mardi 4 novembre 2014

"Le plus haut degré de la sagesse humaine est de savoir plier son caractère aux circonstances, et se faire un intérieur calme en dépit des orages extérieurs" (Daniel Defoe).

Notre Robinson Crusoë du jour, puisque c'est de ce livre qu'est tiré le titre de ce billet, a une île déserte un peu particulière. Et pas très envie de croiser un Vendredi, quel qu'il soit. Voici un roman qui est un techno-thriller passionnant, un roman de science-fiction qui se veut très réaliste, un compte à rebours particulièrement stressant, mais, et ce n'est pas forcément un paradoxe, un livre plein d'humour et de drôlerie, à la fois grâce à la personnalité du personnage central, mais aussi parce que l'auteur profite de la situation pour se moquer gentiment de tous les autres personnages. Avec "Seul sur Mars" (en grand format aux éditions Bragelonne), d'abord auto-édité sur internet désormais en passe de devenir un best-seller mondial adapté par Hollywood, Andy Weir fait une irruption remarquable et remarquée dans le monde de la science-fiction.





Cela fait 6 sols (un laps de temps un peu plus long que nos journées terrestres de 24 heures) que l'équipage de la mission Arès 3 a posé le pied sur le sol martien. Dirigé par le Commandant Lewis, ce groupe d'astronautes, tous d'excellents scientifiques fort qualifiés dans leurs domaines respectifs, s'affaire lorsque survient une tempête.

Et, sur Mars, les tempêtes, ce n'est pas de la rigolade. Pas de trombes d'eau, évidemment, mais des vents de sables qui peuvent s'avérer particulièrement néfastes pour le matériel de pointe que les hommes utilisent. C'est pourquoi, aux premiers souffles de vent, tout l'équipage abandonne tout derrière lui, remonte illico dans la capsule qui lui a permis d'atterrir sur Mars et remonte dans un espace finalement plus accueillant.

Tout l'équipage, sauf Mark Watney...

Il n'a pas eu de chance, dans la précipitation, alors qu'il allait regagner le vaisseau, il a été percuté par un objet arraché de la station provisoire installée par et pour son expédition. Introuvable, couvert de poussière et inconscient, il est laissé pour mort par ses camarades, désespérés par la tournure des événements. Mais comment faire autrement ?

Sauf que Mark Watney n'est pas mort. Coup de pot inouï ou terrible coup du sort, il n'a été que légèrement blessé, sonné suffisamment longtemps pour qu'on ne le retrouve pas à temps et qu'on le laisse, là, seul. Sur Mars, au milieu de nulle part, en somme. Et avec un bon moment à patienter avant de revoir passer quelqu'un...

Oh, il y a bien une mission Ares 4, mais, entre le temps de préparer le lanceur, de former l'équipe et de voyager, elle ne repassera pas avant quelques années... Et ne devrait de toute façon pas se poser à moins de plusieurs milliers de kilomètres de l'endroit où lui se trouve. Mais bon, ce ne serait (presque) qu'un détail, si Mark disposait encore de quoi communiquer avec la Terre.

La loi de Murphy est parfois pleine d'ironie : c'est justement l'antenne qui a blessé Mark Watney lors de la tempête, après avoir été arrachée par le vent. Seul, et sans aucun moyen de contact... Et peu d'espoir, pour reprendre l'exemple de Robinson Crusoë, de voir passer au large un vaisseau quelconque qui pourrait lui envoyer une chaloupe, pardon, un VDM et un VAM afin de le récupérer sain et sauf...

On comprend mieux que l'une des toutes premières phrases de Mark Watney, lorsque nous faisons sa connaissance soit : "je suis foutu de chez foutu". Effectivement, sa situation paraît mal barrée, si l'on s'en tient à ce que je viens de vous raconter. Et le découragement paraît le sentiment que peut naturellement ressentir un pauvre gars qui n'a que pour horizon une mort horrible à plus ou moins long terme.

Ah, on s'arrête là, alors ? On suit pendant 400 pages l'affreuse agonie d'un naufragé de l'espace sur une drôle d'île déserte sur laquelle il n'y a même pas un petit homme vert à appeler Vendredi ? C'est bien mal connaître le tempérament de Mark Watney, un joyeux drille, eh oui, un vrai, d'une nature profondément optimiste et du genre plutôt débrouillard...

