Il serait sans doute difficile d'évoquer les mêmes thématiques d'échanges dans une littérature mimétique.