Les Mille et une nuits. Voilà un titre qui fait rêver, qui rappelle bien des souvenirs à certains ou évoque à d'autres des histoires ou des personnages... Mais, plus largement, tout un univers romanesque aux senteurs et aux couleurs orientales qui a fait voyager bien des lecteurs depuis longtemps. Voici un jeune auteur plein de promesses qui a décidé de replonger dans ce contexte si spécial, de se le réapproprier pour proposer un roman de fantasy où le raffinement et la cruauté se marient et où l'on découvre une nouvelle galerie de personnages hauts en couleur. "Or et nuit", de Mathieu Rivero, a été édité par les Moutons Electriques, dont les choix éditoriaux sont décidément remarquables, nous permet de retrouver Shéhérazade, dans de nouvelles aventures au cours desquelles ses qualités de conteuse seront une nouvelle fois mises à l'épreuve. Et le récit, dont elle est partie prenante, retrace l'histoire d'un étonnant personnage : Azi Dahaka.
Après avoir passé mille et une nuits à raconter des histoires pour sauver sa tête et décourager son époux, le roi de Perse, de lui couper la tête avant de s'en prendre à sa soeur cadette (eh ouais, si je veux, je spoile "les Mille et une nuits", c'est comme ça !), Shéhérazade a retrouvé sa liberté. Elle peut donc désormais quitter le palais royal, sans risque.
Mais, la reine est une femme aventureuse, qui n'hésite pas à s'en aller seul, sans escorte, sur des chemins pas toujours bien fréquentés. Et, un de ces fameux jours, voilà Shéhérazade attaquée par une bande de brigands et capturée. Tandis qu'il envoie ses sbires auprès du Roi, le chef de cette bande emmène Shéhérazade dans son repère.
Là, séquestrée, ligotée, humiliée, elle va devoir démontrer qu'elle est bien celle qu'elle dit être. Le chef des voleurs, qui s'est présenté à elle sous le nom de Tariq, la met au défi de lui raconter une histoire... De quoi renvoyer Shéhérazade à son passé douloureux. Mais, elle reste une conteuse dans l'âme et espère que ce qui a su désamorcer la cruauté de son époux lui permettra de rester en vie jusqu'à ce qu'on la délivre.
Elle se lance alors dans un récit se déroulant dans la lointaine ville de Yazad. Là, règne un jeune et ambitieux sultan, Azi Dahaka, qui porte aussi en lui un lourd héritage : une légende raconte en effet que son grand-père a bu le sang du dragon, faisant de sa descendance une lignée vouée à faire le mal. Une situation qui obsède le jeune homme.
Pourtant, il essaye de garder ses doutes pour lui et dirige sa ville avec autorité. Il est également lié par une profonde amitié avec Abu Bakr, le prince de Babylone. Un adolescent du même âge que Azi, mais qui lui, souffre d'une malformation physique que le complexe énormément. Ensemble, ces deux-là s'entendent comme larrons en foire.
Ils oublient leurs statuts, leurs positions, leurs pouvoirs et redeviennent des adolescents, rêvant de faire les 400 coups et de quitter les murs parfois étouffants des palais. Insuffisant, car rapidement, la politique les rattrape, les alliances, qui peuvent passer par des mariages où l'amour n'est que la cinquième roue du carrosse... Le pouvoir qui doit être exercé, la grandeur des villes qui doit être entretenue...
Le destin de ces deux jeunes hommes doit s'accomplir, il en est ainsi, et ce sont ces destins mouvementés, difficiles, que Shéhérazade raconte à son ravisseur. Un récit dans lequel elle joue elle-même un rôle, oh, plus celui d'un témoin que véritablement d'une actrice, mais tout de même. Des destins qui sont voués à tourner au drame...
Dans ce récit, la magie tient une place importante. En premier lieu pour Azi qui ignore si le sang qui coule dans ses veines est aussi néfaste que le veut la légende et qui doit, à chaque décision, tenir compte de cette possibilité. Mais elle apparaît en bien d'autres endroits dans ce roman et réussit à créer une atmosphère très particulière, envoûtante...
On y retrouve des créatures diverses, qui se dévoilent au fil du roman, d'où mon choix de laisser cet aspect dans l'ombre pour vous en laisser la primeur. Des créatures de rêve mais aussi de cauchemar. Et même les créatures de rêve ne manquent pas d'ambiguïté, dans cet univers où le chemin entre le raffinement et la cruauté est très court.
La magie tient une place particulière et fondamentale dans cette histoire, comme dans l'ouvrage originel des "Mille et une nuits", intervenant même parfois de façon inattendue. Les personnages principaux sont d'ailleurs plus à sa merci que véritablement en contrôle. C'est une adversité dont il faut tenir compte et que les personnages doivent affronter.
Comme il se doit, Shéhérazade est le pivot de ce roman, elle intervient à intervalle régulier, dans son duel rhétorique avec son ravisseur. Maltraitée, bien loin du respect que peut attendre une reine, elle doit faire face à un adversaire coriace qui, par moments, ne semble même pas prêter attention à ce qu'elle raconte...
Le charme, l'envoûtement de la voix de Shéhérazade, sa conviction, son talent de conteuse, tout ce qui a tenu tant de nuits en haleine son époux, ne paraît pas avoir de prises sur ce brigand qui ne ressemble pas vraiment au brigand tel qu'on l'imagine.Violent, cruel, oui, mais avec un je-ne-sais-quoi dans les paroles, les gestes, les attitudes, qui ne colle pas.