Botaniste et mécanicien de formation, dopé par l'instinct de survie, Mark Watney va se lancer dans une fabuleuse aventure martienne, où il va lui falloir fabriquer son eau, cultiver pour prolonger les rations abandonnées sur place avec lui, trouver comment se déplacer, comment communiquer, comment survivre, tout simplement. Euh, ce dernier adverbe est un peu exagéré...

Le système D, les intuitions et les connaissances de Mark Watney vont lui être bien utiles, mais rien n'est jamais acquis dans des conditions aussi extrêmes et hostiles, et, bientôt, les tuiles vont s'accumuler, nécessitant de nouveaux trésors d'improvisation. Une volonté sans cesse renouvelée de vivre, de croire qu'il existe des solutions aux problèmes présents pour retarder l'échéance le plus longtemps possible.

Vous avez là cet incroyable cocktail, très réussi, de techno-thriller, de science-fiction et de comédie, car Mark Watney est d'humeur toujours égale et possède une façon de raconter les choses qui, même lorsque tout semble aller de travers, ou de mal en pis, il parvient encore à prendre la vie du bon côté, pour reprendre le célèbre refrain des Monty Python...

Et puis, surtout, il ajoute à son côté Crusoë un autre franchement inattendu : Mark Watney, on t'a reconnu ! En fait, c'est McGyver ! Sans trombone ni couteau suisse, mais avec plein d'autres jouets rigolos comme des combinaisons spatiales, des produits chimiques super dangereux, des véhicules martiens, des matériaux divers et variés mais tous de haute technologie, ou presque.

Andy Weir insiste sur le fait qu'il a essayé d'être le plus proche possible de la vérité scientifique, que tout ce qu'il décrit est plausible. Et, au fil des pages, on se dit que ce gars est aussi barré que son personnage et qu'il faudrait vite l'embaucher quelque part, parce qu'il pourrait résoudre bien des problèmes avec trois fois rien !

Sans doute Watney est-il mu par cet incroyable instinct de survie, on pourrait aussi dire la force du désespoir, mais il a réponse à tout. Tout, sauf le principal : s'arracher de ce sol rouge avant qu'il ne devienne un cimetière. A tous points de vue, l'ennemi principal de Watney, c'est le temps. Par tous les moyens, il essaye d'en gagner, de repousser les deadlines.

Dans ce qui arrive à Mark Watney, la référence à Robinson Crusoë est évidente, elle vient tout de suite à l'esprit. Mais, pour des raisons d'époque, je pense qu'il est tout de même plus proche du personnage incarné par Tom Hanks, dans le film "Seul au monde". Parce que, à la différence du personnage de Defoe, il y a la volonté chaque jour, pardon, chaque sol, de trouver des moyens de partir, même les plus aléatoires.

Et puis, l'autre dimension qui diffère du classique, c'est qu'on voit aussi le contrechamp. Autrement dit, on est aussi sur Terre, avec la NASA, qui doit gérer le cas Watney. Avec une dimension très intéressante, que Weir utilise parfaitement : organisme civil, la NASA ne pratique pas le secret. Et donc, forcément, on ne peut pas glisser discrètement sous le tapis l'astronaute manquant. Il faut assumer. Et gérer cette fameuse transparence devenue incontournable, dans nos sociétés modernes.

Là encore, je salue le travail d'Andy Weir : s'il joue et se moque de la pression médiatique, il ne fait pas du cas Watney une espèce d'émission de télé-réalité interplanétaire. Ce qui l'intéresse, c'est la totale impuissance de ceux qui sont à l'origine de la mission Arès 3, pendant qu'à des millions de kilomètres, c'est celui qui devrait se trouver bien démuni qui multiplie les prodiges.

Je ne peux pas développer cette partie-là de façon trop détaillée, on m'en voudrait... Mais force est de reconnaître que les Terriens sont gentiment tournés en dérision, sacrément dépassés et incrédules devant le déroulement des événements, dont ils ne maîtrisent plus grand-chose. Et pourtant, il faut bien faire croire qu'on contrôle encore un minimum les opérations. Et les risques.

