Je suis, vous vous en êtes rendu compte, un lecteur de romans, essentiellement. Mais, comme pour "la disparition du nombril", d'Emilie de Turckheim, dont nous avons récemment parlé, voici un autre livre qui est un récit autobiographique, servi par un style qui rend cette lecture aussi agréable qu'un roman. Depuis que Nan Aurousseau est revenu à l'écriture, au milieu de la précédente décennie, je suis régulièrement ce qu'il propose. Ses romans se sont nourris de ses expériences, mais, depuis "Quartier Charogne", désormais disponible en poche, c'est son existence peu commune qu'il nous raconte. "La ballade du mauvais garçon" est sortie cet automne aux éditions Stock et, outre l'hommage à Jean-Marc Roberts, fondateur de cette maison et éditeur d'Aurousseau depuis près de 10 ans, c'est aussi une magnifique histoire de rédemption et une plongée dans l'horreur de l'univers carcéral français.
Lorsqu'en 2005, Nan Aurousseau reçoit un télégramme de Jean-Marc Roberts lui annonçant qu'il va publier son roman "Bleu de chauffe", il vit dans l'Allier dans un dénuement quasi total. Il est tellement dans la dèche qu'il n'a pu envoyer son manuscrit qu'à cette seule maison d'édition et il attend qu'on lui coupe incessamment sous peu l'électricité.
Après avoir réalisé que ce n'est pas un canular, Nan Aurousseau oscille entre deux sentiments : la joie de voir ses mots devenir livre et le soulagement, car on lui promet un à-valoir qui devrait retarder un peu les échéances néfastes qui s'accumulent au-dessus de lui. Presque 40 ans ont passé entre le gamin de "Quartier Charogne", tombé dans la délinquance, et cet homme que Jean-Marc Roberts va sortir de l'ornière.
"La ballade du mauvais garçon", c'est le récit, non chronologique, de ces décennies de vie en marge de la société. Une mise à l'écart souvent volontaire, mais parfois forcée, et pas dans les meilleures conditions. Mais c'est aussi la parcours d'un homme de conviction, intègre, même si on lui colle l'étiquette de voyou, intransigeant et courageux, avec, chevillée au corps, une volonté d'airain.
Petit voleur dès l'adolescence, Nan rejoint bien vite un petit groupe bien plus violent avec qui il va participer à des coups plus important que ses petits cambriolages. Mais surtout, à l'image de Jacky le Bordelais, ces nouveaux complices sont prêts à tout pour arriver à leurs fins, y compris à recourir à l'usage des armes et à laisser des corps derrière eux.
Cette bande, c'est elle qui va faire plonger le jeune Nan, qui a déjà connu les maisons de correction, vers la prison. Maisons d'arrêt, puis centrales, parce qu'il sera condamné à une lourde peine. Le plus ironique, c'est qu'il a été pris dans une affaire à laquelle il n'était pas mêlé. Mais son pedigree n'a pas joué en sa faveur...
Bref, case prison, pour un jeune homme écorché vif, révolté depuis toujours, voyou et fier de l'être, mais aussi respectueux de valeurs qui sont les siennes, c'est vrai, incompatibles pour certaines avec l'ordre, la loi ou la société, rayez les mentions inutiles, mais qui en font un mec droit. Pas le genre à trahir, dénoncer, mais pas non plus à accepter n'importe quoi, de la part des prisonniers comme de l'administration.
Mais, "la ballade du mauvais garçon" n'est pas seulement un récit carcéral, même si cette dimension tient une place importante dans ce récit, nous y reviendrons. Car, le plus dur est peut-être ce qui suit : retrouver une place dans une société qui ne veut plus vraiment de vous et que Nan Aurousseau continue lui-même de rejeter avec force.
Sa bonne fée s'appelle Marie Laborde. Une belle histoire d'amour, un enfant, mais aussi des livres et des scénarios. Avant que les démons de Nan Aurousseau le reprenne. Oh, pas la récidive, non, c'est peut-être d'ailleurs ce qui rend ce personnage fascinant, mais une certaine asociabilité qui le rendait tout bonnement invivable.