Et puis, il y a le personnage central d'Azi Dahara. Encore un personnage ambivalent. Non, je n'utilise pas le mot ambigu pour qualifier le Sultan-Dragon, parce que c'est plus compliqué que cela. Pourtant, ce destin qui s'accomplit fait que Azi suscite des sentiments pour le moins contrastés. On s'attache à ce gamin sur qui pèse le poids de son rôle et de sa lignée.
Dans bien des moments, d'ailleurs, il a tout du héros, au sens très positif du terme. Un garçon intègre et juste, certes poussé à prendre des décisions difficiles mais qui le sont pour le bien de Yazad. Même lorsqu'il part en guerre, c'est, semble-t-il, dans son bon droit, pour protéger les intérêts de la ville qu'il dirige et augmenter son influence.
Mais, à d'autres moments, Azi adopte des comportements et des attitudes qui le font voir bien différemment par le lecteur : le doute, j'en ai parlé, mais aussi la colère, qui le submerge parfois de manière très brusque et violente. Il a le sang chaud, et le sang de dragon qui chauffe, c'est vite explosif et ça fait des dégâts.
A force de tenir compte de cette légende, de ressasser cette malédiction qui plane au-dessus de lui comme une épée de Damoclès, Azi finit par l'accréditer. Par l'assimiler et en faire une vérité. Malgré ses précautions, il devient évident pour lui que ce sang contrefait va finir par générer des catastrophes. Auto-suggestion ou vérité de la malédiction, c'est un des enjeux d' "Or et nuit".
Azi change de visages à de nombreuses reprises, au cours du récit de Shéhérazade. D'avenant, il peut rapidement devenir immonde, monstrueux, même, rejetant sur le moment tout état d'âme ou toute notion de morale. Son affrontement avec Khalid, par exemple, en est un exemple parfait. De cet épisode, qui pourrait faire de lui un héros juste, auréolé de gloire, il ressort effrayant, impitoyable.
Je n'ai pas évoqué Khalid dans mon résumé, je le fais maintenant, brièvement, et sans entrer dans les détails avant qu'on me fustige pour avoir, ô, ignominie, spoilé. Pour faire simple, Khalid est, en lecture premier degré, ce qu'on pourrait, avec le chef des brigands, considérer comme le méchant de l'histoire. Là encore, c'est sans doute plus compliqué.
Mais, il est l'agresseur, c'est certain. Et, même si l'on comprend que, lui aussi, a ses raisons pour agir de cette façon, il n'est pas franchement le protagoniste de ce roman qu'on qualifierait de sympathique. Face à lui, Azi a une image bien plus positive et paraît dans son bon droit. Et pourtant, à l'arrivée, on ne sait plus quoi vraiment penser de lui...
"Toi qui es conteuse, saurais-tu dire qui est le méchant de l'histoire", dit le brigand à Shéhérazade. Et c'est effectivement la question que se pose aussi le lecteur en découvrant, de la bouche même de la reine, le parcours si spécial et impressionnant d'Azi. Qui est vraiment le Sultan-Dragon ? Un héros ou un monstre ? Un souverain ou un démon ? Un bienfait ou une plaie ?
Et si, tout simplement, il était tout cela à la fois. Si, dans son obsession pour cette histoire de sang maudit, il brouillait lui-même, à ses yeux comme à ceux des autres, tous les repères. Loin d'être un personnage un peu mièvre, un peu fade, Azi se révèle d'une grande complexité et on ressent bientôt que son être est irrésistiblement attiré par l'abîme...
Au contraire des "Mille et une nuits" d'origine, Shéhérazade choisit un récit long, dont Azi est le pivot. Autour de lui évoluent des personnages secondaires qui ne sont pas dénués d'intérêts, dans les choix qu'ils font, dans les décisions qu'ils prennent et dans ce qui leur arrive. Comme si le charisme d'Azi, l'attraction qu'il exerce menaient tout le monde vers le précipice...
On se laisse prendre au charme de ces personnages, même s'il peut vite devenir vénéneux, à l'envoûtement qu'exerce l'Orient sur le lecteur, à cette magie qui propose des manifestations aussi fascinantes que dangereuses et à la lente descente aux enfers du Sultan-Dragon. Pour une première en fantasy, Mathieu Rivero nous offre un vrai voyage, plein d'embûches et de rebondissements.
Pour la petite histoire, Shéhérazade est la dernière arrivée au casting d' "Or et nuit", si je puis dire. En effet, comme Mathieu Rivero l'a raconté aux Imaginales, le premier jet de son roman était uniquement centré sur le destin d'Azi. Mais, il manquait quelque chose pour que ce récit soit cohérent, entraînant, qu'il ait du liant, pour reprendre l'expression même de l'auteur.
C'est lors de cette réflexion que le personnage de Shéhérazade s'est imposé. Restait encore à l'intégrer au récit premier, à reconstruire "Or et Nuit" de telle sorte que l'on alterne entre l'histoire de la reine et son récit, qui serait l'histoire d'Azi. Un bel exercice de style que j'ai trouvé très convaincant et qui m'a emporté.
Mes souvenirs des "Mille et une nuits", je l'avoue sans honte, datent un peu et sont un mélange de lectures enfantines, de films en Technicolor avec des effets spéciaux préhistoriques mais impressionnants, vus le mardi soir à "la dernière séance" et de brefs cours de théâtre dans le cadre de mon BTS aux métiers de la radio.
Avec "Or et Nuit", Mathieu Rivero a su réveiller ces souvenirs et, sans plagier ou imiter "les Mille et unes nuits", mais en les accommodant véritablement à sa sauce, il offre un roman qui vaut le détour et dont les Moutons Electriques, comme c'est habituellement le cas, ont également fait un très bel objet, dont la couverture, signée Melchior Asacaride, est la partie visible au premier coup d'oeil.
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