Andy Weir, en plaçant tous ses personnages dans des situations qui font partie de l'infime marge d'erreur, celle qu'on n'envisage pas alors qu'on est persuadé d'avoir tout envisagé, brise le vernis du protocole, de la chaîne hiérarchique, du raisonnement ultra-rationnel, de la technologie poussée à l'extrême. Et, en ressort une chose parfois mise au rencard : l'humain.

Je me suis énormément amusé à suivre les tribulations martiennes de Mark Watney, je me suis inquiété pour lui, je l'ai plaint, parce que, par moment, il se retrouve dans des situations vraiment pas possibles. Son humour est une force et une des énormes qualités du roman qui aurait parfaitement pu être traité en thriller catastrophe à la "Gravity".

Mais non, ici, le choix est différent et se rapproche de toute une tradition littéraire américaine où l'humour et le cynisme sont des exhausteurs de goût du drame. On n'atténue rien, on a conscience de ce qui se passe, on sent le danger permanent, on se dit qu'il va encore y avoir des (mauvaises) surprises, on pense qu'on ne bouffera plus de pommes de terre d'ici le siècle prochain. Le (sou)rire, arme anti-désespoir d'une redoutable efficacité.

Allez, je vais quand même mettre un bémol. Je ne vais pas trop entrer dans le détail, parce que cela concerne les dernières pages du livre. Fermez les yeux, si vous ne voulez vraiment rien savoir. Cette fin dégouline de bons sentiments, trop pour mon goût. Tout cynisme s'en est évaporé, cela, encore, je le conçois vu les circonstances.

Mais, le livre s'achève sur un refrain qu'on a vu, lu, entendu si souvent chez les Américains, qu'on s'attend à voir faseyer le Star and Stripes, résonner le Star-Spangled Banner, les mains se poser sur les coeurs, les larmes scintiller au coin des yeux... Un peu factice, pour moi. Sans remettre pour autant en cause l'excellent moment de lecture que représente ce "Seul sur Mars".

Même si vous n'êtes pas a priori des amateurs de SF, foncez, c'est surtout le contexte qui est dans ce genre. Vous n'aimez pas le space-opera, ce n'en est pas un. Vous n'aimez pas les thrillers, puisque le mot est inscrit sur la couverture, rassurez-vous, le ton est très différent. Bref, tout le monde devrait trouver son bonheur dans cette histoire très originale et très bien menée, dans laquelle Andy Weir joue merveilleusement avec tous les éléments dont il dispose.

Un dernier mot, et là encore, si vous ne voulez pas en savoir trop, arrêtez-vous là et revenez quand vous aurez lu "Seul sur Mars", sur un autre livre que m'a rappelé le roman d'Andy Weir. Je ne vais pas développer, simplement vous mettre un lien, puisqu'il y a un billet concernant cette autre lecture sur ce blog.

Au fil des pages, cette histoire absolument folle, d'autant plus folle qu'elle retrace des faits réels, m'est revenue en mémoire. On est évidemment dans des contextes très différents. Mais, toutes proportions gardées, il y a un vrai parallèle entre le premier roman d'Andy Weir et "les disparus de Shangri-La", de Mitchell Zuckoff. Je n'en dis pas plus.

Si vous avez l'occasion, allez sur la page Wikipedia du roman, la page en anglais. Pas pour le résumé de l'histoire, pour ce qu'il y a après. Regardez la genèse de ce roman, comment il en est arrivé là, pour sa VO. Sur Twitter, récemment, Stéphane Marsand, patron de Bragelonne racontait son coup de coeur pour ce roman, dévoré dans le train au retour de Francfort.

Andy Weir a écrit un OLNI, dans le fond, dans la forme et dans le parcours qu'a connu ce roman. En principe, Ridley Scott devrait tourner l'an prochain son adaptation hollywoodienne (eh oui, après "Gravity", "Interstellar" et quelques autres, les films spatiaux sont à la mode) avec Matt Damon dans le rôle de Mark Watney. Qu'en pensez-vous ?

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