A cette époque, dans ce tournant des années 70-80, ce n'est pas en écrivain que se rêve Nan Aurousseau, mais en cinéaste. Un cinéma d'auteur, underground, très personnel, fait de bric et de broc, avec un coup de main des amis, presque clandestinement. Malgré tout, cela va lui ouvrir des portes et lui permettre de faire des rencontres.
Anne-Marie Berri et son époux, Claude, en premier lieu. La première sera d'une aide fondamentale pour que les projets de Nan Aurousseau prennent tournure. Le second, lui, a droit à un portrait sans concession, qui apporte un peu de sourire dans un récit bien sombre. On croise aussi Gainsbourg, Mocky, Marie Trintignant, Jacques Higelin et d'autres personnalités du monde du cinéma et de la musique.
Autant d'anecdotes savoureuses mais aussi une vocation contrariée et de nouvelles déceptions, de nouvelles raisons de se sentir révolté. Nan Aurousseau, même en fréquentant ces personnalités, ne fait pas partie du star system et ne bouffe pas moins de vache enragée pour autant. Surtout, encore une fois, son idéal va se heurter à l'institution établie, inébranlable.
Enfin, la vie de Nan Aurousseau, c'est aussi la rue. celle qu'il a connue de près, dans les squats, qu'il a assidument fréquenté dans les années 80, dans ce fourgon J5 qui représentait son monde à lui dans les années 90. Pas de déchéance, chez Nan Aurousseau, non, une immense fierté, un orgueil aussi, peut-être démesuré, qui le pousse à vivre toujours à l'extérieur de cette société qu'il a toujours détestée.
Voilà plantés les décors de cette ballade d'un mauvais garçon devenu un écrivain à suivre. Toujours ours, toujours en marge, toujours solitaire, mais toujours avec au coeur cette passion flamboyante. Le récit est écrit avec la même gouaille que ses précédents livres, même si, de par les thèmes abordés, lourds, violents, il y a peu de place pour l'humour.
Mais, il y a un élément dont il faut absolument parler, parce que c'est vraiment le moteur de ce deuxième volet du cycle autobiographique de Nan Aurousseau : son combat pour l'éducation dans les prisons. Pas ces derniers temps, depuis qu'il a acquis une certaine notoriété grâce à ses livres, non, mais depuis toujours, depuis le moment où il s'est retrouvé du mauvais côté des murs.
Se cultiver, faire des études, passer des examens, obtenir des diplômes... Grâce à un visiteur de prison, le jeune Nan Aurousseau va se prendre de passions pour l'apprentissage. Il n'espère pas en tirer des réductions de peine, non, il veut se lancer dans une démarche qui lui permettent de ne plus retomber dans ce qu'il a connu auparavant.
Malgré sa bonne volonté, sa motivation, son courage, aussi, cela va s'avérer bien plus difficile qu'il n'y paraît. On est au début des années 70, rien n'est encore vraiment prévu pour cela. On préfère envoyer les détenus à l'atelier où il fabrique des objets manufacturés pour des rémunérations dérisoires, indignes...
Même payées à un tarif juste, Nan Aurousseau rejetterait ces tâches. Le salariat, il est allergique à l'idée même. Pas de patron, ni dieu, ni maître, juste être libre. Et la culture, les livres, la littérature, l'histoire, les sciences, tout ce qui va l'aider à combler le vide abyssal de son existence, dont il prend alors conscience, peuvent l'aider à atteindre cette liberté.
Pour cela, il va devoir combattre les idées reçues, mais aussi une administration monolithique et sclérosée, dirigée par des brutes dont le sort des détenus paraît souvent être le cadet des soucis. Nan Aurousseau a une réputation, un casier lourd, évidemment, difficile d'inspirer confiance... Mais il a aussi une volonté incroyable d'arriver à ses fins et de ne plus jamais risquer de se retrouver derrière les barreaux.
Le chemin est semé d'embûches, personne ne lui fera de cadeaux, ni parmi ses codétenus, ni parmi les responsables pénitentiaires qui vont, a-t-on l'impression, tout faire pour ruiner ses projets et lui imposer à autre chose. Comme pour pousser cette tête brûlée, ce réfractaire, ce révolté permanent à rechuter. Nan Aurousseau, c'est Sisyphe : proche du sommet de la montagne, il doit repartir du bas.
Cette quête, c'est un combat. Il y est en pointe, au point de franchir encore les limites de la légalité. La mutinerie, même si elle rallonge le temps passé à l'ombre, est souvent un bon outil pour obtenir ce que l'on veut. Nan Aurousseau n'hésite pas, il montre de vraies qualités de meneur d'hommes, mais pour une cause qui lui semble juste, utile. La fin justifie les moyens, et c'est tout.
On est quelques années avant le combat lancé par Jacques Mesrine contre les QHS, les Quartiers de Haute Sécurité. Aurousseau n'est pas aussi médiatique que l'ennemi public n°1, on évoquera les révoltes et, si les avancées mettront du temps à se mettre en place, c'est plus par la persévérance de Nan Aurousseau que par ses coups d'éclats, comme lorsqu'il réussit à faire plier le directeur de la prison de Loos, près de Lille, pour qu'y soit installée une salle de classe.
Au-delà de tout jugement moral, il y a dans le parcours de cet homme quelque chose qui force l'admiration. Dans ses choix de vie, qu'on peut ne pas partager, dans ses décisions, ses actes. Il y a chez ce garçon un grande humanité, malgré une profonde misanthropie, un côté solitaire indécrottable.
Il ne mâche pas ses mots, dit ce qu'il a à dire, avec franchise, accepte et encaisse les coups du sort. Pas de remords, c'est certain, sans doute des regrets, en nombre, mais dont il fait abstraction. Parce qu'il avance, toujours. A son rythme, contre vents et marées, contre une société qui avance bien souvent plus lentement encore, contre les préjugés, sans doute, également.
Il a choisi, comme dit plus haut, de déstructurer complètement son récit. Pas de chronologie, comme dans "Quartier Charogne", on a l'impression, qui peut dérouter, je le conçois, mais que j'ai trouvée intéressante, d'un carnet de souvenirs jetés sur le papiers comme ils viennent. Comme si Nan Aurousseau esquissait son auto-portrait en passant d'un coin à un autre de la toile, puis revenant là où il a entamé l'ébauche.
Il y a chez Nan Aurousseau quelque chose de ces bandits au grand coeur, dont le cinéma des années 70 a fait son beurre. Un voyou à l'ancienne, qui parle de la Mentale, ne parle pas de code de l'honneur, mais l'applique à sa façon. Attention, il ne renie rien de son passé, a conscience de la gravité de certains de ses actes, mais il est aussi, de mon point de vue, férocement attachant.
Le cliché est facile : un vrai personnage de roman... Oui, bon, voilà, c'est écrit, hein... Mais, justement, il explique aussi sa démarche littéraire : délaisser le roman, dans lequel il a mis beaucoup de lui pour raconter des histoires imaginaires, pour le récit autobiographique dans lequel il met ses tripes, ses (dés)espoirs, sa colère, son dégoût, aussi...
Sans oublier de la tendresse quand il évoque sa famille, celle qu'on découvrait dans "Quartier Charogne" et avec qui les liens n'ont jamais été rompus malgré tout. Une famille nombreuse, modeste, qui a galéré aussi de son côté. Mais une famille, une vraie, soudée autour de la mère. Une famille qu'il a pris soin de toujours laisser en dehors de sa vie de voyou, sans jamais l'oublier.
Il me semble que ce projet autobiographique était prévu pour être un triptyque. Ceci est le deuxième volet. On comprends aussi quel attachement profond reliait Nan Aurousseau à Jean-Marc Roberts, disparu au printemps de l'année dernière. Peut-être cela changera-t-il bien des choses. Ou peut-être, comme cette "ballade du mauvais garçon", l'auteur se placera-t-il encore sous la houlette posthume de cet éditeur qui sut instaurer quelque chose de rare chez Aurousseau : la confiance.
Il faudra au lecteur fidèle patienter pour le savoir...
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